Traites négrières

Essai d'Histoire globale

Olivier Pétré-Grenouilleau (Gallimard Folio,  2006)

Traites négrières

Professeur à l'Université de Bretagne-Sud (Lorient), Olivier Pétré-Grenouilleau nous offre avec Traites négrières (Gallimard, 2004) un condensé passionnant de toutes les recherches historiques sur le sujet.

L'historien s'inscrit dans la démarche globaliste avec cet ouvrage qui porte d'ailleurs en sous-titre Essai d'histoire globale.

L'historien s'est donné pour ambition de rapprocher et confronter tous les travaux concernant les traites négrières à travers le monde en vue d'«oeuvrer à une décentralisation de l'histoire du monde». Le résultat est un livre de 700 pages indispensable pour qui veut comprendre les traites négrières, l'un des aspects les plus sombres de l'esclavage.

Olivier Pétré-Grenouilleau rapproche deux phénomènes trop longtemps dissociés : la traite atlantique, pratiquée par les Occidentaux, et les traites orientales, pratiquées par les ressortissants des pays musulmans.

«La traite atlantique, la plus "célèbre" et la moins mal connue des traites d'exportation, ne se développe vraiment qu'à partir du XVIIe siècle, près de mille ans après l'essor des traites orientales qui, plus précoces et plus durables, alimentèrent le monde musulman, jouant d'un point de vue quantitatif un rôle plus important que le sien», observe-t-il en introduction.

Premières traites négrières

L'exploitation de captifs noirs par les peuples du bassin méditerranéen n'est pas une nouveauté moderne. On en relève de premières traces dans l'Égypte pharaonique d'il y a 4000 ans puis plus tard chez les Grecs et les Romains.

Elle va être relancée par l'islam pour une raison en premier lieu religieuse : «en pays d'Islam, seuls sont esclaves les enfants d'esclaves et les personnes capturées à la guerre. Des personnes libres ne peuvent être asservies, pas plus que les enfants abandonnés, selon une politique courante dans les civilisations antiques», souligne Olivier Pétré-Grenouilleau.

D'où le recours au gisement subsaharien. Cela commence avec un fameux traité conclu en 652 entre des Nubiens et l'émir d'Assouan, pour la livraison chaque année d'un quota de 360 captifs à ce dernier en échange de marchandises diverses.

Rapidement, les habitants du monde islamique en arrivent à assimiler les Noirs à des esclaves et, pour justifier le rapprochement entre l'infériorité juridique et la couleur de peau, ils font appel à la fameuse malédiction de Cham.

La traite atlantique

Les Européens découvrent les traites négrières au XVe siècle, à la faveur de leurs premiers contacts avec les commerçants musulmans, sur les marchés d'Afrique du Nord. L'exploration des côtes africaines par les navigateurs portugais amènent ceux-ci à acheter quelques captifs avec les chefs coutumiers de rencontre.

Quand les Portugais implantent les premières plantations sucrières sur le littoral du golfe de Guinée puis au Portugal même, c'est sans se poser trop de questions qu'ils y embauchent des esclaves noirs achetés au Maroc ou en Guinée.

Les premiers esclaves noirs débarquent dans les Antilles dès 1500, en provenance non d'Afrique mais de la péninsule ibérique : il s'agit d'une délocalisation avant l'heure ! Les Noirs ne sont pas les seules victimes de ce trafic. Aux XVe et XVIe siècle, il arrive aux Italiens et Espagnols de réduire en servitude des captifs «schismatiques», autrement dit des chrétiens orthodoxes originaires des Balkans ou de Russie. De sorte que l'on «pouvait toujours trouver vers 1600 des esclaves grecs et slaves...à Cuba» !

Notons aussi que les premiers travailleurs employés en nombre sur les plantations du Nouveau Monde furent non pas des Africains mais des Européens engagés sous contrat. Ces pauvres hères, dans l'espoir de se faire une nouvelle existence, s'engageaient à servir un planteur pendant trois à sept ans en échange du voyage et d'un lopin de terre à la fin de leur contrat. Bien peu arrivaient de fait au terme de leur contrat, morts d'épuisement avant terme.

C'est seulement à la fin du XVIIe siècle que, le vivier des «engagés sous contrat» s'épuisant, le travail des plantations revint presque exclusivement aux esclaves africains.

Le choix du système de la plantation

À l'encontre des idées reçues, Olivier Pétré-Grenouilleau montre que le développement aux XVIe et XVIIe siècle du système des plantations dans le Nouveau Monde n'avait rien d'inéluctable. Ce système fondé sur une main-d'oeuvre servile et destiné à pourvoir les classes supérieures d'Europe en produits de luxe (sucre, tabac, cacao, café...) est la conséquence d'un choix politique.

Avant de s'épanouir en Amérique, le système des plantations s'est développé dans le monde méditerranéen, en pays d'islam comme en terres chrétiennes. Dès le XIIe siècle, des plantations sucrières se sont ainsi multipliées dans les États latins fondés par les croisés en Orient. Cette économie sucrière s'est ensuite peu à peu déportée vers l'ouest, jusqu'à atteindre les Antilles et le continent américain. Après un lent démarrage au XVIe siècle, cette économie de plantation connaît un rapide essor. Mais c'est au prix de grands et coûteux investissements.

«La solution adoptée aux Amériques semble d'autant plus surprenante que les efforts considérables qui furent consentis servirent, finalement, à produire en grande quantité des choses non essentielles, comme du sucre, du café ou du cacao, au prix de la vie de nombreux esclaves, tandis que nombre d'Européens continuèrent pendant longtemps à souffrir de disettes périodiques », dénonce l'historien.

Ce commerce aberrant n'a donc pu se développer que grâce à la protection initialement accordée, et ensuite jamais refusée, de l'État... Cette protection prend au XVIIe siècle la forme de compagnies «à charte» ou «à privilège». Il s'agit de groupements de marchands et d'investisseurs privés qui s'engagent auprès du monarque à mettre en valeur un territoire en échange d'avantages fiscaux et douaniers.

Pour les élites du XVIIe siècle, pénétrées par la pensée mercantiliste, la richesse d'un État se mesure à ses réserves d'or. En développant les compagnies à charte, les monarques se donnent donc pour objectif de limiter les importations de produits de luxe et les fuites de métaux précieux...

Le système des plantations et la traite négrière qui lui est associée débouchent-ils au moins sur de juteux profits ? Rien n'est moins sûr. Se fondant sur les travaux d'historiens anglais, Olivier Pétré-Grenouilleau rappelle que «la traite anglaise, apparemment la plus profitable de toutes, n'a, en moyenne annuelle, jamais rapporté guère plus de 10%» (soit bien moins que le taux de 15% auxquelles s'astreignent nos actuelles multinationales !).

Le mercantilisme cède la place à la fin du siècle des Lumières (XVIIIe siècle) à l'idéologie libérale d'Adam Smith, qui prône la libre entreprise sous la protection d'un État garant de la morale et du droit (rien à voir avec l'«ultralibéralisme» contemporain, qui revendique l'extinction de l'État).

C'est aussi le moment où l'on remet en question l'esclavage et l'économie de plantation mais les deux phénomènes, s'ils sont concomitants, ne sont pas nécessairement liés, comme le montre Olivier Pétré-Grenouilleau dans ses développements sur l'histoire des abolitionnismes.

L'historien conclut son enquête par la place des traites négrières dans l'histoire de l'Occident et, bien entendu, de l'Afrique.

André Larané.

Publié ou mis à jour le : 10/06/2016 09:42:47

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