Voilà une histoire qui... ne manque pas de sel ! Comment, me direz-vous, pourrait-on s'en passer ? Parce que l'Homme en a besoin pour vivre, le sel est vite devenu incontournable dans les échanges tout autant que sur les tables. Fort de réserves inépuisables, il est devenu un ingrédient banal de notre quotidien que l'on ne remarque plus que quand il est manquant dans la soupe ou la machine à laver.
Pourtant, notre fragile compagnon peut se targuer d'avoir été à l'origine de bien des croyances, des accords commerciaux ou des technologies, mais aussi de vives contestations lorsqu'il s'est fait trop désirer. C'est dire si on l'aime !
Définir le sel ? Rien de plus difficile pour les savants d'autrefois, à commencer par le potier et chimiste Bernard Palissy qui s'y perd quelque peu lorsqu'il tente d'en définir la présence dans différents éléments...
« Je te dis qu'il y en a un si grand nombre qu'il est impossible à nul homme de les pouvoir nommer ; et te dis davantage qu'il n'y a nulle chose en ce monde qu'il n'y ait du sel, soit en l'homme, la bête, les arbres, plantes ou autres espèces de végétatifs, voir même les métaux. […] Si le sel était ôté du corps de l'homme, il tomberait en poudre en moins d'un clin d'oeil. […] Si le sel était séparé des pierres qui sont ès bâtiments, elles tomberaient soudain en poudre. […] La couperose est un sel, le vitriol est un sel, le borax est un sel, le sucre est sel […]. Si je voulais les nommer tous, je n'aurais jamais fait ! » (Discours admirables de la Nature des eaux et fontaines, etc, 1580).
Régime sans sel
Un gigot de cheval, une côtelette de renne... À la Préhistoire, on ne s'embête pas à chercher du sel, il suffit de suivre le régime traditionnel, fait de viande crue ou éventuellement de poisson.
Il faut dire que les grands froids préservent les chasseurs du Paléolithique de la déshydratation et donc de la carence en sel, comme aujourd'hui les habitants de l'Arctique. Ce ne sera plus le cas avec le réchauffement qui met fin à la dernière glaciation, vers 6000 av. J.-C., et permet de diversifier l'alimentation : on mange désormais plus de fruits, et donc moins de sel.
Mais c'est surtout la révolution néolithique qui va le rendre indispensable à l'Homme et aux animaux qu'il commence à domestiquer. Il y a 10 000 ans, on se régale en effet de viandes désormais cuites, agrémentées de céréales et de légumes. Le manque de sel se fait vite sentir, surtout qu'il est aussi mis à profit pour conserver les aliments et tanner les peaux puisqu'il en adsorbe l'humidité et empêche putréfaction et développement des bactéries.
En cuisine, il a la faculté de faire ressortir les saveurs agréables et de masquer les défauts. On n'ose imaginer le goût des tout premiers fromages, privés de sel... La solution ? Trouver une eau salée, faire évaporer le liquide et conserver la galette de sel ainsi constituée. A Hallstatt, en Autriche, dès le VIIIe siècle avant J.-C., on accumule ainsi des briques du précieux condiment avant de les transporter vers la Baltique et la Méditerranée. Un marché plein d'avenir !
Pouvez-vous me passer le chlorure de sodium ? Si vos compagnons de table vous regardent de travers, c'est qu'ils ne connaissent pas le nom chimique du sel, composé à 60% de chlorure et à 40% de sodium, sans lesquels l'eau ne serait pas retenue dans notre corps et notre cerveau ne recevrait pas les informations envoyées par nos nerfs. Quant à nos muscles, ils deviendraient bien paresseux... Voilà pourquoi on en redemande, et pas seulement parce que la purée est un peu fade ! Mais attention, pas plus de 5 grammes par jour sous peine de voir sa tension faire des bonds de cabri. Une fois sa tâche effectuée, le sodium n'a plus qu'à disparaître dans nos urines et notre sueur.
Qui en veut ?
Le monde méditerranéen a un gros avantage : il ne manque pas de sel. Les salines se multiplient donc dans l'Antiquité, entraînant avec elles la création de gros bourgs comme Provadia, en Bulgarie, qui serait la plus vieille agglomération d'Europe (VIIe siècle av. J.-C.). Au Ve siècle av. J.-C., les Sabins ont la bonne idée d'aménager une route pour apporter le sel d'Ostie aux bergers de l'arrière-pays.
Cette Via salaria n'est que le premier tronçon de tout un réseau qui allait permettre au sel de traverser l'Empire romain, faisant la fortune de villes aussi isolées que Palmyre (Syrie) et Meroë (Soudan), mais poussant à la faillite les salines artisanales locales. Il ne peut y avoir qu'un sel, celui que distribue Rome ! Et parce qu'il en faut toujours plus, la technique de la brique est abandonnée au profit des marais salants, plus efficaces et moins coûteux.
Le monopole d'État et l'évolution des techniques permettent ainsi de garder le prix du sel à un niveau assez faible, comme le montre l'expression « acheté pour du sel » qui désigne en Thrace un esclave sans valeur. Pratique pour conserver les aliments, le condiment doit aussi rester un plaisir accessible pour les Romains qui adorent offrir à leur palais une petite sauce bien relevée, le garum, composée de viscères de poissons agrémentées d'une bonne dose de sel.
Les soldats qui trouvaient encore l'ensemble un peu fade pouvaient toujours piocher dans leur salarium, cette partie de leur paye destinée à l'achat de sel. Heureusement, nous pouvons désormais utiliser notre salaire à d'autres emplettes !
S'il est bien un adepte du sel, c'est Pline l'Ancien. Dans son Histoire naturelle (Ier siècle), il consacre de longues pages à ce produit miracle...
« En mangeant du garum, c'est encore la saveur du sel qu'on recherche. Bien plus, rien mieux que le sel ne fait manger les moutons, les bêtes à cornes et les bêtes de somme ; il augmente la quantité du lait, et donne meilleur goût au fromage. On ne peut donc vivre agréablement sans sel ; et c'est une substance tellement nécessaire que le nom en est appliqué même aux plaisirs de l'esprit ; on les nomme en effet sales (sels). Tous les agréments de la vie, l'extrême gaieté, le délassement du travail, n'ont pas de mot qui les caractérise mieux.
En fait de propriétés médicales, il est piquant, échauffant, détersif, atténuant, résolutif ; seulement il est mauvais à l'estomac, si ce n'est pour exciter l'appétit. On l'emploie contre les morsures des serpents, avec l'origan, le miel et l'hysope ; […] contre les migraines, les ulcères de la tête, les pustules ou boutons, et les verrues commençantes de cette partie, avec du suif de veau ».
Saint sel
Et hop ! Une pincée de sel par-dessus l'épaule gauche ! Ça ne peut pas faire de mal, à part aux mauvais esprits qui rient dans votre dos ! Le sel est en effet un allié de l'Homme, offert par les Dieux de l'Olympe eux-mêmes qui ont eu la bonne idée de le mettre à portée de tous. Il suffit presque de se baisser !
Impérissable, il devient dans la Bible le symbole de l'allégeance des croyants au Créateur et ce, dès la naissance, puisqu'on avait coutume dans l'Antiquité d'en frotter le corps de Bébé. On retrouve ici sa dimension purificatrice qui rendait sa présence obligatoire pour tout sacrifice, au point que le Temple de Jérusalem était à son apogée un de ses plus gros consommateurs !
Le Christ lui-même, dans son Sermon sur la montagne, développe une vision positive grâce à un rapprochement entre le sel et la part divine de l'Homme : « Vous êtes le sel de la terre. [...] Vous êtes la lumière du monde » (Évangile selon Matthieu).
Il n'est pas donc étonnant que la chrétienté, en Occident, poursuive la tradition, notamment en ajoutant le « sel de la sagesse » dans le rite du baptême. Pourtant, au fil des siècles, sa place en liturgie s'est affadie, au point de disparaître complètement. Le sel est-il devenu trop commun ?
Ce n'est pas l'avis du petit peuple qui continua longtemps à observer avec gratitude ce produit plein de vertus. Ajoutez-y un fond de superstition et vous ne vous étonnerez plus de trouver le sel dans les traités d'alchimie, d'alomancie (prédiction par le sel) ou de démonologie.
Il y est expliqué que Satan, entre autres caractéristiques, n'en supporte pas la vue, phobie qui a bien aidé les chasseurs de sorcières. Telle pauvresse n'avait pas de sel sur sa table ? Au bûcher ! Et si quelques pincées bien localisées peuvent réveiller les virilités, gardons-nous de faire chavirer notre salière : comme Judas dans la Cène de Léonard de Vinci, un avenir bien funeste nous attend.
Ce n'est pas la femme de Loth, changée en statue de sel pour avoir été trop curieuse, qui niera à quel point il peut aussi être outil de punition. On raconte d'ailleurs que Rome fit payer à Carthage son arrogance en recouvrant ses terres de sel. Vu la quantité nécessaire, on peut supposer que le pape Boniface, à l'origine de l'histoire, a un peu exagéré !
Au début du XVIe siècle, une farce intitulée Les Hommes qui font saller leurs femmes ravit les spectateurs, avant qu'une nouvelle version, inversant les rôles, ne voit à son tour le jour :
« Dames, avant ! Prenez voz maris tous !
Despouillez-les comme sçavez l’usage !
Salez-les bien, [puis]qu’ilz vous sont trop doux
Et humblement ilz vous rendent hommage.
Pour mon regard, avec vous feray rage
De les saller (sans craindre aucun méchef)
Depuis le bout des piedz jusque[s] au chef.
Tant que le[ur] cul – tant soit puant – s’esvente,
Sallez, sallez, je le dy derechef.
À si beaux faictz, je veux estre présente » (cité dans le site Sotties et farces).
L'or blanc
Toujours plus ! Au Moyen Âge, la population ne cesse d'augmenter et avec elle, les besoins en sel. Comment, sinon, lorsqu'on a tué le cochon, conserver toute l'année saucisses et saucissons ? Dans le sel, bien sûr, dont ils ont tiré leur nom.
Fin stratège, Charlemagne comprend vite qu'il lui faut en organiser le marché et le confie, au IXe siècle, à ses vassaux, seigneurs ou abbés. Mais avec l'apparition des villes, le petit commerce local ne suffit plus, il faut faire voyager le sel dans toute l'Europe, y compris jusqu'aux plus hautes vallées où l'attendent les troupeaux, et dans les pays du Nord pour pouvoir profiter de leurs précieux harengs en cas de disette.
Mais qui dit richesse, dit convoitise... Les Princes s'empressent donc de récupérer les droits sur l'exploitation du sel pour en faire un instrument politique : vive le monopole ! Ainsi sont détruites les salines de Vic en 1326, propriété de l'évêque de Metz, par le duc de Lorraine.
Preuve de la puissance des souverains, le sel se transforme par la même occasion en une belle source de revenus avec la mise en place de la gabelle (de l'arabe kabala, « taxe ») (dico) en 1315 par Louis X, inspiré par le futé Charles d'Anjou, comte de Provence.
Institutionnalisé par Philippe de Valois en 1340, cet impôt indirect qui touche à la fois la production et la consommation devient vite une institution qui va faire grincer des dents pendant pas moins de six siècles.
On vit se construire des greniers à sel où les paysans, obligés par le principe du « sel du devoir » d'en consommer une certaine quantité tous les ans, venaient se ravitailler contre monnaie sonnante et trébuchante, sous l'oeil des « gabelous » chargés de réprimer le faux-saunage, c'est-à-dire la contrebande.
Cette taxe eut une conséquence gastronomique inattendue : parce qu'il était devenu trop cher de saler le beurre pour le conserver, les paysans préférèrent transformer leur lait en fromage. C'est ainsi que l'on peut se targuer d'avoir l'un des plus beaux plateaux de fromages au monde...
Les révoltés du sel
Le principe de la gabelle était foncièrement injuste, non seulement parce qu'elle épargnait nobles, ecclésiastiques et autres « francs-salés », mais aussi parce qu'elle couvrait inégalement le territoire.
Les pays de Grande Gabelle (centre du royaume, Ile-de-France), fortement taxés, jalousaient ceux de Petite Gabelle (régions du Sud) et les régions côtières, exemptées. Des révoltes ne pouvaient qu'éclater, à l'image de celle de 1548 qui secoue la Saintonge. Pourquoi en effet payer alors que les marais salants sont si proches ?
À Bordeaux, c'est le lieutenant du gouverneur qui fait les frais de la « révolte des Pitauds (Piteux) » : il finit enterré, saupoudré de sel, sous le regard d'un jeune garçon du nom de Michel de Montaigne : « Je vis dans mon enfance un gentilhomme commandant une grande ville, confronté à la sédition d’un peuple furieux. Pour éteindre ce commencement de trouble, il prit le parti de sortir du lieu très sûr où il était pour se rendre en face de cette foule de mutins. Mal lui en prit, car il y trouva une mort misérable » (Essais, 1572).
Par la suite, d'autres révoltes tentèrent de mettre fin à cette taxe, comme celle des Nu-Pieds en Normandie (1639) et des Bonnets rouges en Bretagne (1675). Les Révolutionnaires de 1789 avaient également mis en cause cet impôt, abolie par la Constituante de 1790.
Rien de définitif : rétablie sous une autre forme par Napoléon Ier, la taxe sur le sel ne disparaît définitivement qu'en 1946 ! À moins qu'on ne la voie réapparaître un jour ou l'autre, au nom de la bonne santé de nos concitoyens...
« Aumône de Dieu aux pays pauvres » pour l'ethnologue Odile du Puigaudeau, le sel est bien entendu une richesse sous d'autres cieux que les nôtres. Et c'est à dos de lamas, en Bolivie, ou de yacks, au Tibet, que les longues caravanes ont longtemps transporté leur précieux chargement. En Afrique une palmeraie comme Bilma (Niger) a vu parfois se rassembler des milliers de chameaux pour traverser le désert du Ténéré. En 1976, un biologiste français décide de s'y joindre : Théodore Monod.
« A trois kilomètres de la palmeraie, les salines se présentent comme une juxtaposition de bassins […]. Le sel, contenu dans la solution surnaturée, va cristalliser. Il ne reste plus qu'à le recueillir. Mais le dur travail de ces hommes et de ces femmes, peinant au soleil – et quel soleil ! – tous les jours les pieds dans la sauce au chlorure de sodium, est loin d'être achevé. Le sel brut, grumeleux, doit d’abord être pilé et pulvérisé, puis moulé dans des formes […]. Il faut l'avouer, ces sortes de suppositoires géants ou de chapeaux à la Diafoirius présentent la forme la plus ingénieusement incommode que l'on puisse imaginer pour l'emballage et le transport... » (dans Joël Jaffre et Jean-Marc Durou, La Caravane de sel, 1978).
De la morue à la poêle
Un sel libre de gabelle, dans un duché indépendant... Au XIVe siècle, la baie de Bourgneuf, dans le pays de Retz, attire bien des regards, en particulier ceux des marchands de la Hanse qui en font jusqu'au XVIIIe siècle la première source de production d'Europe.
Avec la découverte de Terre-Neuve au début du XVe siècle et l'explosion de la pêche à la morue, on ne peut plus s'en passer ! Ce ne sont pas jusqu'aux marins qui en remplissent leurs cales pour pouvoir se lancer dans des voyages toujours plus lointains. Sans sel, pas d'expansion maritime...
Il faut donc d'autres lieux de production : Guérande, les côtes charentaises, Salins dans le Jura, la Camargue sont mis à contribution tandis que les innovations techniques, généralement venues d'Allemagne, s'attachent à nourrir le marché en modernisant les salines. Pour supprimer la traction animale, est ainsi imaginée au XVIe siècle la « patenôtre », sorte de noria utilisée pour extraire l'eau des puits, avant l'arrivée des pompes hydrauliques au XVIIIe siècle.
Cette industrialisation n'est pas sans conséquences pour les forêts environnantes puisque les besoins en bois de chauffe ne cessent d'augmenter. Il faut aller en chercher de plus en plus loin, voire carrément transporter la saumure au cœur des bois. D'autres préfèrent améliorer l'évaporation grâce à d'immenses bâtiments dits de graduation, ouverts à tous les vents.
Puis vient l'étape des poêles, sortes de chaudrons géants suspendus qui vont « cuire » le sel. Il n'y a plus qu'à laisser agir les « fassaris », ces femmes qui façonnent les pains. Les « salignons » sont enfin prêts à être vendus !
Il est, du côté de Cracovie, un lieu devenu une attraction touristique de premier ordre depuis que l'UNESCO l'a fait entrer sur sa liste du patrimoine mondial, en 1978. C'était mérité ! La mine de sel gemme de Wieliczka, exploitée depuis le XIIIe siècle, ne manque pas de grandeur : on y trouve même une chapelle souterraine de 50 mètres de long ! Le gisement était tellement riche que Casimir III, roi de Pologne, se servit de ses bénéfices pour créer l'Académie de Cracovie. On comprend que cet ensemble imposant attira dès le XVIIIe siècle les touristes désireux de profiter des balades en chemin de fer à cheval ou en barque dans quelques-uns des 245 km de galeries.
Tout aussi majestueuse, la Saline royale d'Arc-et-Senans est plus récente puisqu'elle date du XVIIIe siècle. Parce qu'il avait avec beaucoup de sagesse remarqué qu'« il est plus facile de faire voyager l'eau que de voiturer une forêt en détail », l'architecte Claude-Nicolas Ledoux décida de construire les bâtiments non loin du bois de Salins, quitte à imaginer un saumoduc, sorte de canalisation enterrée, longue de 20 km, pour transporter l'eau salée à l'endroit où elle sera traitée. Il voulait être efficace, donc, mais pas question pour autant de négliger l'aspect esthétique. Pour la première fois, un projet industriel allait devenir un projet architectural d'envergure. Un peu trop original, peut-être, pour Louis XV qui aurait demandé : « C'est beau, mais pourquoi tant de colonnes ? ». En fait, il s'agissait pour Ledoux, avec son ensemble de constructions en cercle, de proposer un lieu de travail harmonieux où les ouvriers se sentiraient bien. Utopique ? En tous cas la saline ne fut jamais totalement achevée, et ses rendements restèrent en-deçà des attentes.
Retournement de situation
Catastrophe ! Au début du XIXe siècle, être paludier (dans le nord) ou saunier (dans le sud) n'est en rien une situation qui fait rêver. Face au développement des salines, portées par la révolution industrielle, pourquoi continuer à récolter le sel à la main ?
La concurrence entre râteau et brouette, sur les côtes, et entreprises mécanisées, dans l'intérieur des terres, ne pouvait qu'être en défaveur des marais salants. Il ne restait plus aux chimistes qu'à mettre leur grain de sel en finalisant en 1863 un procédé de synthèse du carbonate de sodium, le procédé Solvay. Aujourd'hui les marais salants n'occupent plus qu'une place mineure dans l'économie de leur région, notamment grâce au tourisme et à l'appétit pour les produits régionaux.
Mais ce n'est pas parce que vous appréciez la fleur de sel que vous allez faire décoller le commerce du sel ! Aujourd'hui, plus de 60% de celui-ci est utilisé dans l'industrie pour fabriquer des produits chimiques, à l'image du propergol qui aida en son temps la fusée Ariane à décoller.
Détergents, papier, verre et même médicaments... peu de secteurs dans lesquels on n'ait besoin de ses propriétés. Si l'on ne s'en sert plus pour agrémenter les lavements, on le trouve toujours en bonne place dans le domaine de la santé, par exemple en thalassothérapie, et dans celui de la beauté avec les fameux sels de bain.
Bien que l’avènement du réfrigérateur ait considérablement réduit son rôle dans nos cuisines, il n'en reste pas moins envahissant, au vu de sa présence dans notre alimentation d'origine industrielle. Aujourd'hui, le sel doit faire face à une réputation de tueur silencieux, lui qui a été si longtemps source de vie ! Il ne nous reste plus qu'à accompagner cette moderne prise en grippe avec quelques larmes bien... salées.
À l'aube de ce 12 mars 1930, à Ahmedabad, dans l'Inde de l'ouest, se met en marche une petite troupe de moins d'une centaine de personnes. À sa tête se trouve le Mahatma Gandhi, bien décidé à profiter des 386 km qui le séparent de la mer d'Arabie pour obliger le gouvernement britannique à abolir la taxe sur le sel qui accable la population indienne.
Son alliée ? La non-violence : « […] Celui qui considère la non-violence comme un principe n’a pas à rester passif. Partout où c’est possible, la désobéissance civile doit se déclencher. Les lois qui concernent le sel doivent être violées de trois manières. C’est une infraction que de fabriquer du sel là où il y a des facilités pour le faire. La possession et la vente de sel de contrebande, qui inclut le sel de mer ou le sel des mines, est elle aussi une infraction. Les acheteurs d’un tel sel sont coupables. De même, emporter du sel naturel des dépôts marins est une violation de la loi, ainsi que le colportage de ce sel. Bref, vous pouvez choisir l’un ou l’autre de ces moyens pour briser le monopole du sel. [...] » (Discours prononcé à la veille de la marche).
25 jours plus tard, Gandhi et les milliers de personnes qui l'ont rejoint peuvent enfin ramasser à pleines mains la boue salée de la mer : « Aujourd’hui, tout l’honneur de l’Inde est symbolisé par une poignée de sel dans la main des résistants non violents. Le poing qui tient ce sel peut être brisé, mais ce sel ne sera pas rendu volontairement ». Obligé de céder, le gouvernement britannique concéda une victoire capitale à Gandhi et ses soutiens, ouvrant ainsi à l'Inde la route de l'indépendance.
Bibliographie
Jean-François Bergier, Une Histoire du sel, 1982, Presses Universitaires de France,
Gilbert Dunoyer de Segonzac, Les Chemins du sel, éd. Gallimard (« Découvertes »), 1991.
Paradis artificiels
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