Le 8 janvier 1324 meurt Marco Polo. Ce riche marchand, né à Venise 70 ans plus tôt, s'est acquis en Europe une immense célébrité en raison de ses récits de voyage à la cour de l'empereur de Chine, sous le titre Le Devisement du monde, aussi appelé Le Livre des merveilles.
Quelques précurseurs l'ont précédé, comme Jean du Plan de Carpin qui a parcouru l'Asie Centrale du 16 avril 1245 au 9 juin 1247 et Guillaume de Rubruk qui en a fait autant du 7 mai 1253 au 6 juin 1255, mais aucun n'a atteint sa notoriété. Il a révélé la Chine aux Européens et son livre va les faire rêver pendant deux siècles jusqu'à ce que certains de ses lecteurs, tel Christophe Colomb, plongent eux-même dans le rêve et lui donnent réalité.
Marco a 15 ans lorsque son père Niccolo et son oncle Matteo reviennent en 1269 d'un long voyage aux confins de la Chine. Les deux marchands ont pu traverser la Russie méridionale et l'Asie continentale dans une relative sécurité, toutes ces contrées ayant été conquises et unifiées quelques décennies plus tôt par Gengis Khan et ses terribles guerriers mongols.
L'empire chinois - du moins sa partie septentrionale - obéit lui-même à un petit-fils du conquérant mongol, Kubilaï Khan (on écrit aussi Koubilaï ou Qoubilaï). Celui-ci a chargé les deux marchands vénitiens de lui ramener des missionnaires chrétiens.
Le pape étant mort avant qu'ils puissent lui transmettre la demande de l'empereur, les frères Polo ont attendu à Venise l'intronisation de son successeur Grégoire X. Celui-ci leur confie lettres et présents et leur adjoint deux dominicains, les frères Niccolo de Vicence et Guillaume de Tripoli. Ils repartent donc en 1271 pour la Chine et emmènent avec eux le jeune Marco... Quant aux missionnaires dominicains, ils n'auront pas le courage de dépasser la Méditerranée.
Les voyageurs font escale à Acre, en Syrie, puis se dirigent vers l'Arménie, s'arrêtent à Mossoul, Bagdad et Ormuz, en se livrant au commerce des étoffes, des pierres précieuses et des perles. Ils passent ensuite par Nichapour, traversent la Perse et le Badachkan, réputé pour ses rubis, franchissent les hauts plateaux du Pamir (Afghanistan) et, après la traversée du désert de Gobi, arrivent enfin en Chine du nord.
Les trois voyageurs sont reçus avec les honneurs par Kubilai Khan, dans la ville frontière de Ganzhou, à l'ouest de la Grande Muraille. Marco Polo a alors 20 ans, un don pour les langues et un abord des plus agréables. Il séjourne ensuite dans la capitale de l'empire, Khanbalik (ou Cambaluc), plus connue aujourd'hui sous le nom de Pékin (ou Beijing).
Tandis que son père et son oncle font du commerce et s'enrichissent tant et plus, Marco devient un familier de l'empereur dont il parle la langue, le mongol, en plus du mandarin et du persan, la langue du commerce en Asie au XIIIe siècle. En tant que fidèle du khan, il accomplit pour lui diverses missions, ce qui l'amène à se déplacer avec les insignes du palais central, un laissez-passer délivré par l’empereur gravé sur une plaque en or et une escorte militaire. Il va ainsi explorer l'empire dans tous ses recoins.
Marco Polo obtient aussi pendant trois ans le gouvernement d'une ville qui lui rappelle Venise. Il s'agit de Qinsay, l'actuelle Hangzhou, capitale du Zhejiang, en Chine méridionale. Il en apprécie tout particulièrement les courtisanes : « Les étrangers qui se sont divertis une fois en leur compagnie en restent comme hors d’eux-mêmes, conquis par leur douceur et leurs enchantements au point de ne jamais pouvoir les oublier, raconte-t-il. Si bien qu’une fois rentrés chez eux, ils disent qu’ils sont allés à Qinsay, la “Cité du ciel”, et ne pensent qu’à une chose : y retourner. »
Il effectue par ailleurs maints voyages au Yun-nan, aux confins du Tibet en Cochinchine ou encore en Birmanie, qui lui permettent d'apprécier les richesses de l'Extrême-Orient et l'art de gouverner des Mongols. Ses souvenirs font état d'un monde merveilleux où abondent les pierreries, les épices et les soieries mais aussi les belles dames, les palais rutilants et les bêtes monstrueuses.
Marco Polo dévoile des informations sur des contrées inconnues des Européens de son temps, comme Cipango, d'où dérive le mot... Japon. Il découvre aussi les pâtes de blé dur qui seront adoptées avec ferveur par ses compatriotes.
En 1291, au bout de douze ans, les Polo, craignant une disgrâce si l'empereur venait à mourir, lui demandent la permission de rentrer. L'empereur les y autorise quoiqu'avec réticence. Ils le quittent avec quantité de cadeaux et s'embarquent à Tchouan-Tchéou (Canton), pour Ormuz. Ils emmènent avec eux une princesse mongole destinée à épouser un roitelet perse, Arghoun.
Après une absence de 24 ans, ils retrouvent enfin Venise en 1295, riches et couverts d'objets précieux dont l'inventaire après la mort de Marco Polo attestera l'existence.
Cliquez pour agrandir Cette carte montre les voyages de Marco Polo et de ses lointains héritiers, les grands navigateurs de la Renaissance.
La plupart d'entre eux, Christophe Colomb le premier, connaissaient les exploits du marchand vénitien et rêvaient de les égaler...
Redevenu Vénitien, Marco Polo arme à ses frais une galère et participe le 8 septembre 1298 à la bataille navale de la baie de Curzola, qui voit la défaite du doge Dandolo face aux Génois.
Marco Polo est conduit à Gênes avec 7 000 prisonniers et enfermé dans la prison de la Malpaga (ainsi nommée parce qu'elle était auparavant réservée aux mauvais payeurs !).
Il dicte alors ses souvenirs à son compagnon de cellule qui a été, lui, capturé à La Meloria. Ce Rustichello de Pise en perçoit de suite l'intérêt littéraire et médiatique en sa qualité d'auteur de romans de chevalerie.
Sous le titre Le Devisement du monde ou Le livre des Merveilles, l'ouvrage est publié en français (la langue la plus accessible aux élites européennes de l'époque, à défaut du latin). Mêlant le merveilleux et l'inhabituel (comme ci-dessous l'exploitation des rubis balais et des « lapis lazuli » en Afghanistan), ce manuscrit, copié en de nombreux exemplaires, va faire rêver les Européens du Moyen Âge.
L'exemplaire le plus célèbre, d'où sont issues les miniatures de cet article, a été réalisé en 1410-1412 pour le compte du duc de Bourgogne Jean sans Peur. Il est aujourd'hui à la Bibliothèque Nationale.
Son ouvrage vaut aussi à Marco Polo le surnom de « Messer Millione » en raison de ses exagérations. Mais le voyageur n'en a cure. Libéré en 1299 par les Génois, il épouse Donada Badoer dont il aura trois filles et finit sa vie à Venise, dans une somptueuse résidence, la Casa Polo, à l'emplacement de l'actuel théâtre Malibran. Il repose depuis lors dans l'église San Lorenzo.
Un auteur anglo-saxon, Frances Wood, a réuni tous les motifs de douter du voyage de Marco Polo dans un ouvrage publié en 1995 sous le titre : Did Marco Polo go to China ? (Marco Polo est-il allé en Chine ?, Secker & Warburg, London, 1995).
L'auteur note qu'il ne reste aucune archive, ni à Venise, ni en Chine, attestant du voyage. Il note également de nombreuses omissions dans le texte de Rustichello de Pise. Ainsi n'y est-il fait nulle part référence à l'écriture chinoise, aux pieds bandés des femmes, à la Grande Muraille...
Il est vraisemblable que Rustichello de Pise a arrangé les souvenirs de Marco Polo avec la complicité de ce dernier. Il est compréhensible qu'il ait négligé certains traits de la Chine aujourd'hui devenus des lieux communs. Mais avant de rejeter en bloc le récit de « Messer Millione », il faut considérer les multiples observations qui attestent de la véracité du voyage (par exemple les références à la monnaie papier, aux pates, à l'archipel nippon etc).

Il faudra attendre plus d'un siècle avant que d'autres voyageurs ne se lancent sur les traces des Vénitiens. Mais ces nouveaux aventuriers, comme Vasco de Gama et Christophe Colomb, préféreront la voie maritime à la voie terrestre.
C'est qu'entre-temps, l'irruption des Turcs et la chute de l'empire byzantin auront rendu très difficile aux chrétiens de suivre l'antique « route de la Soie », de Constantinople à Pékin via l'actuel Turkestan.

Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Bartolucci Lidia (05-08-2015 06:43:26)
Concernant le séjour de Marco Polo en Chine, il n’y a aucune archive à Beijing attestant du voyage, et pourtant tout était consigné à la cour de l’Empereur (dixit mon professeur d’histoire originaire... Lire la suite
Marcel Quevrin (10-01-2011 07:19:53)
Il me laisse sur la faim lorsque vous dites :Mais avant de rejeter en bloc...SANS DOUTE FAUDRAIT-IL REPÉRER...QUI ATTESTENT DE LA VÉRACITÉ DU VOYAGE.On attend avec impatience!
Marcel Quevrin (10-01-2011 07:18:09)
Il me laisse sur la faim lorsque vous dites :Mais avant de rejeter en bloc...SANS DOUTE FAUDRAIT-IL REPÉRER...QUI ATTESTENT DE LA VÉRACITÉ DU VOYAGE.On attend avec impatience!