Le dernier vice-roi des Indes

Un homme de dialogue dans le chaudron indien

13 juillet 2017 : avec Le dernier vice-roi des Indes (2017), la réalisatrice anglo-indienne Gurindher Chadha raconte l'indépendance douloureuse de l'Inde et du Pakistan, négociée avec âpreté par les leaders du sous-continent sous l'égide du vice-roi Lord Mountbatten. Auteur d'une biographie remarquable de celui-ci, l'historien François Kersaudy nous présente le film, ses atouts et ses travers. Il regrette une théorie du complot malvenue...

Le dernier vice-roi des Indes (Gurindher Chadha, 2017) En 1982, dans sa superproduction Gandhi, Richard Attenborough avait réussi l’exploit d’escamoter entièrement le vice-roi des Indes.

Mais l’indépendance indienne sans Lord Mountbatten, c’était Hamlet sans le prince de Danemark.

Aujourd’hui, alors que l'Inde et le Pakistan s'apprêtent à célébrer le soixante-dixième anniversaire de leur indépendance (15 août 1947), Le dernier vice-roi des Indes vient opportunément réparer cette omission, en plaçant Louis Mountbatten au centre du récit de l’indépendance indienne – avec son épouse Edwina et sa fille Pamela en renfort.

François Kersaudy

Un superbe récit dramatique

Le film débute donc avec l’arrivée à Delhi du vice-roi Mountbatten, quarante-six ans, arrière-petit-fils de la reine Victoria, vicomte de Birmanie, héros de guerre et fort bel homme devant l’Éternel.

Il est chargé de mettre fin à trois siècles de domination britannique en remettant le pouvoir aux Indiens, mais il ne sait pas quand, à qui et sous quelle forme. On assiste donc à ses négociations agitées avec Nehru, Gandhi et Patel, ainsi qu’avec le musulman Ali Jinnah et le sikh Baldev Singh, dans le décor fastueux d’un palais de rêve (qui n’est pas celui du vice-roi, actuellement occupé par la présidence indienne, mais un édifice du Rajasthan qui n’a rien d’une masure).

À l’étage au-dessous, pour ainsi dire, on assiste simultanément aux tensions ethniques et religieuses entre les nombreux membres du personnel, tour à tour calmées ou exacerbées par les effets des tractations politiques à l’étage supérieur. À l’entresol, enfin, on suit une troisième intrigue - sentimentale cette fois - entre un jeune serviteur hindou, Jeet, et une domestique-interprète musulmane, Aalia.

Les répercussions à l’intérieur du palais – et à travers tout le sous-continent indien – des dissensions et des décisions au plus haut niveau constituent dès lors la trame d’un récit dramatique, qui évolue en moins de six mois vers son dénouement à la fois glorieux et tragique : l’indépendance et la partition de l’Inde, sur fond d’émeutes et de massacres interconfessionnels.

Casting remarquable… à une exception de taille

Lord Louis Mountbatten (1900-1979)Si le spectateur se laisse aisément emporter par cette fresque épique, c’est d’abord parce que sa réalisatrice anglo-indienne, Gurindher Chadha, sait parfaitement mêler réalité et fiction, en ménageant constamment d’habiles transitions entre les deux - notamment par l’emploi de bandes d’actualités de l’époque.

Les allers-retours entre l’opulence du palais et la misère des campagnes ne laissent pas d’impressionner, les prises de vues sont à couper le souffle, les décors et costumes d’époque ont été minutieusement reconstitués, les discours et beaucoup de dialogues sont authentiques, et le casting est tout à fait remarquable.

Hugh Bonneville dans le rôle de Mountbatten (Le dernier vice-roi des Indes, 2017)Nehru, Gandhi, Jinnah et même le sardar Patel sont plus vrais que nature. Lord Ismay, certes méconnaissable, compense ce handicap par une prestation éblouissante, tandis que l’actrice Gillian Anderson campe une lady Mountbatten débordante d’énergie, de charme et d’idéalisme – avec en prime une légère surdose de politiquement correct.

Une seule exception à la règle, mais elle est de taille : Hugh Bonneville, le héros de Downtown Abbey, joue ici le rôle d’un grand dadais mou, moite et malléable, qui ressemble à l’amiral Mountbatten comme Boris Johnson ressemble à Laurent Delahousse.

Une regrettable théorie du complot

Un journaliste enthousiaste a pu écrire que « Le dernier vice-roi des Indes vient combler nos lacunes en culture générale. » Ce n’est pas vraiment son rôle, car il faut se souvenir que la réalité nous est livrée ici avec une bonne dose de fiction.

Un seul exemple : la révélation suprême du film est que la partition de l’Inde aurait été décidée à Londres et imposée au vice-roi, à l’insu de son plein gré, par le très malfaisant comploteur impérialiste Winston Churchill en personne. À l’appui de cette thèse renversante, Lord Ismay produit un document officiel ultrasecret daté du 19 mai 1945, dont on ne voit que la première page, et qui est censé dicter deux ans à l’avance tous les éléments de la partition entre l’Inde et le Pakistan – carte détaillée à l’appui –, dans le but de promouvoir les sordides intérêts pétroliers de la perfide Albion.

Le seul problème est que le document original, intitulé Security of India and the Indian Ocean, est bien connu et ne contient aucune carte de partition - qu’il ne préconise d’ailleurs nullement : il se borne à constater qu’en cas d’indépendance de l’Inde dans un avenir indéterminé, il faudrait prévoir le maintien dans le pays de quelques réserves militaires britanniques pour la défense de la région, ou bien leur stationnement dans un État princier resté indépendant de l’Inde, comme le Balouchistan.

Par ailleurs, ce plan n’émane nullement de Winston Churchill, mais des services de planification du War Cabinet, qui produisaient ex-officio des centaines de rapports similaires, afin de parer à toutes les éventualités auxquelles pourrait se trouver confronté le gouvernement de Sa Majesté dans l’après-guerre.

Que vient donc faire Churchill dans cette histoire ? Rien du tout, car le Vieux Lion étant depuis vingt ans farouchement opposé à toute idée d’indépendance indienne, il ne se serait même pas posé la question d’une partition… Du reste, l’aurait-il fait dans un moment d’égarement que cela n’aurait eu aucune importance, car en août 1947, il avait déjà quitté le pouvoir depuis deux ans !

Pour que le scénario du film fonctionne, il faudrait donc que tous les spectateurs aient oublié ce détail – ce qui est tout de même beaucoup demander… Le Premier ministre de Sa Majesté depuis l’été de 1945, c’est le major Attlee – dont le nom n’est pas même prononcé dans le film.

La réalisatrice se serait-elle tout simplement trompée de méchant ? Même pas, car Clement Attlee est à l’origine de deux documents qu’il suffit de citer pour démontrer l’absurdité de la thèse complotiste : le premier, c’est le Cabinet Plan de 1946, qui prévoyait une fédération indienne comprenant une partie hindoue, une partie musulmane et les 565 États princiers du sous-continent, l’ensemble étant doté d’un pouvoir central responsable de la défense, des affaires étrangères et des communications – bref, l’exact inverse d’un plan de partition. Le second document, c’est la lettre officielle adressée par Attlee à Mountbatten le 18 mars 1947, à la veille de son départ pour Delhi. On peut y lire entre autres : « L’intention bien arrêtée du gouvernement britannique est de faire en sorte que soit créé un gouvernement unitaire pour l’Inde britannique et les États indiens, si possible dans le cadre du Commonwealth britannique. […] Vous ferez tout ce qui est en votre pouvoir pour persuader l’ensemble des parties prenantes de coopérer à cette fin. »

C’est très exactement ce que tentera de faire le vice-roi pendant six mois, avec une patience, une bienveillance, une fermeté et une inventivité dignes d’un meilleur sort. Du reste, les véritables péripéties de son séjour en Inde, abondamment filmées à l’époque, pourraient faire l’objet d’un documentaire fabuleux, qui permettrait aux spectateurs de voir tout l’envers du décor.

Pour l’heure, ils devront se contenter du Dernier vice-roi des Indes, à admirer comme une docu-fiction bien troussée – un peu comme l’Amadeus de Miloš Forman, que l’on revoit chaque fois avec émerveillement… tout en sachant parfaitement que Salieri n’a pas assassiné Mozart.

Publié ou mis à jour le : 2023-04-04 18:02:23
pierre (15-07-2017 10:29:49)

quelles que soient les bonnes intentions du PM Attlee.. il semble bien que les Britanniques aient essayé jusqu'au bout de diviser pour regner... ils ont fait de même en Palestine promettant a l'un o... Lire la suite

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