Corée, le pays du Matin calme

Une Nation, deux États

La péninsule coréenne (source : Atlas Historica, 1998)Quel pays renferme autant de contrastes que la Corée ? Voilà une nation plurimillénaire d'une culture originale et raffinée, aujourd'hui scindée en deux États ennemis et aussi différents que peuvent l'être l'eau et le feu.

• Au nord, un État-voyou totalement démuni mais doté de l'arme nucléaire et dont la clique dirigeante est prête à tout pour assurer son maintien en place.

De façon surprenante, une dizaine de milliers de soldats nord-coréens ont été engagés cet automne 2024 sur le front du Donbass en appui à l'armée russe dans la guerre qu'elle livre à l'Ukraine. C'est la première fois depuis l'invasion mongole il y a huit siècles que des Asiatiques combattent sur le sol européen.

• Au sud, nous avons affaire à un État qui était encore en 1960 aussi démuni qu'un quelconque pays africain. En 1980, il est devenu pleinement démocratique et surtout s'est engagé à marches forcées dans les technologies modernes, dans l'électronique, la vidéo, l'informatique, etc. jusqu'à obtenir aujourd'hui un revenu par habitant comparable à celui des pays occidentaux les plus avancés. 

Des dirigeants européens comme le président français Emmanuel Macron en sont à inviter les entreprises sud-coréennes à investir sur leur sol pour édifier des usines de batteries, automobiles ou autres.

Singuliers retournements de l'Histoire... En même temps, la Corée du sud développe sur toute la planète un pouvoir d'influence (soft power) inattendu de la part de l'ancien « royaume ermite » (son surnom dans la période Joeson). 

Han Kang ou Han Gang (née le 27 novembre 1970 à Gwangju, Corée du sud)La K-Pop ou pop coréenne fait danser les jeunes du monde entier cependant que les cinéphiles se délectent des réalisations de Bong Joon-ho, Palme d'or à Cannes en 2019 avec son film Parasite.

Enfin en 2024, c'est à une Sud-Coréenne, Han Kang, qu'est allé le Prix Nobel de littérature... Faut-il s'étonner que la Corée soit devenue la destination la plus prisée de la jeunesse branchée occidentale ?

Cet engouement risque toutefois de ne pas s'étendre au-delà de la présente génération car la Corée du sud, qui avance plus vite que tout autre pays, se signale en 2023 par l'indicateur de fécondité le plus bas de la planète. D'ores et déjà, elle est confrontée à une crise sociétale et humaine majeure et un vieillissement accéléré...

Un « lapin » pris entre deux mers

Un lapin regardant vers l'ouest. C'est ainsi que les Coréens ont l'habitude de décrire la forme de leur pays, une péninsule de 221 000 km2 et 360 km de large, bordée par la mer Jaune à l'ouest et la mer du Japon à l'est. Les fleuves Yalu et Tumen marquent au nord, sur 1311 km, sa frontière avec la Chine.
En dépit d'une profonde homogénéité ethnique et linguistique, la Corée est divisée depuis 1945 en deux États ennemis :
• Au nord du 38e parallèle, la république populaire démocratique de Corée, dernière dictature communiste de la planète,
• Au sud, la république de Corée, devenue depuis 1980 une démocratie d'avant-garde et une puissance économique avec laquelle il faut compter.
Son territoire est composé à 70% de montagnes et ne comporte pas de grandes plaines. Son sous-sol est en revanche riche en tungstène, en magnésite, en anthracite (charbon) en fer et en or. Si ces ressources se concentrent dans la Corée du Nord actuelle, les meilleures terres agricoles se trouvent au sud de la péninsule.
En 2020, la Corée du Nord abrite près de 26 millions d'habitants sur 120 000 km2, tandis que la Corée du Sud, à la densité de population deux fois supérieure, compte environ 52 millions d'habitants sur 100 000 km2. L'indice de développement humain place la Corée du Sud au 20e rang mondial et la Corée du Nord au bas du classement.
Depuis 1960, en six décennies, la Corée du sud a vu son indicateur de fécondité passer de 6 enfants par femme à... 0,78. C'est un record mondial dont elle se serait passée car il engage la population vers une extinction totale dans le prochain siècle. La Corée du Nord, en dépit d'un extrême dénuement, semblerait maintenir un indicateur de fécondité de l'ordre de 1,7 enfants par femme. 

Trois femmes de réconfort coréennes libérées en Birmanie par l'armée américaine, le 14 août 1944, Archives nationales des États-Unis.

La Corée, colonie japonaise

À la fin du XIXe siècle, la Corée était devenue le terrain d'affrontement en sous-main de la Chine et du Japon : la première, « protectrice » du pays depuis la nuit des temps, soutenait les conservateurs, le second les milieux réformistes.

La Chine, défaite par le Japon en 1895, renonça à ses droits sur la Corée qui tomba l'année suivante sous un protectorat russo-japonais avant d'être purement annexée par le Japon le 22 août 1910 sous le nom de Cho-Sen. C'en fut fini de la dynastie Yi ou Joeson qui avait régné sur la péninsule pendant un demi-millénaire.

La Corée demeura dans l'empire colonial japonais jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ces 35 années de colonisation furent marquées par l'industrialisation rapide du pays... mais aussi par l'utilisation de femmes coréennes comme « femmes de réconfort » par l'armée nipponne, le travail forcé pour les hommes et la répression de toute expression culturelle proprement coréenne. Autant de plaies toujours pas cicatrisées aujourd'hui, comme en témoigne le fort sentiment anti-japonais qui perdure parmi la population.

Tandis que le Japon déclenche la « guerre de Quinze Ans » (1931-1945), les élites  coréennes, exclues de tous les postes à responsabilités, mettent sur pied un gouvernement en exil, d'abord à Shanghai puis à Washington.

À la conférence du Caire, en 1943, les Alliés formulent l'objectif de restaurer l'indépendance de l'antique royaume de Corée après avoir vaincu le Japon. En 1945, à la conférence de Yalta, Anglo-Saxons et Soviétiques conviennent de diviser la péninsule en deux zones d'occupation, américaine au sud du 38e parallèle, soviétique au nord.

La Corée, victime de la guerre froide

Portrait officiel de Kim Il-sung (1912-1994), le 1er octobre 1948.Sitôt le Japon défait, des négociations sur la réunification du pays se tiennent mais elles restent lettre morte. En effet, les Soviétiques refusent que les les Nations Unies supervisent les élections qui devront être organisées dans leur zone d'occupation.  Pour ne rien arranger, la guerre froide, qui éclate presque aussitôt, fait du 38e parallèle un lieu de grande tension internationale.

- La République démocratique populaire de Corée (Corée du nord, capitale : Pyongyang) est dirigée avec une poigne de fer par le secrétaire général du Parti des travailleurs (communiste), Kim Il-sung (38 ans), valeureux résistant à l'occupation japonaise, charismatique et au demeurant bel homme ; il s'empresse de réaliser une grande réforme agraire et de donner la terre aux paysans qui la travaillent ; il réalise aussi une sévère épuration parmi les anciens collaborateurs de l'occupant japonais. 

Portrait officiel de Syngman Rhee, premier président de la République de Corée (1948). Agrandissement : Cérémonie d'inauguration du gouvernement de la République de Corée (15 août 1948).- La République de Corée, au sud (capitale : Séoul), est dirigée de façon au moins aussi autoritaire par Syngman Rhee (75 ans) ; vieil héros de l'indépendance, c'est aussi un homme vénal et corrompu, incompétent, dont le principal atout aux yeux de ses protecteurs américains est de parler l'anglais ; il se garde de procéder à une quelconque chasse aux anciens collaborateurs.

Ce choix malheureux va nourrir la propagande communiste et la volonté des Nord-Coréens de réunifier la péninsule coûte que coûte.

Le Nord, qui possède l'essentiel de l'industrie coréenne, paraît avoir l'avenir devant lui.  Les habitants du Sud vivent encore, à cette époque, dans une misère extrême.

Leur avenir paraît même aux experts occidentaux plus sombre que celui des Africains et ils n'ont pas de raison de préférer un régime pro-américain à un régime pro-soviétique !... 

Une fresque représentant Kim Il Sung s'adressant au peuple coréen, site révolutionnaire de Kaeson à Pyongyang . Agrandissement : Peinture murale montrant l'inauguration de l'Université Kim Il-sung.

La guerre de Corée

Là-dessus, en 1950, comme Kim Il-sung ne se satisfait pas de la division de son pays et protège de la réunifier par les armes, son protecteur Staline,  annonce l'évacuation de ses troupes et demande aux Américains d'en faire autant. Ceux-ci s'exécutent, ne laissant en Corée du Sud que quelques centaines de « conseillers ».

Poster de propagande pour le mouvement Chollima, politique stakhanoviste appliquée en Corée du Nord dans le but d'accélérer le développement économique du pays (1956).Voyant cela, les Soviétiques réarment à la hâte les Nord-Coréens. Et c'est ainsi que le 25 juin 1950, les Nords-Coréens franchissent en armes le 38e parallèle. C'est le début de la très meurtrière guerre de Corée (trois millions de morts environ). 

Les communistes chinois de Mao Zedong, tout juste installés au pouvoir à Pékin, affluent pour aider les Nord-Coréens tandis que les Américains et forces de l'ONU volent à la rescousse de la Corée du Sud.

Le 27 juillet 1953, la guerre se termine sans vainqueur ni vaincu, par un armistice à Panmunjon. Il établit une frontière de facto qu'aucun traité de paix ne viendra officialiser.

Depuis, Corée du Nord et Corée du Sud suivent des voies diamétralement opposées : le repli sur soi d'une part et l'insertion maximale dans une économie de plus en plus mondialisée de l'autre.

Kim Il-sung signant l'armistice mettant fin à la guerre de Corée en 1953. Agrandissement : Visiteurs s'inclinant devant les statues de Kim Il-sung et de Kim Jong-il sur la colline Mansu (Pyongyang, 2014).

Extrême dénuement au nord comme au sud

Au nord, le régime communiste bénéficie d'une relative aisance grâce aux infrastructures et à l'industrie lourde laissées par les Japonais. Mais au milieu des années 1960, l'économie se dégrade par excès de dirigisme et faute d'ouverture sur le reste du monde.

Le dictateur Kim Il-sung joue de la rivalité entre ses deux protecteurs, la Chine de Mao et l'URSS de Khrouchtchev, pour s'attirer quelques subsides supplémentaires. Il institue un culte de la personnalité qui ravale dans l'ombre ceux de Staline et Mao. À sa mort, le 8 juillet 1994, c'est son fils Kim Jong-il (52 ans) qui lui succède. 

La population sombre dans la misère extrême et des famines de grande ampleur frappent les campagnes. Cela n'empêche pas le dictateur de développer une industrie militaire de pointe, avec le lancement de missiles balistiques et un premier essai nucléaire le 9 octobre 2006. 

À la mort de Kim Jong-il, le 17 décembre 2011, c'est encore son fils Kim Jong-un (27 ans) qui lui succède dans la plus pure tradition dynastique. Avec lui, le régime nord-coréen s'isole tant et plus en fondant sa survie sur le chantage nucléaire : quiconque s'en prendrait au pays encourrait le risque d'une apocalypse nucléaire.

Tout autre est le chemin par la Corée du sud. Déjà plus pauvre que sa rivale du nord, elle est ravagée par la guerre et dans un absolu dénuement, qui plus est sous l'emprise de Syngman Rhee, un dictateur corrompu, inculte et déjà âgé de 78 ans à la signature de l'armistice de Panmunjon. Le 19 janvier 1960, le dictateur est chassé le 19 avril 1960 à la suite d'une révolution dite Révolution d'Avril. 

Puis le 16 mai 1961, le gouvernement civil est renversé par un coup d'État militaire conduit par le général Park Chung-hee. Celui-ci instaure un régime autoritaire et sous sa férule, la Corée du sud va connaître une croissance économique très élevée, en développant ses relations commerciales avec le Japon et le monde occidental. Park Chung-hee n'aura guère l'opportunité de jouir de son succès. Il est assassiné le 26 octobre 1979 par des agents de ses propres services de sécurité... 

Corruption et répartition inégale des fruits de la croissance génèrent par la suite la montée des revendications populaires et aboutissent à la démocratisation du régime.

La Corée du sud, fer de lance de la mondialisation

Plus pauvre que la plupart des pays africains en 1960, la Corée du Sud a rejoint en une génération le cercle des pays industrialisés. Aux côtés des trois autres « dragons asiatiques » -Singapour, Taiwan et Hong Kong- elle connaît de 1962 à 1990 un taux de croissance de 10% par an. Un « miracle économique » érigé sur le développement d'industries intensives en main d'œuvre, comme le textile, l'assemblage électronique et l'automobile, pour l'exportation.

Frappée de plein fouet par la crise financière asiatique de 1997, elle est toutefois été forcée de remettre en cause son modèle fondé sur de grands conglomérats et le capitalisme d'État.

La croissance économique s'accompagne de la montée de l'individualisme dans une société traditionnellement fondée sur la prépondérance de la communauté. Cet individualisme se traduit aujourd'hui par un indice de fécondité particulièrement bas.

Béatrice Roman-Amat

Publié ou mis à jour le : 2024-12-04 14:52:16
BOUBOU (06-12-2024 11:51:09)

Bonjour, Petite remarque: il y a eu des asiatiques qui ont combatu sur le sol européen beaucoup plus récemment: des troupes ottomanes ont pendant plusieurs siècles et il me semble que des Indiens ... Lire la suite

Edgard Thouy (05-12-2024 17:31:27)

Merci pour cet article bien utile pour ceux qui, comme moi, méconnaissent l'Orient, ainsi que les décisions d'après-guerre à l'incidence toujours active. Incroyable évolution de pays à la même ... Lire la suite

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