Dans cette épopée que les historiens ont longtemps appelé « Les Grandes Découvertes », les navigateurs et explorateurs portugais font figure de pionniers. Dès la première décennie du XVe siècle, leurs navires commencent à longer les côtes occidentales de l’Afrique pour finalement ne s'arrêter qu'après avoir maîtrisé une bonne partie de l'océan Indien.
Dans le même temps, en pleine rivalité avec l'Espagne, ils découvrent à l'ouest leur « Amérique », le futur Brésil. En quelques décennies, c'est donc une belle partie des terres nouvellement découvertes que ce petit pays va contrôler, succès inattendu largement dû à une bonne dose de pragmatisme.
Un petit pays aux grandes ambitions
Dans le Portugal du XVe siècle, pays à l’extrême ouest de l’Europe faisant face à l’Atlantique, il y a bien longtemps que l'on ne craint plus la mer. Ce peuple l'a apprivoisée depuis l'Antiquité pour se nourrir, notamment en traquant la morue. Mais pourquoi, à la fin du Moyen Âge ce petit pays d'à peine un million d'âmes va-t-il soudain ne plus se contenter de ses côtes venteuses pour partir à la conquête du monde ?
Il y a tout d'abord des enjeux économiques : les Portugais ont bien vu les bénéfices qu'ils peuvent retirer de leurs possessions de Madère et des Açores qui, depuis le début du XVe siècle, produisent la canne à sucre que la péninsule ibérique ne parvient plus à fournir. Pourquoi ne pas suivre l'exemple de Venise qui a longtemps accumulé les richesses avant que Constantinople ne soit prise par les Ottomans en 1453 ? C'est l'occasion de se lancer et de trouver une nouvelle route ! L'Inde ne doit pas être si loin...
La situation du royaume est également favorable : puissance indépendante depuis 1139, le pays s'est libéré en 1249 de toute occupation musulmane et a ainsi pu imposer un pouvoir central qui s'appuie sur une noblesse hiérarchisée. L'époque est à l'optimisme et l'on souhaite prolonger le succès de la Reconquista (dico) pour se procurer de nouvelles terres.
Il est temps aussi de retrouver l'esprit des croisades et d'apporter la foi catholique en Afrique où attend, dit-on, le mystérieux royaume chrétien du prêtre Jean. Et pourquoi ne pas imaginer une alliance pour prendre en tenaille les Turcs ottomans ?
Elle est reconnaissable à sa voile latine frappée d'une croix rouge, emblème de l'Ordre du Christ dont l'Infant Dom Henrique est le grand-maître.
Si elle est souvent vue comme le navire des grands explorateurs, elle n'est pas la seule à avoir contribué aux découvertes de l'époque : sous ce terme sont regroupés plusieurs types de bateaux qui se distinguent par des progrès technologiques permettant peu à peu aux marins de l’époque de s’aventurer toujours plus loin dans l’océan. Ainsi, la caravelle est remplacée par la nef (nau en portugais) après le voyage de Bartolomeu Dias, en 1488. Puis vint le temps des caraques au cours du XVIe siècle. À chaque étape, les navires sont plus grands et plus gros, mais également mieux armés, ce qui s’avère décisif pour les projets portugais dans l’océan Indien.
Sous l'égide d'Henri
Pour donner l'impulsion qui doit conduire le Portugal au-delà des mers, il fallait un homme passionné. C'est l'infant Dom Henrique, futur Henri le Navigateur et fils de Jean Ier, qui va jouer ce rôle.
Fort de sa devise « Talent de bien faire », il se fait remarquer dès ses 20 ans, en 1415, en participant à la conquête de Ceuta sur les musulmans. S'étant retiré à Sagres, dans l'Algarve, il en profite pour organiser une véritable école navale dans laquelle il investit ses revenus de grand-maître de l'Ordre du Christ (anciennement l'ordre du Temple).
C'est ainsi que navires et matériels de navigation vont être améliorés avec l'invention de la caravelle et de l'indispensable l'astrolabe. Se mettent aussi en place de véritables bases de données sur les connaissances de l'époque concernant les pays lointains. Pour remplacer les cartes médiévales et se créer des portulans plus sûrs, il est fait appel à des scientifiques musulmans, à des Italiens, à des Africains qui vont s'avérer indispensables comme interprètes.
Il est temps de partir à l'aventure ! Dès 1418, les marins portugais reconnaissent l'archipel de Madère et Porto Santo. En 1427 vient la découverte de l'archipel des Açores, au milieu de l'Atlantique nord. Mais les tentatives pour apprivoiser l'océan restent vaines : toutes échouent devant le cap Bojador, une région pleine de courants, de récifs et de coraux sur la côte ouest de l’Afrique.
En 1433, Henri le Navigateur donne l'ordre à Gil Eanes de reconnaître la côte africaine au-delà du cap Bojador, au sud du Maroc actuel. Dans un premier temps, le marin préfère s'enfuir aux Canaries car des légendes terrifiantes courent sur les contrées situées au sud de ce cap. Mais il finit par se raviser. L'année suivante, il est le premier Occidental à dépasser ce cap.
Enfin, en 1445, les navires portugais parviennent dans les régions très riches de la côte africaine avant d'atteindre le Cap Vert, au niveau du Sénégal. Mais l'année 1460 marque un coup d'arrêt à ces explorations avec la mort d'Henri. Surnommé « le Navigateur » par un historien allemand du XIXe siècle bien qu'il n'ait pratiquement jamais navigué, ce roi n'aura pas eu le bonheur de voir l'aboutissement de ses rêves. À sa mort, les Portugais ont seulement atteint le golfe de Guinée, et les successeurs d'Henri sont loin de partager son intérêt pour ces aventures...
Dans l'exploration de la côte africaine, les Portugais furent servis par un phénomène météorologique très particulier : la vuelta (ou volte), assimilable à une ronde des vents. Pour descendre vers le sud, il était facile aux marins de se laisser porter par les vents alizés (de l'expression portugaise « ventos lissios », vents réguliers) qui soufflent dans cette région du nord-est vers le sud-ouest. Le retour vent de face paraissait autrement plus difficile...
Mais des marins racontèrent sous le sceau du secret que, pris dans de terribles tempêtes au large de l'Afrique, ils avaient été déportés au milieu de l'Atlantique et là, avaient tout d'un coup rencontré des vents favorables qui les avaient ramenés vers l'Europe. Ainsi fut découvert le phénomène de la vuelta par lequel les alizés se retournent vers le nord-est au milieu de l'Atlantique sud et se transforment en vents d'ouest. Grâce à lui, les Portugais purent dès lors entreprendre sans trop de crainte l'exploration du littoral africain. Plus tard, c'est grâce au même phénomène que Christophe Colomb pourra atteindre les Antilles, via les Canaries, et surtout en revenir.
Indes en vue
Heureusement, des armateurs privés prennent le relais et, d'année en année, prudemment, les descobriementos descendent le long de la côte africaine. Ils y essaiment des fortins qui vont servir d'autant de bases arrières tout en protégeant leur monopole commercial. Le premier de ces fortins est Elmina, fondé en 1482 dans le golfe de Guinée ; il s'agit du premier établissement européen en Afrique subsaharienne.
Les Portugais ont choisi de ne rien laisser au hasard, s'opposant par leur pragmatisme à la politique expéditionnaire espagnole, plus aventurière. Christophe Colomb pourra se plaindre de cette rigueur, lui dont le projet de découverte d'un continent hypothétique au-delà de la « mer des ténèbres » parut trop risqué et irréalisable aux experts de Jean II.
C'est à Bartolomeu Dias que revient l'exploit de contourner, en 1488, le cap des Tempêtes, cap rebaptisé « cap de Bonne-Espérance » par le roi Jean II, assuré qu'il lui ouvre la porte des Indes. Effectivement, le 28 mai 1498, Vasco de Gama et son équipage débarquent à Calicut (région du Kerala).
Premiers Européens à rallier le sous-continent indien en contournant l’Afrique, ils en repartent avec un traité de commerce décevant mais à la hauteur des pacotilles proposées par les Portugais. Revenus en 1502 à Calicut avec de l'or et de l'argent, ils ont la satisfaction de procéder à des échanges nettement plus intéressants qui vont marquer les véritables débuts de l'empire colonial portugais.
Manuel Ier, successeur de Jean II, va poursuivre cette politique expansionniste pendant ses 26 ans de règne sans se satisfaire des résultats obtenus par ses hommes.
Il souhaite avant tout repousser l'islam, aussi bien au Maroc que dans l'océan Indien. Pour cela il sait qu'il peut s'appuyer sur les hommes d'Église qui acceptent de prendre la mer pour aller convertir les populations du bout du monde : dominicains, augustins, jésuites vont ainsi faire œuvre missionnaire dans les terres hindouistes ou bouddhistes, avec un succès plutôt mitigé.
Leurs témoignages et leurs dictionnaires bilingues vont cependant apporter à l’Europe une connaissance solide de ces régions du monde, en remplacement de la description pleine de fantaisie faite par Marco Polo.
Après avoir fait de Goa, conquise et pillée en 1510, la capitale du nouvel empire portugais des Indes, il s’empare de Ceylan et de Malacca, prises qui ouvrent de nouvelles routes maritimes vers la Chine et les Moluques. À la fois fin administrateur et diplomate abrupt, il oblige les souverains de Siam, de Java et de Sumatra à devenir tributaires de Manuel Ier. Son action déterminante n'est arrêtée que par sa mort en 1515 alors qu'il partait défendre Goa contre les troupes ottomanes.
Le Brésil, terre commerciale
Le Portugal ne s'est pas contenté de se tourner vers l'est puisqu'il a vite ajouté à sa chasse gardée orientale une belle possession en Amérique : le Brésil, découvert en 1500 par Pedro Alvarès Cabral.
Bien qu'elle soit prometteuse, cette « terre délicieuse et fraîche » (Pero de Magalhaes Gandavo, Historia da provincia de Santa Cruz, 1576) n'est pas autant développée ni défendue que les régions conquises à l'autre bout du monde.
Considéré comme un endroit paisible servant avant tout à fournir du bois, elle reste secondaire, éclipsée par les richesses de l'océan Indien. Pourtant, d'autres nations ont compris tout le potentiel qu'elle renferme : la France, tout d'abord, qui y voit une source de revenus à l'heure où les caisses de l'État, en pleines guerres de religion, ont besoin de se renflouer.
Charles IX considère aussi le Brésil comme une pièce maîtresse sur le plan stratégique pour lutter contre l’hégémonie ibérique dans le monde. C'est ainsi qu'en 1554 Nicolas de Villegagnon est envoyé par Henri II pour créer une « France antarctique » à la hauteur de la baie de Rio, ce qui va mener à la fondation de São Sébastião do Rio de Janeiro. Mais l'établissement est attaqué en 1560 par les Portugais, mettant fin à cet éphémère Brésil français.
Les Hollandais constituent un danger plus sérieux. Profitant de l'annexion du Portugal par l'Espagne, en 1580, ils s'emparent de Bahia en 1624 mais en sont chassés à leur tour l'année suivante par une expédition luso-espagnole. Commence alors, pour le Brésil, une mise en valeur plus active qui va en faire une des cartes maîtresses du Portugal.
Le pactole
Petit à petit, les Portugais vont développer avec l'Extrême-Orient des échanges commerciaux à faire pâlir d'envie leurs concurrents européens. Le centre de ce commerce est Malacca (Malaisie) où l'on se procure porcelaine, pierres précieuses et épices venant des Moluques en échange d’or et de métaux.
Depuis la Chine, le comptoir de Macao vend des draps écarlates, de la verrerie, toutes sortes d’objets typiquement chinois qui sont très appréciés en Europe jusqu’au XVIIIe siècle. De Macao, les expéditions rejoignent le Japon pour revendre des produits chinois afin d’en tirer de l’argent et du cuivre.
Tout ce commerce intermédiaire entre les peuples asiatiques mais aussi Perses, Arabes et Africains, procure à la couronne portugaise des bénéfices considérables qui font vite de Lisbonne la première place commerciale du XVIe siècle. Le Portugal se retrouve ainsi à la tête d’un immense empire maritime qui s’étend en Inde, en Amérique et en Afrique.
Connaissant parfaitement les difficultés économiques que représente le maintien de ces possessions maritimes, le roi Jean III refuse alors de prendre part aux guerres déchirant l’Europe et applique une politique de maintien de la paix avec les différentes cours d’Europe qui peuvent accéder sans difficulté dans les ports appartenant au Portugal.
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Au cours des XVe et XVIe siècle, quatre puissances européennes s'engagent dans l'exploration des océans : le petit Portugal et l'Espagne pour commencer, puis l'Angleterre et la France. Voici le parcours des principaux explorateurs.
Vers le déclin
Mais le prestige de la noblesse portugaise commence à s'affaiblir au profit de gouverneurs et de vice-rois plus intéressés par leur rang et l'enrichissement de leur famille que par l'agrandissement de l'empire.
Sous le règne de Jean III, le pays entre dans une phase de déclin aggravé par la rivalité des familles aristocratiques qui cherchent par tous les moyens à affirmer leurs privilèges, n'hésitant pas parfois à rejoindre les rangs des fidèles du roi d’Espagne. Désireux de maintenir l’intégrité de l’immense empire maritime, Manuel Ier, successeur de Jean II, épuise petit à petit les ressources économiques et humaines du Portugal.
Malgré la perte de son indépendance de 1580 à 1640, et la cession de quelques territoires au profit des Anglais et Hollandais au milieu du XVIIIe siècle, le Portugal demeure une importante puissance coloniale. Dans le même temps, le Brésil s'enrichit, bénéficiant de la contrebande anglaise dans les colonies espagnoles voisines et des découvertes de mines d’or. Mais sous le règne de José Ier, Brésil et Portugal commencent à avoir des divergences d'intérêts alors que la colonie supporte de moins en moins les réformes imposées par le marquis de Pombal qui ne cesse de renforcer la mainmise de l'exécutif sur ces terres lointaines.
Lorsque, en 1807, les troupes napoléoniennes entrent au Portugal, c'est tout naturellement au Brésil que trouve refuge le régent et futur roi Jean VI. Il y crée un certain nombre d'institutions et d'administrations qui vont permettre à la région d'accéder à l'indépendance sans violence en 1822, alors que les bouleversements qui font suite à l'occupation napoléonienne (1807-1821) ont révélé une fois de plus la fragilité de la couronne de Portugal.
Les vestiges d'un empire
De son ancien immense empire, le Portugal ne conserve alors que quelques territoires aux Indes avec Goa, Diu, Damão, une partie de l'île de Timor et les territoires africains de Guinée-Bissau, d’Angola, de Mozambique et les îles atlantiques avec Madère, les Açores, les îles du Cap Vert, Saô Tomé et Príncipe.
En 1885, la conférence de Berlin accepte la création d'un vaste empire de l'Atlantique à l'océan Indien, accordant au Portugal l’annexion des territoires entre l’Angola et le Mozambique. Mais un ultimatum de la reine Victoria, en janvier 1890, met fin à ce rêve de reconstitution de la puissance portugaise. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, l'Empire portugais est encore, par sa superficie, le troisième empire colonial.
Mais il est déjà trop tard, les temps changent, et même le régime de Salazar peine à maintenir la souveraineté sur les anciennes possessions. Dès 1961, des rébellions éclatent dans les possessions africaines. La même année, les comptoirs de l'Inde (Goa, Diu, Damão) sont annexés par la république indienne alors même que la rigueur dont fait preuve le Portugal ne fait qu'augmenter le ressentiment et entretenir les volontés d’indépendance.
Il faut finalement attendre la mort de Salazar, en 1970, pour voir l’empire portugais se disloquer totalement. Le mouvement s'accélère avec la « révolution des œillets » de 1974 qui renverse la dictature sous l'impulsion de sous-officiers progressistes qui ont fait leur éducation politique au cours des guerres coloniales.
En 1974, la Guinée-Bissau, puis en 1975 le Cap-Vert, São Tomé et Príncipe, l'Angola et le Mozambique acquièrent leur indépendance. Les îles atlantiques sont assimilées aux provinces métropolitaines. Timor oriental est annexé à l'Indonésie en 1976, avant de devenir à son tour indépendant en 2002. De l'épopée impériale ne subsiste que le petit territoire de Macao, sur les flancs de la Chine mais, conformément à l'accord sino-portugais de mars 1987, il est rétrocédé à la Chine en 1999. Si l'empire a aujourd'hui disparu, n'oublions pas l'importance de l’héritage culturel et linguistique né de ces aventures maritimes, héritage qui a permis au portugais d'être actuellement la cinquième langue la plus parlée au monde.
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Trisolini (06-03-2018 18:17:27)
Il semblerait qu'au tour de 1485-87 les Portugais, quoiqu'involontairement, (probablement suite à une forte tempête les ayant fait dériver par là) avaient découvert le Brésil, et la chose, sous... Lire la suite