Le 14 septembre 786, à Bagdad, sur les bords du Tigre, Haroun al-Rachid devient calife, c'est-à-dire « remplaçant » du prophète Mahomet. Son titre lui confère l'autorité sur la totalité des musulmans à l'exception de ceux d'Espagne.
Haroun al-Rachid est le troisième fils du calife El-Mahdi et d'une affranchie berbère ou yéménite. Il a vingt ans quand il succède à son frère al-Hadi, sans doute assassiné. Son nom al-Rachid signifie en arabe « le bien guidé » (on écrit aussi el-Rachid).
Son règne, magnifié par les chroniqueurs et les Mille et Une Nuits, coïncide avec l'apogée de la dynastie des Abbassides. Obscurci par les révoltes fiscales, les échecs diplomatiques et les révolutions de palais, il en amorce aussi le déclin.
Vers l'an 800, tandis que règne à Bagdad le calife Haroun al-Rachid, Charlemagne règne à Aix-la-Chapelle, près du Rhin, sur l'Empire d'Occident. À Constantinople, sur le Bosphore, Irène gouverne l'empire byzantin.
Haroun al-Rachid, Charlemagne, Irène... Ces trois personnages magnifiés par la légende symbolisent une période de transition. Sous les cendres de l'empire romain, un monde nouveau est en train de germer mais les contemporains n'en ont guère conscience. Autour de la Méditerranée, la paysannerie vit dans une extrême misère. La paix est sans cesse violée et, qui plus est, de nouvelles vagues d'envahisseurs se profilent au nord et à l'est (Vikings, Magyars).
Quand règne Haroun al-Rachid, Bagdad est la cité la plus remarquable de l'univers. Elle offre l'exemple d'une civilisation raffinée dont les contes des Mille et une Nuits, contemporains d'Haroun al-Rachid, nous conservent le souvenir.
Ses commerçants entretiennent des relations avec le monde entier comme le rappelle le conte de Sindbad le marin. Ses poètes chantent le vin et l'amour, comme Abou Nouwas (ou Abû Nuwas). Ses théologiens et ses savants élaborent une culture de premier plan.
Sa population, en trois ou quatre générations, va s'élever jusqu'à atteindre plus d'un million d'habitants et devenir la plus grande métropole de son temps.
Dans tout l'empire mais aussi dans l'émirat indépendant de Cordoue, en Espagne, et dans le royaume du Maroc, se développe un artisanat prospère dont le souvenir se conserve dans le vocabulaire : cordonnier vient de Cordoue, mousseline de Mossoul, produits damasquinés (orfèvrerie à la feuille d'or) de Damas, maroquinerie de Maroc.
Les Arabes restaurent et améliorent les anciens réseaux d'irrigation autour de la Méditerranée. Du fait de leurs liens avec la Perse, l'Extrême-Orient et l'Asie du Sud, ils introduisent de nouvelles cultures en Occident : riz, haricot, chanvre, canne à sucre, mûrier, abricotier, asperge, artichaut...
Abou Nouwas (757-809) est l'un des poètes les plus aimables de la littérature arabe. À la cour du calife, il chante l'amour de la vie et des femmes, des garçons et du vin ! De quoi s'attirer la vindicte des islamistes de notre époque !!
Le vin m'est présenté par un jeune échanson
de sexe féminin, mais vêtu en garçon
Une garçonne, enfin, qui mélange les genres
et qui se laisse aimer d'une double façon
Mais si l'on mélangeait le vin à la lumière
le résultat serait lumière sur lumière.
(cité par Paul Balta, L'islam, 2002, page 79)
Diplomatie infructueuse
Le calife et son entourage jouissent de revenus considérables grâce aux administrateurs d'origine iranienne qui peuplent les bureaux (diwan en arabe, d'où nous vient le mot divan) et assurent la collecte des impôts. Le poids de la fiscalité, toutefois, suscite des révoltes en Égypte, comme en Syrie ou encore au Yémen. Haroun al-Rachid sévit sans se lasser contre ces révoltes. Il se révèle aussi un chef de guerre et ses expéditions militaires lui permettent d'imposer pendant quelques années un tribut aux Byzantins.
Dans ses relations diplomatiques, le calife fait aussi preuve d'une activité tous azimuts. Désireux de prendre à revers l'empereur byzantin et d'en finir avec la dissidence de l'émirat de Cordoue, il envoie une ambassade à Charlemagne et lui offrel une somptueuse horloge à eau ou clepsydre d'après les chroniqueurs chrétiens.
Malgré cela, il ne peut rétablir son autorité sur l'émirat de Cordoue (Andalousie) et, pire, voit lui échapper le Maroc, devenu un royaume autonome sous l'autorité d'Idriss Ier. Le général Ibrahim ibn al-Aghlab, envoyé pour le combattre, installe sa propre dynastie, les Aghlabides, à Kairouan, en Ifriqiya, ancien nom de la Tunisie, tout en reconnaissant l'autorité du calife.
Difficile succession
Le règne d'Haroun al-Rachid témoigne de la fragilité de l'autorité califale. Yahya, qui fut le précepteur du calife dans sa jeunesse, est devenu au fil du temps son principal ministre. Il a installé sa famille, les Barmécides, au premières places de l'État. L'aventure connaît une fin tragique avec le massacre des Barmécides en 803, sur ordre du calife lui-même.
Celui-ci entame à près de quarante ans un règne personnel. Mais, malgré son coup d'éclat, il va très vite laisser son pouvoir retomber aux mains des ministres et des conseillers. Il meurt le 24 mars 809, tout juste âgé de 43 ans, au cours d'une expédition contre des rebelles du Khorasan. Son fils Mohammed el-Amin lui succède brièvement. Il est massacré sur ordre de son frère Abdallah el-Mamoun (ou al Ma'mun) en 813. L'empire abbasside jette avec lui ses derniers feux.
Histoire des musulmans
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Erik (13-09-2016 15:24:53)
Je vois que Borney a pensé à la même chose que moi il y a huit ans. C'est vrai que les Mutazilites niaient le caractère incréé du coran, ce qui ouvrait la porte à une réelle exégèse...
Borney (14-09-2008 10:50:25)
Que ne redonnons-nous vie au mutazilisme! Cela faciliterait les relations entre l'Occident et l'Orient