Bonjour sobriété, adieu SUV

On aurait dû se méfier et le sentir venir. Déjà, au printemps, la pénurie de moutarde avait porté un coup fatal à nos mayonnaises maison. Il est vrai qu'elles étaient devenues un produit de luxe depuis la disparition dans les rayons de nos supermarchés de l'huile de tournesol, ce précieux liquide volé directement dans les baraques à frites. Tout-à-coup, on a compris que notre bien-être était en danger !

Avec l'arrivée prochaine de l'hiver, la situation n'a fait que s'aggraver. Oubliée, la canicule de l'été : il faut désormais se préparer à grelotter dans les chaumières. Entre une guerre en Ukraine qui s'éternise et un dérèglement climatique qui nous oblige à reconsidérer notre mode de vie, il est temps de relancer la fameuse « chasse au gaspi » !

Première victime : la tour Eiffel qui, en perdant son habit scintillant, redevient un mécano de fer géant au milieu d'une ville-lumière éteinte. Quand on pense aux siècles d'efforts qui avaient abouti à l'éclairage public ! Pour ceux qui oseront quand même se déplacer à leurs risques et périls, ce sera bien sûr en bicyclette, voire en trottinette, en attendant le retour de la charrette. Cela leur permettra au moins de se réchauffer avant de retrouver bureaux et appartements à la décoration scandinave, pour être dans l'air du temps.

La mode automne-hiver sera sans surprise très colorée vu la palette de doudounes que s'empressent de nous proposer les créateurs, pris au dépourvu par le succès fulgurant du pull à col roulé. Il ne nous reste plus qu'à dévaliser les rayons « chasse et pêche » des magasins de sport ou à voler les polaires que certains maires vont faire distribuer aux petits élèves. Encore quelques semaines et on leur demandera d'apporter des bûches pour faire chauffer le poêle de la classe !

Pour les personnes qui ne seraient pas encore assez sobres (énergétiquement, bien sûr), on ne peut que les inciter à débrancher le sèche-linge et ressortir le vieil étendoir, faire leur vaisselle en dehors des heures où l'eau chaude, via les compteurs Linky, sera coupée et préférer la pétanque à la natation pour cause de bassins gelés, voire carrément fermés. Dernière étape : la reconstruction de la petite cabane au fond du jardin qu'il faudra pompeusement rebaptisée « toilettes sèches ».

Mais « en même temps », comme il importe de ne pas entraver les affaires, des dizaines de milliers d?écrans publicitaires nous invitent à découvrir les derniers bijoux de Mercedes ou Samsung. Pas de trêve dans la consommation ! La sobriété ne concerne pas les profits de nos grands pourvoyeurs de CO2.

Mieux vaut en rire... pour ne pas pleurer face au recul impressionnant que cette drôle de période nous promet en termes de confort : on a l'impression d'être revenus 70 ans en arrière, lorsque se déplacer, s'éclairer ou se chauffer étaient encore problématiques. Et cette régression est générale, si l'on en croit le dernier rapport du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) qui montre que l'indice de développement humain est en train de régresser sur la majorité du globe.

Enfants gâtés de la technologie, les Occidentaux redécouvrent ainsi ces difficultés du quotidien que les générations précédentes ont mis tant d'ardeur à faire disparaître. Savants de la Renaissance et philosophes des Lumières n'avaient pas imaginé que leur chère notion de progrès serait mise à mal par une histoire de col roulé...