Après toute une vie consacrée à l'émancipation de l'Inde, Gandhi a eu la douleur de voir son pays se déchirer dans des guerres religieuses sanglantes entre hindous et musulmans. Lui-même hindou, il n'a cessé de plaider pour la réconciliation des deux communautés, ce qui lui a valu d'être accusé de trahison par les fanatiques de sa communauté.
Gandhi n'en figure pas moins au panthéon des grandes personnalités du XXe siècle, sur la plus haute marche.
Gandhi expérimente la non-violence au Natal
Mohandas Karamchand Gandhi naît le 2 octobre 1869 à Porbandar, dans une famille de riches commerçants du Gudjerat, au nord-ouest de l'Empire britannique des Indes. Il fait des études d'avocat à Londres puis, trop timide et trop « anglais » pour plaider en Inde, il part en mai 1893 en Afrique du Sud où s'est établie une nombreuse communauté originaire des Indes, répondant à la proposition d'un homme d'affaires musulman de lui servir d'interprète dans ses litiges commerciaux !
Dès le sixième jour de son arrivée au Natal, voilà cet homme élégant et bien sûr habillé à l'européenne contraint de descendre d'un compartiment de train de première classe parce que non-Blanc ! Affecté par cette vexation raciste, il réenfile sa robe d'avocat et s'érige en défenseur des immigrants indiens...
Instruit par le jaïnisme, qu'il connaît depuis son enfance, ainsi que par sa correspondance avec l'illustre écrivain russe Léon Tolstoï, il forge à partir de ces expériences une doctrine fondée sur la non-violence, la maîtrise de soi et le respect de la vérité (la « satyagraha »).
Il préconise en vertu de cette doctrine la désobéissance passive et collective pour lutter contre les discriminations et remporte de spectaculaires succès face aux gouvernants britanniques. Mais c'est au prix de plusieurs séjours en prison.
En mars 1894, il s'insurge contre les Anglais qui veulent retirer aux Indiens le droit de vote pour les empêcher de gouverner. Les Anglais reculent. « C'est le premier clou planté dans votre cercueil », leur dit-il. Premier avocat non-blanc d'Afrique du Sud, il se lance en politique et fonde la même année le Natal Indian Congress en vue de défendre les droits de la communauté indienne. Ce parti inspirera la création en 1912 de l'African National Congress, destiné à défendre les intérêts des Noirs, et se fondra d'ailleurs dans celui-ci.
Néanmois, Gandhi se comporte loyalement à l'égard des Britanniques pendant leur guerre contre les Boers, en 1899-1901, et organise un service d'ambulances avec un personnel indien.
Un héros indien
À son retour en Inde en janvier 1915, il bénéficie déjà d'une solide réputation d'ascète et de héros qui lui vaut d'être surnommé Mahatma par le grand poète indien Tagore, d'après un mot hindi qui veut dire « Grande âme ».
Gandhi, dont la réputation atteint les rives de la Tamise, plaide pour l'indépendance de l'Inde : « Si l'on essaie de moderniser l'Inde à l'anglaise, l'Inde deviendra l'Englishistan », déclare-t-il...
Il accède à la présidence du parti du Congrès et mène dès lors la lutte pour l'autonomie du pays puis pour son indépendance tout en prônant l'autosuffisance économique, le retour aux techniques traditionnelle, mais aussi l'émancipation des femmes et des Intouchables (les hors-castes de l'hindouisme). Avec bienveillance, il surnomme ces derniers les Harijans ou gens de Dieu (les Intouchables récusent aujourd'hui ce terme paternaliste et lui préfèrent celui de Dalits ou opprimés).
Plein de curiosité pour les systèmes philosophiques et les grandes religions, il n'en reste pas moins fidèle à son héritage hindou. Il se rapproche de l'Inde profonde des villages et préconise le retour à une économie traditionnelle. Ainsi invite-t-il ses disciples à se vêtir de tuniques indiennes en coton et brûler leurs vêtements anglais, ce à quoi se résout même le fidèle Nehru malgré son goût pour les beaux costumes et son agnosticisme.
Le Mahatma donne l'exemple de l'ascétisme en pratiquant la chasteté dans son ashram des environs d'Ahmedabad, au nord-ouest du pays, et en tissant le coton sur son rouet pour subvenir à ses besoins et fabriquer ses propres vêtements.
Dès 1906, en Afrique du Sud, il a renoncé à tout rapport sexuel après avoir eu quatre enfants avec son épouse Kasturba.
Ce voeu de chasteté lui est dicté par un souci d'élévation spirituelle, conformément à la foi védique, assez semblable en cela à la foi catholique, mais aussi par le désir d'accéder à une totale maîtrise de soi dans sa mission politique.
Quarante ans plus tard, après la mort de son épouse et contre l'avis de ses proches qui craignent le scandale, il fait venir auprès de lui Manu, une petite-nièce de 17 ans, et l'invite à dormir nue à ses côtés afin de mettre sa propre volonté à l'épreuve.
La jeune fille n'en gardera pas moins une immense admiration pour lui. Dévastée par l'assassinat du vieil homme, elle mourra dans la solitude en 1969.
À Amritsar, une manifestation tourne au massacre et rompt les liens invisibles qui rapprochaient Indiens et Britanniques.
Gandhi poursuit son action avec encore plus de détermination, en s'appuyant sur le parti du Congrès. Il préconise la non-participation (refus des décorations, boycottage des produits anglais...) et prescrit même la grève de l'impôt dans un district du Gudjerat.
Mais l'affaire tourne à l'émeute et Gandhi, par souci d'éviter les violences, interrompt le mouvement en février 1922. Lui-même entame une grève de la faim dans son ashram et met sa vie en danger pour convaincre ses compatriotes d'interrompre les violences.
À peine a-t-il obtenu l'arrêt des violences qu'il est arrêté, jugé et condamné pour sédition à six ans de prison (il sera libéré par anticipation en 1924). Cette nouvelle détention lui vaut une aura internationale de martyr... aura quelque peu excessive si l'on songe qu'à la même époque, dans la plupart des pays autres que la Grande-Bretagne, les gouvernements ne faisaient pas tant de manières avec leurs opposants.
« Quit India ! »
En 1930, la marche du sel entraîne à nouveau son arrestation mais elle convainc les libéraux britanniques d'engager l'Inde dans la voie de l'indépendance. Dès l'année suivante, celui que Winston Churchill qualifie avec mépris de « fakir à moitié nu » est convié à Londres à une table ronde destinée à débattre d'une hypothétique indépendance de l'Inde. Il rencontre même le roi George V. Interpellé ensuite sur sa tenue vestimentaire, il répond avec malice que « Sa Majesté avait assez de vêtements pour deux ».
Plus sérieusement, les discussions achoppent très vite sur les modalités de l'indépendance (faut-il accorder aux États princiers autonomes le droit de sécession ? quelle garantie pour la minorité musulmane, qui représente alors un quart des 350 millions d'Indiens ? quel statut pour les Intouchables ?...).
Dans les années suivantes, Gandhi recommande aux peuples persécutés par les nazis, les fascistes, les communistes ou les nationalistes japonais d'appliquer la non-violence qui lui a si bien réussi... sans percevoir la différence de nature entre l'État de droit anglo-saxon et les tyrannies totalitaires, lesquelles ne se seraient pas gênées pour écraser dans le sang les empêcheurs de tourner en rond de son espèce (d'ailleurs, Hitler lui-même s'étonne auprès de lord Halifax que les Britanniques n'aient pas encore liquidé le perturbateur).
En Inde même, le Mahatma est déçu que le Congrès ne le suive pas dans le retour aux valeurs traditionnelles et s'en tienne à la quête de l'indépendance. Il renonce à la présidence du parti.
Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, les Britanniques engagent l'Inde dans le conflit sans prendre la peine de consulter les représentants de la colonie. Tout au plus le Premier ministre Winston Churchill promet-il aux Indiens, à l'issue de la guerre, un statut de dominion similaire à celui du Canada ou de l'Australie.
Parmi les compagnons de Gandhi, certains comme Jawaharlal Nehru plaident pour ne rien faire qui favorise l'ennemi japonais et son allié allemand.
Mais pour Gandhi lui-même, l'heure des compromis se termine. Pénétré par la foi en la non-violence, il est convaincu que les Japonais laisseront son pays tranquille si les Britanniques s'en vont ! Tout en condamnant la violence et, pire encore, l'alliance avec l'ennemi japonais dans laquelle se compromet l'ultra-nationaliste Bose, le Mahatma lance le 8 août 1942, à Bombay, un mot d'ordre radical à leur adresse : « Quit India ! » (Quittez l'Inde !).
Quelques heures plus tard, plusieurs chefs du parti du Congrès sont arrêtés. Gandhi lui-même est une nouvelle fois incarcéré. Il ne sera libéré qu'en mai 1944. Mais entre temps, son mot d'ordre aura donné le signal de la désobéissance civile sous la forme de manifestations, boycotts et grèves...
La joie ternie de l'indépendance
Au terme de la Seconde Guerre mondiale, les Britanniques sont résignés à se retirer du sous-continent indien qu'ils ont soumis (et unifié) presque par inadvertance. Ils souhaitent seulement qu'il demeure partie prenante du British Commonwealth of Nations afin que ne soient pas rompus les liens affectifs et culturels hérités des deux derniers siècles.
Le dernier vice-roi Lord Louis Mountbatten négocie le processus de retrait et le 15 août 1947, célèbre la naissance conjointe de l'Union indienne et du Pakistan.
Nehru devient le Premier ministre de la première et laisse à Mountbatten la charge de gouverneur général pendant la transition des pouvoirs. Agnostique et pétri de culture anglaise, il se montre néanmoins d'une fidélité indéfectible à Gandhi, qu'il admire au point d'avoir renoncé à ses costumes anglais au profit du vêtement traditionnel indien (il le porte d'ailleurs avec beaucoup d'élégance).
Mais la fête est gravement ternie par la scission brutale du Pakistan, en bonne partie à cause de Mohammed Ali Jinnah, président tout-puissant de la Ligue musulmane.
Originaire du Gujerat comme Gandhi, Ali Jinnah descend d'une famille hindoue de la même caste, celle des commerçants. Son grand-père s'est converti à l'islam pour une raison inconnue. Lui-même, à la faveur de ses études de droit en Angleterre, est devenu agnostique, amateur de whisky et de cigares ainsi que de beaux costumes. Militant d'abord au Congrès national indien pour une Inde unifiée et laïque, il s'en est détaché après l'arrivée de Gandhi, en partie à cause de son dégoût pour la tenue et les manières de celui-ci ! Petites causes, grands effets...
La création des deux États se solde par une atroce guerre religieuse qui fait plusieurs centaines de milliers de morts et entraîne le déplacement de part et d'autre des nouvelles frontières de quinze millions de personnes !
Le Mahatma entre au soir de sa vie dans son dernier combat en entamant une nouvelle et périlleuse grève de la faim pour convaincre hindous et musulmans de déposer les armes. Le pays entre en prière et les violences s'apaisent mais ce n'est qu'un demi-succès. Aux frontières indo-pakistanaises, les échanges de populations se poursuivent, accompagnés de brutalités innombrables.
Le conflit va coûter la vie à Gandhi. Le soir du 30 janvier 1948, à Delhi, un extrémiste qui souhaitait la création d'un État hindou, l'Hindoustan, au lieu de l'Inde laïque et multiconfessionnelle, tire sur lui trois coups de revolver alors qu'il se rendait comme chaque jour à la prière. Le vieillard meurt en prononçant : « Mon Dieu ! ». Son assassin est jugé et pendu.
La vie de Gandhi a été magnifiquement retracée au cinéma par Richard Attenborough en 1982, avec l'acteur anglo-indien Ben Kingsley dans le rôle-titre.
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Jean MUNIER (18-11-2019 16:27:47)
des états africains déboulonnent aujourd'hui les statues de GANDHI à cause de son attitude "coloniale blanche" en afrique du sud