Dans l'histoire de l'école, le milieu du XVe siècle marque une étape capitale. Fini les livres hors de prix parce que rédigés à la main, l'imprimerie est arrivée !
Les ouvrages se multiplient et avec eux les personnes désirant y accéder. Cette soif de connaissances est nourrie par la Réforme protestante qui insiste sur l'importance de la découverte personnelle des textes sacrés. Dans le camp adverse, l'alphabétisation devient une arme : il faut rapidement améliorer la formation du clergé et moraliser les plus jeunes pour lutter contre la nouvelle hérésie.
Les bourgeois qui s'enrichissent à cette époque trouvent donc des écoles pour offrir à leurs enfants ces connaissances qui leur semblent désormais indispensables. Il faut dire qu'un vent de renouveau souffle sur l'école.
D'un côté le pouvoir se fait centralisateur et incite, notamment par l'ordonnance de Villers-Cotterets (1539) à rédiger, en français, les actes officiels. De l'autre les humanistes ne veulent plus de l'enseignement scolastique qui a fait la gloire du « beau Moyen Âge » mais est devenu purement livresque et basé sur la mémorisation.
Il faut former un homme complet en élargissant les horizons de la connaissance, en alliant théorie et pratique, en associant corps et esprit. De Montaigne qui demande « Qu’on lui [à l'enfant] mette en fantaisie une honnête curiosité de s’enquérir de toutes choses » (Essais, 1572) à Rabelais qui impose à son Gargantua une étude continuelle pour acquérir un savoir encyclopédique, des leçons de choses et des exercices physiques, l'éducation idéale est au centre des préoccupations.
Dans la réalité, les précepteurs ou les maîtres font ce qu'ils peuvent pour apprendre à lire, en latin, aux petits. Ensuite seulement on passe à l'apprentissage de l'écriture et du calcul. Mais petit à petit l'instruction gagne du terrain au point que près d'un quart des adultes sont capables de signer un document au début du XVIIe siècle.
L'école, « une vraie geôle de jeunesse »
Montaigne consacre bien sûr une partie de ses Essais à l'éducation. Il y attaque les anciennes méthodes de pédagogie...
« [J]e ne veux pas qu’on emprisonne ce garçon, je ne veux pas qu’on l’abandonne à la colère et humeur mélancolique d’un furieux maître d’école ; je ne veux pas corrompre son esprit à le tenir à la gêne et au travail, à la mode des autres, quatorze ou quinze heures par jour, comme un portefaix ; ni ne trouverais bon, quand, par quelque complexion solitaire et mélancolique, on le verrait adonné d’une application trop indiscrète à l’étude des livres, qu’on la lui nourrît ; cela les rend ineptes à la conversation civile, et les détourne de meilleures occupations. […] C’est une vraie geôle de jeunesse captive. Arrivez-y sur le point de leur office ; vous n’oyez que cris, et d’enfants suppliciés, et de maîtres enivrés en leur colère. Quelle manière pour éveiller l’appétit envers leur leçon, à ces tendres âmes et craintives, de les y guider d’une trogne effroyable, les mains armées de fouets ! Inique et pernicieuse forme ! […] Combien leurs classes seraient plus décemment jonchées de fleurs et de feuillées, que de tronçons d’osier sanglants ! » (Montaigne, Essais, 1572)
Un Soleil peu inspiré
« Le droit d'écolage » : c'est ainsi qu'on appelle au XVIIe siècle ce que les parents versent au maître, peu formé, pour assurer la scolarité de leurs enfants.
Quelques sous, quelques œufs suffisent pour que les petits apprennent la Bible, la politesse et quelques notions de lecture dans un coin du presbytère. C'est souvent suffisant pour les paysans qui attendent Pâques et le retour de leurs enfants à la ferme, jusqu'à la Toussaint.
En ville, tout un réseau de « petites écoles » continue à se mettre en place, notamment à destination des plus pauvres grâce à l'œuvre de Jean-Baptiste de La Salle. Fondateur de l'Institut des Frères des écoles chrétiennes, il essaime à partir de 1680, en grande partie dans le nord de la France, ses « Frères ignorantins » qui vont permettre de scolariser gratuitement les enfants.
Du côté des filles, ce sont les congrégations féminines comme les Ursulines ou les Visitandines qui vont s'en charger, trouvant là l'occasion de faire œuvre charitable.
Hostile à l'alphabétisation, qu'il soupçonne de vider les campagnes, l'État se montre longtemps peu intéressé par le problème, laissant l'affaire aux religieux, jusqu'à ce que Louis XIV se laisse convaincre par Mme de Maintenon d'ouvrir en 1686 dans le parc de Versailles une maison d'éducation destinée aux jeunes filles pauvres de la noblesse.
Le Roi-Soleil ne va finalement pas s'arrêter à la création d'une pension tout confort, vite déménagée à Saint-Cyr : il promulgue le 13 décembre 1698 une ordonnance demandant « que l’on établisse autant qu’il sera possible des maîtres et des maîtresses dans toutes les paroisses où il n’y en a point pour instruire tous les enfants au catéchisme […] pour apprendre à lire et à écrire à ceux qui pourront en avoir besoin ».
Ce beau projet n'est pas sans arrière-pensées puisqu'il s'agit ici, 13 ans après la révocation de l'édit de Nantes, de placer toutes les écoles entre les mains du clergé et ainsi lutter contre le protestantisme. L'éducation est plus que jamais un outil politique. Malgré l'indifférence des curés et l'hostilité des parlements, les « petites écoles » prescrites par le roi vont peu à peu s'établir dans les campagnes (note).
En 1762 paraît un livre qui va bouleverser les familles : dans Émile ou De l'éducation, Jean-Jacques Rousseau propose une nouvelle vision de l'enfance. Mais que pense-t-il de l'alphabétisation ?
« En ôtant ainsi tous les devoirs des enfants, j’ôte les instruments de leur plus grande misère, savoir les livres. La lecture est le fléau de l’enfance, et presque la seule occupation qu’on lui sait donner. À peine à douze ans Émile saura-t-il ce que c’est qu’un livre. Mais il faut bien au moins, dira-t-on, qu’il sache lire. J’en conviens : il faut qu’il sache lire quand la lecture lui est utile ; jusqu’alors elle n’est bonne qu’à l’ennuyer. […]
L’intérêt présent, voilà le grand mobile, le seul qui mène sûrement et loin. Émile reçoit quelquefois de son père, de sa mère, de ses parents, de ses amis, des billets d’invitation pour un dîner, pour une promenade, pour une partie sur l’eau, pour voir quelque fête publique. Ces billets sont courts, clairs, nets, bien écrits. Il faut trouver quelqu’un qui les lui lise [...] on voudrait essayer de les déchiffrer ; on trouve tantôt de l’aide et tantôt des refus. On s’évertue, on déchiffre enfin la moitié d’un billet : il s’agit d’aller demain manger de la crème... on ne sait où ni avec qui... Combien on fait d’efforts pour lire le reste ! je ne crois pas qu’Émile ait besoin du bureau. Parlerai-je à présent de l’écriture ? Non, j’ai honte de m’amuser à ces niaiseries dans un traité de l’éducation » (Jean-Jacques Rousseau, Émile ou De l'éducation, 1762).
La liberté par l'écriture
Le XVIIIe siècle se démarque par une volonté de plus en plus marquée, de la part des communautés rurales, d'accéder non seulement à la lecture mais aussi, fait nouveau, à l'écriture.
Il s'agit non seulement d'acquérir un bagage minimum pour aller travailler en ville, mais aussi d'accéder à une certaine forme d'autonomie vis-à-vis des autorités, qu'elles soient politiques ou religieuses.
Pour les jeunes filles, écrire permet d'échapper quelque peu à l'autorité du père, du mari ou du curé. Cette aspiration populaire rejoint les rêves de certains philosophes comme Emmanuel Kant qui y voit un moyen d'échanger les idées et donc de s'émanciper.
Rien de moins utile pour Voltaire ou encore Rousseau qui est très clair : « Les pauvres n’ont pas besoin d’éducation, celle de son état est forcée ; il n’en saurait avoir d’autres. » Il rejoint en cela l'idée courante qu'il ne faut pas inciter les jeunes paysans et artisans à adopter une autre profession. Chacun sa place ! Mais rien n'arrête le processus : à la veille de la Révolution, on trouve des petites écoles dans la majorité des paroisses, et le taux d’analphabètes, incapables de signer leur nom, est tombé à 60 %.
Poussés par une nouvelle conception du peuple, composé de citoyens et non plus de sujets, les réformateurs de 1789 se lancent dans la formation de l'homme nouveau sous l'égide de l'État et non plus des religieux. Pour Condorcet, l'école doit être laïque, gratuite et ouverte aux deux sexes.
Robespierre imagine des internats obligatoires pour séparer l'enfant de sa famille et faire ainsi table rase du passé. Mais ces belles ambitions se heurtent à la réalité et à la méfiance des familles. En 1795, l'instruction élémentaire est donc confiée aux départements qui, faute de moyens et d'accord sur les programmes, laissent les projets d'éducation généralisée au stade d'ébauche.
Les écoles privées, confortées par le Concordat de 1802 qui permet le retour des congrégations enseignantes, ont le champ libre.
C'est Condorcet qui, le premier, imagina une école publique. Voici un extrait de ses Cinq mémoires sur l'instruction publique de 1791 :
« L’instruction publique est un devoir de la société à l’égard des citoyens.
Vainement aurait-on déclaré que les hommes ont tous les mêmes droits ; vainement les lois auraient-elles respecté ce premier principe de l’éternelle justice, si l’inégalité dans les facultés morales empêchait le plus grand nombre de jouir de ces droits dans toute leur étendue. […] Cette obligation consiste à ne laisser subsister aucune inégalité qui entraîne de dépendance. Il est impossible qu’une instruction même égale n’augmente pas la supériorité de ceux que la nature a favorisés d’une organisation plus heureuse.
Mais il suffit au maintien de l’égalité des droits que cette supériorité n’entraîne pas de dépendance réelle, et que chacun soit assez instruit pour exercer par lui-même et sans se soumettre aveuglément à la raison d’autrui, ceux dont la loi lui a garanti la jouissance.
Ainsi, par exemple, celui qui ne sait pas écrire, et qui ignore l’arithmétique, dépend réellement de l’homme plus instruit, auquel il est sans cesse obligé de recourir. Il n’est pas l’égal de ceux à qui l’éducation a donné ces connaissances ; il ne peut pas exercer les mêmes droits avec la même étendue et la même indépendance » (Nicolas de Condorcet, Cinq mémoires sur l’instruction publique, 1791).
Enseigner l'Histoire
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daniel adam-salamon (02-09-2023 14:06:51)
Sur le « Plan d’éducation nationale de Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau » L’école sous la Révolution s’inscrit dans l’histoire politique et religieuse des années 1760 – 188... Lire la suite