Le vin est une civilisation à lui seul. On le retrouve dans tous les mythes occidentaux et même au cœur de la foi chrétienne, dans le rituel de l’eucharistie. Plus ancien que la plus ancienne de nos civilisations, Il est associé à l’amour, à la vie et au plaisir. Il joue aussi avec la mort et le péché.
Des origines antédiluviennes
Il n'y a pas moins de 140 millions d'années que la vigne est présente sur Terre, sous forme de baies sauvages. L'homme l'aurait domestiquée en Géorgie, sur les pentes ensoleillées du Caucase entre le Xe et le VIe millénaire av. J.-C., puis en Mésopotamie où le vin est appelé « bière de montagne ». Par la route des caravanes, la vigne gagne même la Chine au IIIe millénaire avant notre ère.
C’est par tâtonnements qu’est découverte la vinification et cette technique n’en finit pas d’évoluer au gré des goûts et des terroirs. Les premiers vignerons ont pu constater que certaines levures, naturellement présentes sur la peau des grains, se développaient à l’abri de l’air et entraînaient une fermentation alcooliques des grappes, après que celles-ci eussent été foulées ou écrasées. Grâce à l’acidité apportée par les raffles (les tiges de la grappe), l’alcoolisation finissait par se stabiliser au bout de quelques jours ou quelques semaines.
Rare et apprécié, le vin voyage à travers tout le Moyen-Orient dans de grandes jarres en terre cuite pouvant mesurer trois mètres de haut, comme en font foi des tablettes mésopotamiennes en caractères cunéiformes vers 3000 av. J-C. Il atteint l'Égypte où, très vite, la production locale s'organise avec la technique de la pergola (la vigne s’accroche à des claies en roseaux). Les Égyptiens attribuent à leur cher dieu Osiris l’invention du vin.
Bien plus tard, c’est à Dionysos, un dieu d’origine orientale, venu de Phrygie, que les Grecs attribueront la révélation de la vigne et du vin. Fils de Zeus et Sémélé, ce dieu errant au caractère jovial mais imprévisible se doit de ne pas être contrarié…
On dit que Lycurgue, roi des Édoniens, s’étant révolté contre le dieu, il fut livré à la folie par ses disciples, les Bacchantes. Il tua ainsi son propre fils à coups de hache en l’ayant confondu avec un cep de vigne. Son pays, la Thrace, ne retrouva la paix et la prospérité qu’après que les habitants eurent écartelé le roi sacrilège.
Les Grecs raisonnables préfèrent quant à eux se réunir le soir, après souper, autour de quelques bonnes amphores et de quelques assiettes d’olives pour se distraire et refaire le monde. Ces « assemblées de buveurs » (en grec, « symposion ») ont inspiré au philosophe Platon une bonne partie de son œuvre et le titre même de l’une d’elles : le Banquet.
Les Hébreux ne sont pas moins sensibles à l’attrait de la vigne et du vin, sans en ignorer les inconvénients comme le rappelle, dans la Bible, le triste épisode de Noé et de ses trois fils Sem, Japhet et Cham, après le retrait des eaux du Déluge :
« Noé fut le premier cultivateur à planter de la vigne.
Il but du vin, s'enivra et se déshabilla complètement à l'intérieur de sa tente.
Cham, père de Canaan, vit son père tout nu et en avertit ses deux frères, qui étaient dehors.
Alors Sem et Japhet prirent un manteau, le placèrent sur leurs épaules, entrèrent à reculons dans la tente et couvrirent leur père. Ils regardaient dans la direction opposée, pour ne pas voir leur père tout nu.
Quand Noé fut sorti de son ivresse, il apprit ce que lui avait fait son plus jeune fils.
Alors il déclara : Maudit soit Canaan ! Qu'il soit pour ses frères le dernier des esclaves !... »
À la conquête de l’Occident
La vigne, quand elle se répand autour de la Méditerranée à l’initiative des Grecs, donne une boisson modérément alcoolisée, épaisse et liquoreuse, aromatisée aux épices et aux herbes, parfois additionnée de résine de pin pour mieux supporter la chaleur. Elle doit être coupée d’eau avant d’être consommée. Il demeure longtemps une boisson d’exception, réservée aux privilégiés, les classes populaires se satisfaisant de la bière.
Les Gaulois découvrent le vin au VIe siècle av. J.-C. par l’intermédiaire des colons phocéens installés à Massalia (Marseille) et c’est par cargaisons entières qu’ils l’achètent à leurs voisins romains. Les archéologues évaluent à une centaine de millions le nombre d’amphores qu’ils auraient ainsi importées avant la conquête de la Gaule par Jules César.
De consommateurs, les Gaulois ne tardent pas à devenir également producteurs. L’un de leurs premiers vignobles, le « biturisca » de la tribu des Bituriges Vivisques, est à l’origine de la réputation viticole de Burdigala (Bordeaux) et nous aurait aussi donné le mot « biture », synonyme d'ivresse ! Les Gaulois sont aussi à l’origine de l’invention du tonneau en chêne cerclé de fer. Il est d’abord réservé au transport de la bière. Au IIIe siècle de notre ère, il va partout remplacer les amphores pour le transport et la conservation du vin.
Les Romains, habiles techniciens, améliorent les techniques viticoles. Ils introduisent la greffe et, dès le 1er siècle av. J.-C., les bouteilles en verre et les bouchons en liège. Fins gastronomes, ils n'hésitent pas à laisser vieillir près de 15 ans leur meilleur cru, le falerne, un vin produit en Campanie, autour de Caserte. La production des amphores explose pour pouvoir suivre la demande d'amateurs qui, comme cet avocat du Ier s. av. J.-C., en possédait 50 000 dans sa cave !
Au début de notre ère, on en vient à craindre que la vigne n’empiète sur les champs de blé, au risque d’occasionner des famines. En 92, l’empereur Domitien ordonne en conséquence d’arracher la moitié des ceps, mais la production ne tarde pas à reprendre, notamment quand les envahisseurs germains se laissent à leur tour gagner par l’ivresse. Du fait des invasions et de l’insécurité, on renonce à stocker les tonneaux sous les combles, dans les greniers, et on les cache dans les caves. Grâce à quoi le vin va gagner en conservation et en bouquet…
Le christianisme reprend la tradition œnophile des anciennes religions et de la Bible hébraïque. Le premier miracle accompli par le Christ, selon l’évangile de Jean, se rapporte au vin. C’est la transformation de l’eau en vin aux noces de Cana. Les références à la vigne sont par ailleurs multiples dans le Nouveau Testament, comme dans l’Ancien, y compris dans la bouche du Christ : « Je suis le vrai cep et mon Père est le vigneron [...] Vous êtes les sarments » (Jean, 15).
Enfin, avec la Cène, le dernier repas du Christ et de ses disciples réunis, le vin acquiert une dimension sacrée puisqu'il est assimilé au sang de celui qui va être crucifié (« Ceci est mon sang… »). Il entre ainsi dans le rituel de l'eucharistie.
Au VIIe siècle, le prophète de l’islam lui-même se montre tempéré, voire équivoque, à l’égard du vin et de sa consommation. Originaire d’un pays désertique et dépourvu de vignes, Mahomet a pu néanmoins connaître celles-ci par ses voyages en qualité de marchand caravanier. Il a aussi connu le vin, objet d’un commerce important dans tout le Moyen-Orient, y compris en Arabie.
Le Coran, exprimé par sa bouche, réprouve l’ivresse : « 43. N'approchez pas de la prière alors que vous êtes ivres ou impurs... » (sourate IV, Les femmes). Il qualifie dans une autre sourate le vin d’« œuvre du diable » mais il en fait aussi l’un des délices réservés aux croyants qui entreront au paradis : « Il y aura là des ruisseaux d’un vin délicieux à boire ».
À la cour du calife de Bagdad, le poète Abou Nouwas (757-809) chante mieux que quiconque l'amour de la vie et des femmes, des garçons et du vin ! De quoi s'attirer la vindicte des islamistes de notre époque !
« Le vin m'est présenté par un jeune échanson?
de sexe féminin, mais vêtu en garçon
Une garçonne, enfin, qui mélange les genres
et qui se laisse aimer d'une double façon
Mais si l'on mélangeait le vin à la lumière
le résultat serait lumière sur lumière. »
(cité par Paul Balta, L'islam, 2002, page 79).
Paradis artificiels
Vos réactions à cet article
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Bonne-maman (22-04-2020 15:27:24)
Merci de remettre en ligne certains anciens articles non lus par les lecteurs récents !
Très intéressant, je fais suivre ...
Gómez (08-02-2013 08:09:58)
Mes félicitations¡¡¡cet article est très éclairant pour moi