De la Révolution à nos jours

Le mariage dans tous ses états

Le XVIIIe siècle ou Siècle des Lumières est aussi le siècle du clair-obscur, mêlant le pire et le meilleur, avec des comportements divergents face au mariage, selon que l'on appartient aux classes supérieures ou aux classes populaires.

Ces divergences se retrouvent aux siècles suivants et jusqu'à nos jours avec la concurrence entre mariage arrangé et mariage d'amour, entre pudibonderie et liberté sexuelle, entre soumission de la femme et émancipation. 

Les mariés de la tour Eiffel (Marc Chagall, 1938, musée d'Art moderne, Centre Pompidou, Paris)

Mariages arrangés, femmes soumises

Dans l’aristocratie européenne et la haute bourgeoisie, le mariage chrétien et le consentement mutuel des époux sont relégués parmi les vieilleries médiévales, au profit du mariage arrangé. Celui-ci devient avant tout un contrat entre deux familles qui rapprochent fortunes et titres.

Cette évolution du mariage va de pair avec une importante dégradation du statut social de la femme, sensible dès la fin de la Renaissance.

Pour les bourgeois et aristocrates français ou anglais de l’Ancien Régime, s’il est convenable d’aimer la femme ou le mari auquel on a été lié pour toute la vie, il est par contre jugé inconvenant de se marier par amour.

Le contrat de mariage (William Hogarth, 1743, National Gallery, Londres)

Sexe joyeux

Dans les classes populaires et paysannes, il en va différemment des classes supérieures : on s'y marie plus volontiers par inclination ou par amour,  même si les mariages arrangés demeurent très largement majoritaires. La liberté de choix des époux est mieux assurée et avec elle le bonheur conjugal.

Dès le milieu du XVIIIe siècle, la France paysanne connaît une liberté de mœurs dont témoignent les récits picaresques de Nicolas Restif de la Bretonne.

Soucieux de leur bien-être, les paysans français limitent le nombre de naissances, en premier lieu par le coïtus interrumptus. L'espacement moyen entre deux naissances passe de dix-huit mois à trente mois.

Ils limitent aussi leur progéniture en retardant tout simplement l’âge au mariage. À la veille de la Révolution, les filles se marient en moyenne à vingt-six ans et les garçons à trente ans ; c’est autant de gagné sur leur vie féconde et autant d’enfants en moins.

On observe en conséquence, dès les années 1760, en France, une première diminution de l’indice de fécondité (nombre moyen d’enfants par femme).

De l'autre côté de la Manche, les mœurs décontractées de l’Angleterre rurale valent à celle-ci le qualificatif de « Merry England » (l’Angleterre joyeuse). Barry Lyndon (1975), chef-d’œuvre cinématographique de Stanley Kubrick, nous en offre un bel aperçu. À cette époque se diffuse l’expression « flirt », dérivée du vieux français « conter fleurette ».

Sexe honteux

Au Moyen Âge, l’Église voyait dans le mariage un projet familial qui devait être mené jusqu’à son terme naturel : le décès de l’un des époux. En foi de quoi, elle se montrait tolérante sur les questions sexuelles et pouvait pardonner les écarts de conduite, y compris quand ils venaient de la femme.

À la Renaissance, la Réforme protestante a introduit le droit au divorce, en référence à l’Ancien Testament (la Bible judaïque).

Conséquence inattendue de cette liberté nouvelle : les protestants se montrent plus exigeants vis-à-vis du mariage. Ils en attendent une fidélité absolue et un comportement exemplaire de chacun à l’égard de son conjoint. Si ces impératifs ne sont pas respectés, autant dissoudre l’union, ce qui est toujours déplaisant, y compris pour Dieu. Pour se prémunir contre les tentations coupables, ils promeuvent donc un modèle conjugal extrêmement rigoriste : austérité des habits, retenue dans les gestes, pudeur des sentiments.

La Contre-Réforme catholique, mise en œuvre par le concile de Trente (1545-1563), se veut tout aussi rigoriste, en bonne partie pour faire oublier le relâchement moral antérieur. Le plaisir sexuel devient honteux. Il est même mis à l’index et un pape ordonne de recouvrir d’une feuille de vigne les sexes des fresques de la chapelle Sixtine, chef-d’œuvre de Michel-Ange.

Le mariage civil et le divorce révolutionnaires

Sous le règne de Louis XVI, les législateurs s’inquiètent de ce que les protestants soient condamnés à vivre dans le péché, faute de pouvoir faire enregistrer leur union par un prêtre. À leur intention, le roi établit donc un mariage civil le 17 novembre 1787. C’est un premier coup de canif dans le monopole de l’Église sur l’institution matrimoniale

Le principe du mariage civil fait son chemin. Il est inscrit dans la Constitution du 3 septembre 1791. Dès lors que le mariage n’est plus un sacrement mais un simple contrat civil, le droit au divorce s’impose. Il est voté par l’assemblée l’année suivante, le jour même de la bataille de Valmy (20 septembre 1792)... en même temps que l'interdiction des voeux perpétuels.

Beaucoup de couples en profitent pour casser des unions mal assorties. L’époque est à la libération des femmes. Celle-ci est aussi perceptible dans la mode : les robes à corsets et baleines cèdent le pas devant les robes chemises en mousseline, qui libèrent le corps et en révèlent les formes.

Retour de balancier

Quand la Révolution prend fin avec le Consulat, Napoléon Bonaparte conclut un Concordat avec le Saint-Siège. Il rétablit le mariage religieux (sacrement) sans abroger pour autant le mariage civil (contrat). Aussitôt, des foules de catholiques se pressent dans les églises pour régulariser leur union.

Pour conserver la mainmise de l’État sur l’institution, la loi du 10 germinal An X (8 avril 1802) impose que le mariage civil précède toujours le mariage religieux. Inscrite dans l’article 214 du Code Civil, cette clause sera maintenue un siècle plus tard en dépit de la séparation des Églises et de l’État.

Suite à la chute de l’Empire napoléonien, le droit au divorce est purement abrogé le 8 mai 1816. La bourgeoisie, soucieuse d’ordre, s’impose dès lors une rigueur morale de façade qui s’accommode tant bien que mal de l’amour romantique : les jeunes gens rêvent de l’amour-passion en attendant de se ranger.

Les souverains, tels Louis-Philippe 1er et Marie-Amélie en France, Victoria et Albert en Angleterre, deviennent le modèle du mariage bourgeois, raisonné, pudique, fidèle et tendre. Celui-ci va de pair avec le retour de la femme aux fourneaux. L’Europe du XIXe siècle est une société d’hommes à de rarissimes exceptions (George Sand).

La noce à Yport (Albert Fourié, 1886)

La femme s’émancipe

En France, le mariage d’inclination revient en vogue sous la IIIe République, à la fin du XIXe siècle. Et pour les mêmes raisons que sous la Révolution, on plaide pour le droit au divorce. On y voit la garantie d’unions solides, fondées sur un attachement sincère et non sur la contrainte. Après plusieurs tentatives, le député Alfred Naquet arrive à faire voter la loi sur le divorce le 27 juillet 1884.

De pair avec la libéralisation du mariage, la « Belle Époque », au tournant du XXe siècle, voit un début d’émancipation des femmes. Celles-ci réclament de voter et de travailler.

Tant en Amérique qu’en Europe occidentale, les « Trente Glorieuses » (1944-1974) témoignent de l’épanouissement de la famille nucléaire : un couple solidaire entouré de deux ou trois enfants.

Les femmes acquièrent partout le droit de vote et investissent massivement le marché du travail.

Carrefours et interrogations

En 1973, la fin des « Trente Glorieuses » amorce une rupture brutale. En Europe, la crise économique se double d’un choc démographique. L’indice de fécondité tombe en-dessous du seuil de renouvellement de la population, avec en moyenne nettement moins de deux enfants par femme.

Parallèlement se développe un phénomène inédit : la « cohabitation juvénile ». De plus en plus de jeunes ménages négligent de régulariser leur situation. Rien ne les y oblige plus car les enfants nés hors mariage acquièrent les mêmes droits que les autres et les concubins sont soumis aux mêmes devoirs que les époux...


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Les âges de la vie
Publié ou mis à jour le : 2019-06-12 16:34:41
Jean LOIGNON (15-02-2018 04:00:05)

Au XXème siècle, l'allongement constant de l'espérance de vie a offert au mariage une durée inédite jusque là. Soixante ans de vie commune étaient rarissimes au 18-19ème siècle ! Le concubina... Lire la suite

Jean MUNIER (14-02-2018 23:31:45)

l'article 214 du code civil (la prison est requise si le ministre du culte récidive) a une vertu paradoxale : empêcher théoriquement la polygamie .

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