François Bayrou à Matignon

Président-Premier ministre : un conflit inévitable ?

12 janvier 2025. Après Élisabeth Borne, Gabriel Attal et Michel Barnier, François Bayrou est le quatrième Premier ministre en un an. Cette instabilité gouvernementale rappelle la Troisième République et plus précisément l’année 1934 qui a connu quatre présidents du Conseil (Chautemps, Daladier, Doumergue, Flandin) dans un contexte dramatique, sous la présidence d’Albert Lebrun.

Le président Emmanuel Macron et  son allié François Bayrou, chef de file du ModemAlors quelle espérance de vie pour le couple exécutif, Macron-Bayrou ? Sous la Vème République, le record de longévité est toujours détenu par le tandem de Gaulle-Pompidou (six ans, de 1962 à 1968) et le record de brièveté par Macron-Barnier (trois mois, de septembre à décembre 2024).

Comme ses prédécesseurs, le duo Macron-Bayrou sera confronté aux ambiguïtés de cette dyarchie au sommet de l’État. Et peut-être plus encore en raison d’une tripartition paralysante au sein d’une Assemblée nationale en quête d’improbables compromis.

Outre le contexte politique inédit depuis les dernières élections législatives, le plus frappant dans la nomination de François Bayrou à l’hôtel Matignon, résidence du Premier ministre, c’est qu’elle s’est produite à l’issue d’un bras de fer avec le président de la République contraint de s’incliner devant le rapport de force instauré par un prétendant qui n’avait pas sa préférence.

C'est un phénomène très rare dans l’histoire de la Vème République au cours de laquelle le chef de l’État a quasiment toujours imposé sa prévalence dans le choix de son Premier ministre.

Macron-Bayrou comme Chirac-Villepin

En cela la désignation de François Bayrou s’apparente à celle de Dominique de Villepin en 2005. Après le rejet par les Français du traité sur la Constitution européenne par 54,6 % des voix, Jean-Pierre Raffarin n’entendait pas rester à Matignon. Déjà quelques jours auparavant, il en avait informé Jacques Chirac.

Deux jours avant le scrutin, Michèle Alliot-Marie, ministre de la Défense, semblait tenir la corde pour lui succéder. Elle raconte : « Le vendredi précédant le référendum sur l’Europe, Jean-Pierre Raffarin m’appelle pour m’annoncer de me préparer à occuper Matignon. Il a annoncé au Président son souhait de partir, celui-ci a finalement accepté, et lui a confirmé m’avoir choisie pour lui succéder. Il a dit à Dominique de Villepin qu’il ne voulait pas lui confier Matignon » (Michèle Alliot-Marie, Au cœur de l’Etat, Plon, 2013). Au cabinet de la ministre c’est l’effervescence ; on débouche le champagne. On s’y voit déjà !

C’était sous-estimer la pugnacité de Dominique de Villepin, ministre de l’Intérieur. Le samedi matin, il revient à la charge auprès de Jacques Chirac ; il lui explique pendant deux heures quelles seraient ses priorités s’il était nommé à Matignon. En fin d’après-midi, il retourne à l’Élysée. Le dimanche dans la soirée, le match Villepin-Alliot-Marie est plus équilibré dans la tête du Président. À minuit, Chirac appelle Villepin pour une ultime analyse des résultats du référendum perdu. Le ministre de l’Intérieur n’hésite pas à bousculer le chef de l’État, à le mettre sous pression de manière inédite : « Vous n’avez pas le choix, monsieur le Président. Soit vous nommez Sarkozy, soit vous nommez Villepin. Ce sont deux choix différents mais deux choix qui tiennent la route. Il fait bien que vous le compreniez, vous avez tout perdu, monsieur le Président. » (Bruno Le Maire, Des hommes d’État, Grasset, 2008.).

Tension maximale au sommet de l’État. Jamais un ministre n’avait parlé avec autant de rudesse à un président de la République. « Villepin avait monté toute une dramatisation, disant que le pays était en état insurrectionnel, que les Français allaient marcher sur l’Élysée, que le rejet de la politique gouvernemental était total », indique Raffarin (Jean-Pierre Bédéï, Sur proposition du Premier ministre, L’Archipel, 2015). Le lundi, Chirac reçoit à nouveau Villepin, puis Alliot-Marie, avant de prendre sa décision en faveur du premier. « Ce qui a fait basculer Chirac, c’est le forcing de Villepin. Il a arraché sa nomination », constate Raffarin. « Villepin s’est imposé, il a pris Matignon », confirme Le Maire.

C’est un scénario similaire qui s’est produit lors de la nomination de François Bayrou. Alors que Macron avait plutôt jeté son dévolu sur Sébastien Lecornu, ministre de la Défense, c’est le forcing de Bayrou qui a fait céder le chef de l’État. Certes, le Béarnais a des manières plus policées que Villepin, mais il a fait preuve d’une ténacité et d’une pugnacité équivalentes. Car c’est à l’issue de nombreuses et longues rencontres et de maints échanges durant deux jours avec le Président, qu’il est parvenu faire pencher la balance en sa faveur.

Villepin avait employé la dramatisation pour amener Chirac à céder ; Bayrou, lui, a utilisé le chantage au soutien de son parti, le MoDem, à la majorité. En réalité, tous deux ont profité pour s’imposer de l’affaiblissement de leurs présidents respectifs (Chirac à la suite de sa défaite lors du référendum, et Macron après l’échec de sa dissolution de l’Assemblée nationale).

Une différence existe néanmoins entre les deux situations : Chirac et Villepin disposaient d’une majorité parlementaire stable, alors que Macron et Bayrou sont en quête d’une majorité qui doit être bâtie à coup de compromis aléatoires… Ce qui donne plus de latitude à Bayrou par rapport à Macron et lui permettra peut-être de coller davantage au texte de la Constitution qui stipule que « le Premier ministre dirige l’action du gouvernement, détermine et conduit la politique de la nation ».

Une cohabitation rarement sereine

Reste que jusqu’à la dissolution intempestive de juin 2024, hormis les périodes de cohabitation entre Président et Premier ministre de camps opposés, l’exercice du pouvoir a généralement brouillé la répartition des tâches au sein du duo exécutif au profit du Président, ainsi que l’a bien montré l’historien Jean Garrigues (Élysée contre Matignon, Tallandier, 2022).

Cela commence à chaque fois dès la composition du gouvernement. Les ministres et les secrétaires d’État sont nommés par décret du Président, sur proposition du Premier ministre. En clair, aucun membre du gouvernement ne peut être désigné sans l’aval du président de la République… qui ne se prive pas d’imposer ses choix. Un exemple parmi d’autres ? En 2002, lorsque Chirac est réélu à l’Élysée, il promeut Jean-Pierre Raffarin à Matignon. Lors de leur premier entretien, celui-ci constate que la formation du gouvernement a déjà commencé… sans lui. Chirac lui annonce qu’il a décidé de confier l’Intérieur à Sarkozy, les Affaires étrangères à Villepin et la Défense à Alliot-Marie. S’il y a bien concertation entre les deux têtes de l’exécutif, le Président reste le maître du jeu.

Dans le fonctionnement au quotidien au sommet de l’État, le Président a tendance à empiéter sur les plates-bandes du locataire de Matignon, voire à le considérer comme un simple « collaborateur », selon l’expression utilisée par Nicolas Sarkozy pour qualifier François Fillon. 

Déjà, en 1962, le général de Gaulle disait à Alain Peyrefitte : « N'employez pas l'expression "chef du gouvernement" pour parler du Premier ministre. Le chef du gouvernement, c'est moi. Le Premier ministre est le premier des ministres, primus inter pares, il coordonne leur action, mais il le fait sous la responsabilité d'un président de la République qui dirige l'exécutif sans partage. » Michel Debré, en qui de Gaulle avait placé toute sa confiance à Matignon, reconnaissait que « la tendance d’un chef d’État (…) est de voir en son Premier ministre un « super-directeur de cabinet ».

Gare à ceux qui veulent s’émanciper ou moderniser le camp présidentiel tout en en nourrissant des ambitions élyséennes. Ils sont limogés sans ménagement comme Jacques Chaban-Delmas par Georges Pompidou ou Michel Rocard par François Mitterrand. À l’Élysée, on veut des disciples et non des hérétiques à Matignon. Dans le couple exécutif, les relations de confiance sont fragiles.

Enfin, sous la Vème République, deux anciens Premiers ministres seulement sont devenus présidents de la République : Georges Pompidou et Jacques Chirac. Encore ne sont-ils pas passés directement de la case Matignon à celle de l’Elysée….

Jean-Pierre Bédéï
Publié ou mis à jour le : 2025-01-11 19:52:22

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