La Belgique, État improbable, n'en finit pas de s'interroger sur son identité, son passé, son présent et son avenir. Curieux État il est vrai, guère plus étendu que la Bretagne (30 000 km2) mais trois fois plus peuplé (10 millions d'habitants), né en 1830 de la scission des Pays-Bas.
À défaut d'une d'une langue commune, les Belges partagent un art de vivre original, tissé d'humour et d'épicurisme. Au carrefour de toutes les cultures ouest-européennes, ils ont en commun la bande dessinée et le football, la bière et le cyclisme, les Brueghel, Paul Rubens et René Magritte, Hans Memling et Charles Quint, Jacques Brel, Georges Simenon et Hergé... ce qui n'est pas rien !
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Les Belges sont cités pour la première fois dans le compte-rendu de Jules César sur La Guerre des Gaules. Depuis cette date, il y a 2000 ans, ils ont connu bien des avatars sans jamais perdre leur spécificité : germaniques par un bout, romans par l'autre. En 1830 naît la Belgique sur un air d'opéra...
Désordres féodaux
Les Belges sont, comme les Gaulois, cités pour la première fois dans La Guerre des Gaules. L'auteur de ce chef-d'oeuvre littéraire, qui n'est autre que Jules César, souligne la vigueur avec laquelle ces guerriers des régions situées entre la Seine et la Meuse s'opposent à ses légions.
Établi dans la région de Tournai, le peuple franc fonde un premier grand État sur les ruines de l'empire romain, le « Regnum francorum » ou Royaume des Francs. La France et l'Allemagne en sont issus.
Au Moyen Âge, la Belgique, qui n'est encore qu'un concept géographique et non national, est divisée entre d'innombrables seigneuries plutôt prospères et dynamiques, plus ou moins indépendantes : comté de Flandre, duchés de Brabant et de Hainaut, évêché de Liège...
• Conformément au traité de Verdun (843), les comtés de Flandre, de Boulogne et d'Artois, à l'ouest de l'Escaut, font allégeance aux rois capétiens.
• À l'est de l'Escaut et jusqu'au Rhin, on quitte le domaine capétien pour entrer dans le duché de Basse-Lorraine. Bien qu'essentiellement francophone, il en vient à faire partie du Saint Empire romain germanique.
Les villes flamandes de l'ouest acceptent avec réticence la suzeraineté française car elles tiennent à commercer librement avec les Anglais, ennemis traditionnels des Capétiens. Le comte de Flandre figure au premier rang des ennemis de Philippe Auguste à la bataille de Bouvines (1214). Avec la bataille de Courtrai, le roi Philippe IV le Bel tente de remettre les Flamands dans le droit chemin mais il doit y renoncer... Il faudra attendre Louis XIV et le traité d'Aix-la-Chapelle de 1668 pour que la Flandre méridionale, autour de Lille, Boulogne et Arras, entre dans le giron français !
En 1339, profitant de la guerre entre France et Angleterre, la Flandre, le Hainaut et le Brabant-Limbourg se lient par un pacte pour consolider leur indépendance. Ainsi s'efface la frontière linguistique de l'Escaut.
Charles Quint réunit les Dix-Sept Provinces
En 1369, Marguerite de Male, comtesse de Flandre, épouse le duc de Bourgogne Philippe le Hardi. Leur petit-fils Philippe le Bon acquiert le comté de Namur, le duché de Brabant-Limbourg, puis les comtés de Hainaut, Zélande, Hollande et Frise, et jusqu'à l'évêché de Liège, jusque-là indépendant.
Liège, au confluent de la Meuse et de l'Ourthe, occupe une place à part dans l'histoire de la Belgique. Cette ville de culture doit sa prospérité à la fondation d'un évêché vers 720, à l'époque des premiers Pippinides ou Carolingiens.
Les évêques successifs protègent leur indépendance face aux empereurs allemands mais, dès le XIIIe siècle, doivent céder aux bourgeois de leur ville la gestion communale. Les milices communales sont défaites en 1408 à Othée par les troupes de l'évêque et de son beau-frère, le duc de Bourgogne Jean sans Peur. Elles se révoltent une nouvelle fois contre son fils Charles le Téméraire mais sont défaites à Brustem ; le duc entre triomphant à Liège le 17 novembre 1467. L'année suivante, encouragés par le roi de France Louis XI, les Liégeois sont une nouvelle fois écrasés. Ils voient leur ville rasée puis annexée par le duc. La principauté ecclésiastique recouvrera toutefois son indépendance en 1492, pour trois siècles, jusqu'à l'arrivée des révolutionnaires français !
Ainsi les Pays-Bas et la Belgique se trouvent-ils pour la première fois unis sous la férule d'un même souverain, le duc de Bourgogne. Pour le meilleur comme en témoigne la floraison de grands artistes : Hans Memling, Roger de la Pasture, Jan van Eyck, Claus Sluter...
Après la mort tragique de Charles le Téméraire, cet héritage fabuleux passe à Maximilien Ier de Habsbourg, époux de Marie de Bourgogne, fille unique du dernier duc de Bourgogne.
Le petit-fils de Maximilien, l'empereur Charles Quint n'aura de cesse de consolider ses possessions occidentales. De 1521 à 1549, il acquiert Tournai, la seigneurie de Frise, la principauté d'Utrecht, la seigneurie de Groningue et la Gueldre (nord des Pays-Bas actuels).
Par le traité de Madrid (1526) et la paix de Cambrai (1529) avec François Ier, il rompt les liens féodaux entre ses possessions et la dynastie capétienne.
Né près de Gand et de culture française, Charles Quint est attaché à ses « Dix-Sept Provinces » des Pays-Bas plus qu'à aucune autre de ses immenses possessions. À ce titre, il peut être considéré comme le premier souverain belge !
Il organise les Dix-Sept Provinces (« mes pays d'en bas » comme il les appelle) sous la forme d'un cercle de Bourgogne, une administration centralisée et efficace qu'il confie à sa tante Marguerite d'Autriche puis à sa soeur Marie de Hongrie. Il se montre toutefois respectueux des libertés locales.
Plus prospères qu'aucune autre région d'Europe grâce à l'industrie du drap, au commerce, à la pêche, à l'agriculture... les Dix-Sept Provinces connaissent une très grande effervescence intellectuelle et culturelle.
Ainsi accueillent-elles avec ferveur l'imprimerie et la Réforme protestante. Il s'ensuit des persécutions et des déchirements qui ternissent la fin du règne de Charles Quint et le règne de son fils et successeur, le roi d'Espagne Philippe II.
À la fin du XVIe siècle, la religion protestante (version calviniste) s'impose dans les provinces du Nord tandis que le Sud (la Belgique et le Nord de la France actuelles) reste bon gré mal gré fidèle au catholicisme et à l'Espagne. C'est la scission. Le Nord calviniste devient indépendant sous le nom de Provinces-Unies.
Au sud, les Jésuites assurent le triomphe de la Contre-Réforme catholique. Malgré les conditions douloureuses de leur naissance et leur implication dans les guerres européennes, les Pays-Bas espagnols (l'actuelle Belgique) s'épanouissent sous la gestion quelque peu débonnaire des Habsbourg d'Espagne puis d'Autriche. On conserve le souvenir de leur plus prestigieux enfant, le peintre baroque Pierre Paul Rubens.
Champ de bataille européen
Par les traités d'Utrecht (1713) et de Rastatt (1714), les Pays-Bas espagnols tombent dans l'escarcelle des Habsbourg d'Autriche.
Mécontents de la politique centralisatrice et antireligieuse de l'empereur Joseph II, les Pays-Bas autrichiens se soulèvent en 1789, l'année même de la Révolution française.
Connu sous le nom de « Révolution brabançonne », parce que né au Brabant, la province de Bruxelles, ce mouvement patriote aboutit le 10 janvier 1790 à la proclamation des États belgiques unis !
Dès la fin de l'année 1790, Léopold II, successeur de Joseph II sur le trône de Vienne, profite des divisions entre les patriotes belges pour rétablir son autorité sur le pays. Il abolit par précaution les réformes de son maladroit prédécesseur.
En 1792, les révolutionnaires français, en guerre contre Vienne, n'ont qu'une hâte, c'est d'occuper les Pays-Bas autrichiens, menaçants car très proches de Paris.
Pour la maîtrise d'Anvers, Bruxelles, Liège et la Belgique, Anglais et Français vont se faire la guerre jusqu'à la défaite totale des seconds, en 1815, à Waterloo (en Belgique !).
Les Anglais obtiennent la création d'un État-tampon au nord de la France, le royaume des Pays-Bas. Mais cette construction artificielle, dans laquelle les Bruxellois et wallons se sentent humiliés, ne dure guère. Elle aboutit à la nouvelle scission de 1830 et à la naissance de la Belgique moderne.
Le nouvel État, dirigé par un roi et une bourgeoisie très francophile, magnifié par d'illustres écrivains de langue français (y compris ceux d'origine flamande : Émile Verhaeren, Maurice Maeterlinck, Charles de Coster... Jacques Brel), va laisser croire au monde entier qu'il est lui-même à dominante francophone (c'est heureusement en français qu'il va administrer et éduquer sa colonie du Congo).
Tensions communautaires
En 1914 comme en 1940, le malheureux pays retrouve sa vocation de champ de bataille de l'Europe. Ses habitants subissent dès août 1914 les exactions de l'envahisseur allemand (6 000 à 25 000 victimes civiles). En lot de consolation, après la Seconde Guerre mondiale, sa capitale Bruxelles a l'honneur d'accueillir le siège de l'OTAN et mieux encore les principales institutions européennes.
C'est seulement en 1932 que la question linguistique, sous-jacente, s'impose dans le débat politique, sous la pression des Flamands majoritaires, avec la reconnaissance officielle de deux zones linguistiques : au nord, le flamand, au sud, le français ; la capitale Bruxelles gardant un statut bilingue.
Considérée à tort par beaucoup comme une relique médiévale, la monarchie demeure depuis les origines le principal facteur d'unité de la Belgique, sinon le seul ! Elle illustre la devise du pays : « L'union fait la force » (en flamand : Eendracht maakt macht).
Léopold Ier (roi des Belges de 1831 à 1865) oriente sans réticence la Belgique vers un régime parlementaire.
Son fils et successeur Léopold II (1835-1909) favorise l'industrialisation du royaume et finance de ses deniers l'expansion ultramarine et la conquête du Congo, au demeurant très critiquée.
Albert Ier (1909-1934) suscite l'admiration par son engagement personnel pendant la Grande Guerre sur le front de l'Yser. Son successeur Léopold III (1934-1951) a une attitude beaucoup plus équivoque après l'invasion allemande de 1940. Il demeure en Belgique, en résidence surveillée au château de Laeken, contre l'avis de son gouvernement, réfugié à Londres.
À la Libération, Charles, frère cadet du roi, assume la régence en l'absence de son frère, resté en Suisse. La « Question royale » divise le pays : appelés à se prononcer par référendum en mars 1950 sur le retour de Léopold sur le trône, les Flamands répondent Oui à 70% et les Wallons Non à 57% ! Léopold III met tout le monde d'accord en abdiquant au profit de son fils. Baudouin Ier monte sur le trône le 16 juillet 1951, à 20 ans.
Dans les années 1950, les différentes régions sont frappées par de douloureuses crises économiques et, pour y faire face, le gouvernement promulgue en novembre 1960 une « Loi unique » qui confère aux régions la responsabilité des politiques économiques.
C'est l'amorce d'un fédéralisme qui ne va dès lors cesser d'étendre ses prérogatives aux dépens de l'État central.
Il n'atténue pas pour autant les tensions entre Wallons francophones et Flamands. Au contraire, celles-ci s'exacerbent car les extrémistes flamands craignent que le domaine francophone ne s'étende aux dépens de la Flandre.
Pour tenter de calmer le jeu, le gouvernement fige la frontière linguistique par la loi du 8 novembre 1962. L'année suivante est établi le principe de l'unilinguisme des régions.
Il s'ensuit des contestations interminables, comme à propos des Fourons, un village à majorité néerlandophone enclavé dans la province de Liège et finalement rattaché au Limbourg flamand, ou de la section francophone de l'Université catholique de Louvain, en Flandre, qui est finalement transférée dans le Brabant wallon.
En 1970, la Constitution reconnaît trois communautés culturelles : francophone, néerlandophone et germanophone, ainsi que trois Régions : Flandre, Wallonie et Bruxelles-Capitale. En 1993, enfin, la Belgique devient proprement fédérale mais rien ne dit qu'elle en reste là...
C'est qu'à l'aube du IIIe millénaire, le déclin démographique, industriel et économique des cités francophones (Liège, Namur, Charleroi...) et le dynamisme de la Flandre ajoutent des clivages sociaux aux clivages linguistiques.
La Belgique est au sixième rang des pays les plus riches du monde avec un PIB/habitant (2006) d'environ 28 000 euros en moyenne mais de 56 000 à Bruxelles, 28 000 en Flandre et « seulement » 20 000 en Wallonie.
Les prospères Flamands accusent ad nauseam les Wallons de leur coûter trop cher en dépenses sociales et indemnités de chômage. De linguistiques, les revendications de la majorité flamande sont ainsi devenues proprement nationales et laissent planer l'éventualité d'une Flandre indépendante, lointaine héritière du comté de Flandre...
La ligne de partage antique entre parlers romans et parlers germaniques traverse la Belgique comme elle a traversé aussi la France, avec d'un côté des patois de « thiois » (du flamand diets qui signifie « peuple » ; d'où dutch en anglais pour hollandais), de l'autre des patois romans. Au début du XXe siècle, en Belgique comme en France, toutes les élites parlents français tandis que la paysannerie s'en tient à ses patois.
C'est à ce moment qu'émergent les clivages entre flamingants et francophones. Le 7 juillet 1912, un Congrès wallon réuni à Liège se déclare en faveur d’une « séparation administrative » entre la Flandre et la Wallonie. Quelques semaines plus tard, le socialiste Jules Destrée fait paraître sa Lettre au roi sur la séparation de la Flandre et de la Wallonie qui contient cette phrase célèbre : « Sire (...) Vous régnez sur deux peuples. Il y a en Belgique, des Wallons et des Flamands ; il n'y a pas de Belges. »
À partir de 1916, pendant la Première Guerre mondiale, l'occupant allemand s'est habilement appuyé sur ces minorités revendicatives pour diviser la Belgique, avec l'intention sous-jacente de vassaliser le nord flamingant ou « germanique ». C'est ainsi qu'il a imposé le néerlandais comme langue d'enseignement dans l'université de Gand... Cette politique sera reprise par l'occupant nazi pendant la Seconde Guerre mondiale.
En 1927, Reimond Sanders invente dans son roman Aan de Vlaamschen Yser la fable selon laquelle les poilus flamands auraient été massacrés pendant la Grande Guerre faute de comprendre les ordres donnés en français par leurs officiers. Mais le même problème, au demeurant très exagéré, se posait pour les poilus bretons, alsaciens, corses, auvergnats et même wallons.
Le clivage linguistique apparaît en définitive comme un prétexte à la division entre un nord riche et un sud déclinant.
Concluons par ce mot typiquement belge : Si vous avez compris quelque chose à la Belgique, c'est qu'on vous a mal expliqué !
• 10 mai 1940 : Hitler envahit la Belgique
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Voir les 9 commentaires sur cet article
Lionel (17-07-2024 15:18:05)
Éduquer sa colonie du Congo dit l'auteur au sujet de Leopold II. Je trouve que c'est une bien curieuse façon de dire les choses quand on pense aux abominations et souffrances dont on été victimes ... Lire la suite
xuani (06-10-2021 17:53:37)
Une réflexion tardive. Ce n'est pas le flamand qui est utilisé à l'université de Gand (voir le dernier encart), mais le néerlandais, une langue véhiculaire issue de l'harmonisation des différen... Lire la suite
Kuromaku (10-07-2018 11:11:10)
Comme les lois l'histoire ne peut être écrite sans trembler. Merci d'avoir pris le risque d'écrire la nôtre. Il y aurait, paraît-il, beaucoup de Belges. Mais qu'est-ce qu'un Belge ? J'étais arde... Lire la suite