Le livre de François Huguenin fournit une somme complète de ce que fut l'école de pensée de l'Action française pendant la première moitié du XXe siècle, jusqu'à son effondrement final au sortir de Vichy...
Le général de Gaulle, fondateur de la Ve République, ne se privait pas dans ses écrits de faire référence à Barrès et Péguy.
Pour qui cherche à en savoir plus sur cette influence inattendue du « prince de la jeunesse » Maurice Barrès, il est utile d'en passer par un détour par l'Action française, le grand parti monarchiste fondé par Charles Maurras.
Barrès fut un des inspirateurs et compagnons de route de l'Action française mais sans y adhérer formellement, car le dogmatisme de toute école de pensée le rebutait. On ne saurait mieux résumer à quelle extrémité fut poussé ce dogmatisme que par ce jugement lapidaire du général de Gaulle lui-même « Maurras avait tellement raison qu'il en est devenu fou ».
L'Action française est née de l'Affaire Dreyfus : elle fut d'abord une revue réunissant des intellectuels antidreyfusards, puis un journal quotidien qui eut une grande audience, couplé à un mouvement politique qui n'eut jamais d'influence notable sur la marche des événements.
Son maître à penser dès l'origine et jusqu'à la fin fut Charles Maurras, que son obsession du traditionalisme et du catholicisme conduisit par des raisonnements très argumentés à devenir monarchiste, au moment même où le royalisme politique dépérissait en raison des succès de la IIIe République.
L'acuité intellectuelle et la bonne tenue littéraire des écrits de Maurras lui permettent d'attirer à lui bon nombre d'écrivains de droite à partir de la fin du XIXe siècle, de les convaincre qu'il n'était point de salut en dehors d'un retour à une monarchie mâtinée de décentralisation (à rebours de toute l'évolution centralisatrice de la dynastie capétienne depuis Richelieu et Colbert), et de se poser ainsi en chef d'école incontesté.
Il parvint à réunir autour de sa revue, son journal ou son mouvement des romanciers comme Paul Bourget et Georges Bernanos, des historiens et critiques comme Jacques Bainville et Henri Massis, des polémistes acharnés comme Léon Daudet, des philosophes comme Jacques Maritain, Pierre Boutang et Thierry Maulnier, et bien d'autres encore.
Plusieurs étages en-dessous des envolées intellectuelles de ces derniers, la doctrine de base était celle du conservatisme le plus étroit, depuis un antisémitisme affiché et conforté par l'antidreyfusisme (seul Bainville conservera suffisamment de hauteur de vue pour ne pas tomber dans ces travers mesquins), en passant par un nationalisme à tout crin dirigé contre l'ennemi héréditaire allemand, pour parvenir à un soutien inconditionnel à l'Église catholique considérée comme le dernier rempart contre le désordre.
Cette attitude opportuniste dont l'aspect spirituel de la religion était absent vaudra à l'Action française sa mise à l'index en 1926, qui signera le début de son déclin.
Rien de bien neuf en somme dans cette attitude réactionnaire face l'évolution de la République et de la société, qui existe depuis la Révolution française et conduit ses partisans à soutenir systématiquement les thèses les plus passéistes, comme la fameuse
Mais le corps de doctrine de Maurras était tellement compact et savamment argumenté qu'il avait réponse à tout : on soutenait Mussolini, Franco et Salazar non pas pour leur caractère dictatorial mais parce que la situation diplomatique exigeait l'alliance de la France avec l'Europe du Sud contre l'Allemagne.
On agonisait d'injures les gouvernements de la IIIe République et on appelait au meurtre contre les ministres socialistes ou radicaux non pas pour leur progressisme (le roi de France lui-même n'avait-il pas toujours été l'allié du peuple contre les abus de l'aristocratie ?), mais parce que la souplesse infinie des alliances entre ces partis maintenait la République au pouvoir et retardait ainsi l'avènement tant espéré d'un roi.
L'hypocrisie intellectuelle trouve toujours sa fin : après la rupture jamais digérée avec l'Église catholique qui privait l'Action française d'une part essentielle de son argumentation (comment contester un pape dont on défend par ailleurs l'infaillibilité ?), vint la « divine surprise » du régime de Vichy, immédiatement soutenu par Maurras dont les vœux traditionalistes se trouvaient comblés.
Ce soutien passait par pertes et profits le nationalisme anti-allemand, ce dont Maurras se défendait mollement par une pirouette du type « le chef a toujours raison », tout obnubilé qu'il était par l'espoir que Vichy débouche sur une restauration royaliste, et sans voir qu'au même moment un général dissident appliquait véritablement ses principes d'indépendance nationale et de rassemblement du peuple autour d'un chef à Londres puis à Alger, comme l'avait fait en d'autres temps un dauphin à Bourges puis à Reims.
Les comptes se paieront cher à la Libération, après le soutien délirant aux pires aspects antisémites de Vichy : Maurras sera condamné à la prison à vie et à l'indignité nationale, Brasillach sera fusillé. Les débris révulsés de l'Action française refuseront ensuite d'admettre que le général de Gaulle poursuivait l'application véritable de leur programme, modernisé dans sa conception constitutionnelle de la « monarchie républicaine » qui s'imposera en 1958.
Quelques-uns d'entre eux s'y rallieront pourtant, pour retomber immédiatement dans une opposition violente à l'indépendance algérienne, tant il est vrai qu'un bon traditionaliste ne saurait devenir anti-colonial. Tout ce petit monde finira dispersé dans des revues intellectuelles et des groupuscules confidentiels, dont certains trouveront leur exutoire dans l'actuel Front National tandis que d'autres le poursuivront de leur vindicte pour des raisons théoriques inaccessibles au commun des mortels.
Au terme de cet ouvrage, le lecteur un tant soit peu averti en politique ne peut se défendre d'une analogie avec le trotskysme : sur cet autre versant des extrêmes, on trouve aussi un fondateur intellectuel de haute volée mais peu adapté à l'action politique durable, la même excommunication par l'Église stalinienne dominante, la même survie dans des groupuscules qui présentent les mêmes attraits pour les intellectuels et la même tendance à la violence verbale voire physique.
Ne s'étant pas déconsidéré en France dans un drame comme celui de Vichy, le trotskysme survit dans des chapelles qui présentent régulièrement plusieurs candidats à l'élection présidentielle, mais qui constituent une excellente école de formation politique pour ceux qui savent s'en détacher, comme Lionel Jospin ou Jean-Christophe Cambadélis...
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