Rosa Bonheur (1822 - 1889)

Les animaux au bout du pinceau

Rosa Bonheur : quel nom plein de promesses pour une artiste ! On imagine déjà les dessins de fleurs et petits oiseaux... Tout faux ! Rosa Bonheur a fait carrière en se consacrant au portrait... des vaches !

Armée d'une personnalité qui n'acceptait aucune concession, cette peintre adulée en son temps fut aussi une femme libre.

Isabelle Grégor

Eugénie de Montijo visite l'atelier de Rosa Bonheur à Thomery, Auguste Victor Deroy et Frédéric Théodore Lix, XIXe siècle. Agrandissement : Rosa Bonheur, Labourage nivernais, 1849

Je serai artiste !  

C'est à la campagne, à proximité de Bordeaux, que Marie-Rosalie Bonheur voit le jour le 16 mars 1822.

E. L. Dubufe, Portrait de Marie-Rosalie dite Rosa Bonheur, 1857. Agrandissement : Consuelo Fould, Rosa Bonheur, vers 1892, Angleterre, Leeds Art Gallery.Dans le domaine de Grimont, la petite fille découvre les richesses de la campagne et est initiée au dessin par son père, peintre.

Mais la vie de château n'a qu'un temps et face au manque d'argent, la famille doit partir à Paris. La mère finit par s'y tuer à la tâche et laisse son époux seul  avec quatre enfants.  

Il n'est dès lors pas facile pour le veuf de gérer la petite Rosa qui refuse l'éducation traditionnelle qu'on lui impose. Tenir une aiguille, pas question ! Elle s'enfuit donc du couvent qui devait en faire une couturière accomplie et parvient à convaincre son artiste de père, saint-simonien ouvert aux idées progressistes, de partager avec elle les secrets de son savoir-faire.

Rosa Bonheur, Sultan et Rosette, les chiens des Czartoryski, 1852. Agrandissement : Rosa bonheur, Sevrage des veaux, 1879, New York, Metropolitan Museum of Art.

Veaux, vaches...

Direction le Louvre ! Elle y enchaîne les copies tout en prenant des cours avec le peintre néo-classique Louis Cogniet. Est-ce parce que, en tant que femme, elle ne peut étudier les nus qu'elle choisit de se consacrer au monde animal ?

Rosa Bonheur, Trois vaches au pâturage, 1842-1850. Agrandissement : Rosa Bonheur, Chef d'un veau, 1878Rosa Bonheur est sélectionnée dès 19 ans, ainsi que son père, par le jury du Salon de Paris, en 1841. Née dans une famille d'artistes, « elle les dépasse tous par son talent à saisir l’intensité de la présence du bœuf, mouton ou cerf… personnages principaux de ses tableaux », observe Philippe Luez, directeur du musée national de Port-Royal des Champs (Yvelines).

Au Salon de 1848, elle décroche une médaille d'or pour Boeufs et taureaux, race du Cantal. Cette œuvre qui, selon le jury, « représent[e] la vie laborieuse des champs avec autant de poésie que de vérité » prépare le succès incroyable qui va accueillir, l'année suivante, en 1849, son Labourage nivernais.

Avec ses 2 mètres 60 et son réalisme, le tableau impressionne ! Comment un petit bout de femme d'1 mètre 50 a-t-il pu parvenir au bout de ce travail de titan ? Le président Louis-Napoléon Bonaparte lui-même la félicite et passe commande d'une nouvelle oeuvre...

Cette fois, pour le Prince-Président, Rosa va s'intéresser à un Marché de chevaux, prouvant qu'elle est capable de peindre non seulement la puissance mais aussi toute la fougue des animaux.

Rosa Bonheur, Le Marché aux chevaux, 1855.

« Elle fait de l’art sérieusement et on peut la traiter en homme » (Théophile Gautier)

Anna Klumpke, Portrait de Rosa Bonheur, 1898. Agrandissement : Portrait de Col. William F. Cody, 1889.Pour se rendre dans les bois, les foires ou dans les abattoirs où, explique-t-elle, elle a besoin d'être libre de ses mouvements pour faire des dissections, elle porte « un pantalon » grâce à une autorisation de travestissement qu’elle doit faire renouveler tous les six mois auprès du préfet de Paris.

Et libre, elle l'est ! Non seulement elle porte les cheveux courts et fume le cigare, mais elle refuse de se marier et vit avec son amie d'enfance, Nathalie Micas.

Ce comportement extravagant pour l'époque n'entraîne cependant pas la marginalisation de l'artiste. Bien au contraire. En 1849, à 27 ans, elle remplace son père à la direction de l’École Impériale gratuite de dessin pour demoiselles. Elle-même évite le scandale et se montre toujours d'une compagnie agréable en société même si, expliqua-t-elle, elle avait « pour les étables un goût plus irrésistible que jamais courtisan [n'en aura] pour les antichambres royales ou impériales ».

Rien ne vaut la culotte !

Pragmatique, Rosa Bonheur explique les avantages de la « culotte » :
« Je porte la culotte et trouve ce costume tout à fait naturel. La nature nous ayant donné à tous deux jambes, je ne comprends pas que les femmes qui travaillent surtout ne soient pas plus confortablement et plus proprement à leur aise, d'avoir deux manches dans le bas, pour trotter dans la boue, et monter en voiture. J'espère que la mode en viendra, à la grande dignité de notre espèce et qu'on se réservera la jupe souveraine pour le salon, afin de faire voir sa peau à tout le monde comme à son mari. » (extrait d'un article du Radical, 1899).

George-Achille Fould, Rosa Bonheur dans son atelier, 1893, Paris, BnF. Agrandissement : Rosa Bonheur, Étude de lionne, fin XIXe siècle.

Au milieu des lions et des Indiens

Rosa Bonheur a de quoi être fière. Elle compte des admirateurs dans le monde entier : la reine Victoria ne jure que par elle ! Sous le Second Empire, l'impératrice Eugénie lui rend visite dans son atelier de Thomery, au coeur de la forêt de Fontainebleau, et fait d'elle en 1865 la première femme artiste à recevoir la Légion d’Honneur. À cette occasion, l'impératrice aurait eu ce mot que l'on prête aussi à George Sand : « le génie n'a pas de sexe ».

Rosa Bonheur, Fort Snelling, XIXe siècle.L'artiste mène de main de maître une carrière internationale rare pour l'époque. Ses oeuvres s'arrachent sur le marché de l'art. Elles font d'elle l'artiste le plus cher de son époque et demeurent aujourd'hui encore très cotées dans les pays anglo-saxons ! 

On vient de loin la voir dans son domaine du château de By, en Seine-et-Marne, où elle vit entourée d'une véritable ménagerie : moutons, bœufs, cerfs et même lions !

En 1889, c'est Buffalo Bill qui frappe à sa porte avec sa troupe d'Indiens pour être immortalisé par la plus célèbre peintre de son temps. La publicité faite autour de cette rencontre incite une jeune Américaine, Anna Klumpe, à lui rendre visite. Elle ne la quittera plus et sera présente lorsque Rosa meurt le 25 mai 1889.

Avec elle disparaît « le plus grand peintre animalier du monde » qui œuvra toute sa vie pour la reconnaissance des animaux et qui, par son refus d'être entravée dans sa vie comme dans son œuvre, est aujourd'hui, malgré elle, une icône de l'émancipation des femmes.


Publié ou mis à jour le : 2022-10-23 15:04:05
Matt (24-10-2022 10:16:30)

Vos articles sont toujours passionnants. On va de découvertes en découvertes. Quelle culture !
Merci

Simonnet (13-03-2022 17:06:56)

Juste une petite rectification concernant la taille du tableau Labourage nivernais qui n’est pas de 6,20 m mais de 1,33 x 2,60 m.

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