« Florentia » (« la florissante »), un nom de bon augure pour une cité … dont la véracité ne se révéla que bien des siècles plus tard. Avant de devenir une puissante cité capable de dominer toute la Toscane, Florence vécut de modestes débuts. Retour sur cette période méconnue de la ville, éclipsée par les fastes de la Renaissance.
Une fondation qui remonte à l'Antiquité
Fondée au IIe siècle avant notre ère par des Étrusques descendus des hauteurs de Fiesole pour bâtir une nouvelle cité dans la plaine, sur la rive nord de l’Arno, la première ville de Florence fut détruite en 82 avant notre ère par les troupes de Sylla lors des guerres civiles.
Elle fut reconstruite en 59 avant notre ère, sous la forme d’une colonie au sens romain du terme, c’est-à-dire d’une ville destinée aux vétérans des armées de Jules César.
Son plan carré régulier rappelle l’organisation des camps militaires. Le tracé antique des deux voies principales, le cardo (actuelles via Roma - Calimala) et le decumanus (actuelles via Strozzi - via del Corso) organise encore aujourd’hui le centre de Florence.
Tout au long de l’Antiquité, la ville de Florentia s’étendit au-delà de ce noyau initial et se dota de grands édifices, temples, thermes, amphithéâtre (aujourd’hui disparus)… mais rien ne la distinguait de tant d’autres cités de l’empire romain. Les habitants y vivaient principalement du travail de la laine et du cuivre.
Aux Ve-VIe siècles, Florence subit plusieurs sièges. Les Ostrogoths furent repoussés par les troupes romaines commandées par Stilicon en 405. La Toscane vit ensuite les affrontements entre Goths et Byzantins, puis l’établissement de la domination lombarde.
La ville se replia alors derrière une enceinte fortifiée édifiée par les Byzantins et retrouva les dimensions initiales de la colonie romaine.
Malgré la date de sa fondation, la ville conserve très peu de vestiges antiques. Les édifices furent, en très grande majorité, considérablement transformés, ou même complètement reconstruits, à la Renaissance. Il ne reste plus rien de la première église paléo-chrétienne San Lorenzo (Saint-Laurent), consacrée en 393 par Saint Ambroise, qui fut pourtant la cathédrale de la ville jusqu’au VIIIe siècle. Elle fut entièrement reconstruite en style roman au XIe siècle, puis à nouveau transformée par Brunelleschi entre 1421 et 1461 à la demande des Médicis dont elle était l’église paroissiale.
Toutefois, certaines églises conservent encore des éléments remontant à l’époque romaine, comme celles des Santi Apostoli (Saints-Apôtres) dont le plan basilical est caractéristique des premiers sanctuaires chrétiens. Certains chapiteaux des colonnes de marbre proviennent des thermes antiques et furent réutilisés lors de la reconstruction de l’édifice, due peut-être à Charlemagne (comme le proclame fièrement une plaque de marbre sur la façade), mais datant plus certainement du XIe siècle.
La mise en place d’un puissant réseau de banquiers
Avec la période carolingienne s’ouvrit une longue période de prospérité.
Le développement de l’artisanat textile relança l’économie, jusqu’à faire de Florence une des principales places commerciales d’Italie à partir du XIe siècle, concurrençant Sienne, Pise et Lucques.
L’exportation des « draps de Florence » en laine ou en soie s’étendit à toute l’Europe grâce aux routes commerciales qui furent établies. Elle favorisa la mise en place d’un réseau de compagnies commerciales et banquières dans les grandes villes occidentales.
Pour faciliter les transactions, elles inventèrent les premières lettres de change en 1262, tandis que la création du florin, monnaie en or frappée en très grande quantité par la ville dès 1252, prouvait l’importance économique de Florence.
Symbole de la République florentine, le Marzocco est un lion au regard humain qui soutient les armes héraldiques de la ville : la fleur de lys rouge sur fond blanc (qui remplaça l’emblème plus ancien de la fleur de lys blanche sur fond rouge, encore conservé sur certains monuments). La sculpture originale, réalisée par Donatello, est conservée au musée de Bargello, mais une copie figure en bonne place devant le Palazzo Vecchio. Une fête annuelle sur la Piazza della Signoria met à l’honneur ce double symbole de la ville : le lion et le lys.
L’expansion territoriale
Le soutien que la comtesse Mathilde de Toscane apporté au pape Grégoire VII fut bénéfique à Florence qui contracta une alliance avec l’État pontifical. Seule ville toscane à avoir refusé d’accueillir l’empereur Henri IV, elle résista vaillamment aux troupes impériales en 1082.
À la mort de la comtesse en 1115, Florence acquit son indépendance. Un gouvernement exercé par des consuls, choisis parmi les grandes familles aristocratiques, se mit en place. La ville continua de s’agrandir, au point de s’étendre même à la rive méridionale de l’Arno. La nouvelle enceinte communale, élevée en 1173, englobait les deux rives.
Pour maintenir son autonomie, la ville mena des offensives contre les seigneurs toscans, comme les Adimari et les Guidi, en détruisant leurs forteresses qui contrôlaient les voies commerciales.
L’expansion territoriale florentine se heurta aux intérêts des autres grandes cités voisines, Sienne, Pise, Arezzo, Lucques, Pistoia… ce qui provoqua pendant des siècles une multitude de conflits plus ou moins longs, avec d’incessants retournements d’alliances, sans compter les interventions des papes et des empereurs successifs.
Florence finit par établir sa prédominance au XVe siècle, grâce à la prise de Pise en 1406, puis à l’achat de Livourne en 1420 (auprès de la république de Gênes) ce qui lui offrait enfin un accès direct à la mer facilitant le commerce dans toute la Méditerranée.
Les guelfes et les gibelins
Florence fut marquée dans les derniers siècles du Moyen Âge par d’incessants conflits internes. Les quelques grandes « maisons-tours » médiévales encore conservées, comme la tour des Mannelli, encastrée par la suite dans les constructions du Ponte-Vecchio, symbolisent le climat de défiance et de rivalité qui régnait dans la ville.
Les grandes familles vivaient dans de véritables forteresses qui pouvaient s’élever jusqu’à 70 mètres de hauteur (malgré une limite fixée à 29 mètres). « Chacun, pour assurer sa sécurité, fortifiait sa maison », rapporte Vasari.
Protégées par de hauts murs aux fenêtres étroites, les habitations s’organisaient autour d’une cour intérieure où s’élevait un puits, afin d’être capable de résister à une attaque, ou même à un siège.
Les premiers affrontements entre guelfes et gibelins (dico) furent déclenchés par les Uberti, puissante famille de la noblesse, qui s’opposèrent au gouvernement communal en 1177. Ils reprirent de plus belle en 1216 à cause de l’assassinat de Buondelmonte Buon-delmonti qui avait refusé d’épouser une jeune fille de la famille des Amidei.
Le meurtre divisa en deux clans les grandes familles de la noblesse florentine : l’un en appela à l’empereur, l’autre contesta le droit de l’empereur d’intervenir.
Ils en vinrent à soutenir deux prétendants différents à la couronne impériale : les partisans de Frédéric II, seigneur de Weiblingen, prirent le nom de gibelins, les partisans du candidat malheureux, Othon de Bavière, de la lignée des Welfen, se nommèrent guelfes, et soutinrent le pape contre le nouvel empereur.
Après de violents combats, les guelfes chassèrent les gibelins et confisquèrent leurs biens. Ils firent alors construire le Palagio (ou Palazzo) di Parte Guelfa, palais des capitaines du parti guelfe.
Les gibelins exilés trouvèrent refuge à Sienne qui y vit une nouvelle occasion d’affronter les troupes florentines en bataille rangée.
La victoire remportée par les gibelins et les Siennois à Montaperti en 1260 renversa la situation : les guelfes, exilés à leur tour, revinrent toutefois en triomphateurs à Florence en 1266, grâce à l’appui de Charles d’Anjou qui remporta la bataille de Bénévent. La victoire définitive revint aux guelfes qui écrasèrent les gibelins à Campaldino en 1289.
Les vainqueurs ne trouvèrent pas mieux que de se diviser dès 1296 en deux nouvelles factions rivales : les guelfes Blancs et les guelfes Noirs.
Ces derniers, soutenus par le pape Boniface VIII, finirent par chasser leurs adversaires de la ville. C’est ainsi que Dante passa en exil les vingt dernières années de sa vie, de 1301 à 1321.
Si la maison de Dante est une reconstruction du début du XXe siècle, inspirée par les « maisons-tours » médiévales, quelques édifices plus authentiques conservent le souvenir du poète. L’église Santa Margherita de’ Cerchi, bâtie au XIe siècle, était l’église paroissiale de la famille de Dante. Le jeune homme y aurait aperçu pour la première fois la belle Béatrice dont il tomba amoureux et célébra dans La Divine Comédie.
Comme la plupart des Florentins, Dante fut baptisé dans le somptueux baptistère au plan orthogonal inspiré par les baptistères paléochrétiens d’après la symbolique du chiffre huit, associé à la notion d’éternité (sept jours + un).
Construit au XIe siècle, l’édifice est un des plus beaux exemples de l’architecture romane florentine, tout comme l’église de San Miniato al Monte, édifiée à la même époque à l’emplacement supposé du martyr et du tombeau de saint Minias, riche marchand arménien, qui aurait été décapité pour s’être converti au christianisme au IIIe ou IVe siècle.
Les deux monuments présentent un superbe décor de marbre blanc et vert. Ils abritent également tous les deux de précieuses mosaïques de style byzantin. Le décor de la voûte du baptistère, particulièrement complexe, présente de nombreux épisodes de la Genèse et du Nouveau Testament, entourant un spectaculaire Jugement dernier.
De nouveaux bâtiments pour l’administrer la ville
À partir du XIIIe siècle, le mode de gouvernement de la ville ne cessa de se complexifier. Le palais du Bargello, le plus ancien édifice public florentin, qui fut construit à partir de 1255, reflète ces multiples évolutions.
Cette austère construction hérissée de créneaux avait été conçue pour accueillir le capitaine du peuple, puis devint le siège du podestat, puis du conseil de justice, avant de se transformer en prison lorsque s’y installa en 1574 le bargello (chef de la police) qui lui donna son nom définitif.
À la fin du XIIIe siècle, un conseil de huit prieurs, six issus des plus importantes corporations (les « arts majeurs » : juges, notaires, mé-decins, changeurs, drapiers… (dico)) et deux des corporations dites mineures (bouchers, charmpentiers, maçons, …), était nommé pour administrer la ville. Ces magistrats devaient toutefois tenir compte des décisions des autres conseils, comme celui formé par les seize gonfaloniers.
La puissance des corporations se lit encore dans de nombreux bâtiments, en particulier à Orsanmichele, ancien entrepôt et marché au grain édifié en 1290 par le grand architecte Arnolfo di Cambio et transformé en église en 1380, qui présentent les statues des saints patrons des Arts majeurs, réalisés par les plus illustres artistes florentins.
Le Palazzo Vecchio
Pour accueillir les réunions des prieurs, le même architecte, Arnolfo di Cambio, fut chargé en 1299 de construire sur la Piazza della Signoria (Place de la Seigneurie) un palais pour les prieurs, plus connu sous le nom de Palazzo Vecchio.
En 1322, l’installation au sommet du campanile (haut de 94 mètres) de la cloche destinée à appeler les magistrats à se réunir ou à alerter les habitants en cas de danger marqua la fin des travaux. Comme le Bargello, le Palazzo Vecchio présente toutes les caractéristiques des forteresses médiévales et matérialise la puissance de la ville et de ses institutions.
Malgré les nombreux changements de régime qui apportèrent de nombreuses modifications intérieures, le palais conserva toujours ses austères façades médiévales qui contrastent avec le faste des somptueuses pièces d’apparat.
La gigantesque pièce, nommée plus tard « salle des Cinq-cents », fut aménagée en 1495 pour accueillir le conseil général du peuple instauré par Savonarole. Par contre, les luxueux appartements furent créés en 1540 pour le premier grand-duc, Côme Ier de Médicis.
En 1345 fut achevé l’un des symboles de Florence, le Ponte Vecchio, qui mérite bien son nom puisque c’est le plus ancien pont de la ville. Il doit sa célébrité à ses maisons, boutiques et ateliers. À l’origine, ces constructions étaient occupées par des bouchers et des tanneurs qui, à l’époque médiévale, devaient exercer leur métier à la périphérie de la ville et à proximité du fleuve pour des raisons d’hygiène. En 1565, il fut surmonté d’une galerie afin de permettre au du grand-duc de se rendre directement du Palazzo Vecchio au Palais Pitti sur l’autre rive en passant par les galeries des Offices. Côme Ier ordonna alors aux bouchers et aux tanneurs de céder la place à des professions jugées plus nobles (et surtout moins pestilentielles) : les orfèvres et les joailliers qui occupent toujours les lieux aujourd’hui. Le passage privé du grand-duc, appelé « couloir de Vasari » d’après le nom de son architecte, fut orné d’œuvres d’art. C’est à cette magnifique collection d’autoportraits que le pont dut sa sauvegarde en 1944, lorsque l’armée allemande dynamita tous les points de passage sur l’Arno. Alors que les autres ponts historiques de Florence furent détruits, le Ponte Vecchio fut épargné, selon un ordre qui aurait été donné par Hitler, impressionné par les tableaux lors de sa visite à Florence en 1938. Mais, pour rendre le pont impraticable, ce furent de somptueux palais bordant l’Arno qui furent détruits pour que leurs gravats empêchent tout passage par le pont.
Parmi les bâtiments civils, le Palazzo Davanzati construit au XIVe siècle, pour une riche famille de marchands, les Davizzi, est caractéristique des grandes demeures de la fin du Moyen Âge. L’aspect austère des façades rappelle les maisons fortifiées médiévales et contraste avec le raffinement du décor intérieur et de ses fresques inspirées par les romans de chevalerie… et avec l’ingéniosité du système hydraulique permettant d’alimenter en eau les cinq étages de la demeure.
Les édiles florentins accordaient une grande importance à l’hygiène des habitations et à la propreté des rues couvertes de larges dalles et dotées de systèmes d’égouts. Coluccio Salutati se flattait qu’« en magnificence, Florence dépasse la plupart des cités d’aujourd’hui, mais en termes de propreté, elle dépasse même celles d’autrefois »
L’architecture gothique florentine
Architecte majeur de cette période, Arnolfo di Cambio fut chargé en 1296 de construire la cathédrale Santa Marie del Fiore dont les travaux se poursuivirent pendant plus d’un siècle jusqu’à ce que l’imposante coupole de Brunelleschi vienne couronner l’édifice en 1434 (lien vers l’article).
Dans les mêmes années, on lui confia aussi la construction de la grande basilique franciscaine de Santa Croce qui débuta en 1294 et ne fut achevée qu’en 1442, avant d’être en grande partie remaniée par Vasari au XVIe siècle. Quant à sa resplendissante façade de marbre blanc, elle date seulement de 1873.
La basilique est célèbre pour sa multitude des chefs-d’œuvre : crucifix de Cimabue, fresques et retables de Giotto, sculptures de Donatello et Canova, terres cuites des Della Robbia,… et pour les tombeaux d’illustres personnages, comme Michel-Ange, Machiavel et Galilée.
De l’autre côté de la ville, à l’extérieur des murailles, les Dominicains firent élever à partir de 1279 une nouvelle église, Santa Maria Novella, et confièrent le chantier à deux religieux de leur ordre, les frères Sisto et Ristoro qui adaptèrent le style cistercien à la tra-dition gothique florentine.
L’ampleur de la nef, destinée à accueillir de grandes assemblées de fidèles venus écouter les prédications des Dominicains, est accentuée par une illusion d’optique jouant sur la disposition des piliers et des colonnes. La façade gothique, restée inachevée, fut terminée au siècle suivant par Alberti en 1470 qui en fit un des chefs-d’œuvre de la Renaissance.
Parmi les œuvres les plus renommées de l’église, se trouvent le crucifix de Giotto, les décors de la chapelle de Filippo Strozzi réalisés par Filippino Lippi, les scènes de la vie de la Vierge et de la vie de saint Jean-Baptiste peintes par Ghirlandaio dans la chapelle Tornabuoni, les fresques de Nardo di Cione inspirées par la Divine Comédie de Dante dans la chapelle Strozzi… et surtout la Trinité peinte par Masaccio en 1425-1427, œuvre fondamentale pour l’histoire de l’art car elle constitue la première application en peinture des principes scientifiques de la perspective établis par Brunelleschi et l’avènement de l’art de la Renaissance.
La Renaissance italienne
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gilbert (27-10-2024 22:28:53)
Ce riche document sur Florence me donne l'envie d'y retourner. Merci à Herodote