La Grande Guerre de 1914-1918 laisse l'Italie dans une crise profonde : aux pertes de la guerre et aux insatisfactions engendrées par les traités de paix s'ajoute une crise sociale et politique ; le pays est endetté et victime de l'inflation ; le chômage sévit dans les villes et les campagnes.
Autant de facteurs dont Benito Mussolini va user pour accéder au pouvoir et assurer le succès d'une idéologie nouvelle, le fascisme. Il s'agit d'une idéologie non pas réactionnaire mais révolutionnaire, qui aspire à bâtir un « Homme nouveau », souligne l'historien Frédéric Le Moal (Une histoire du fascisme, Perrin, 2018).
La création des « fasci »
Après l'armistice, les grandes villes industrielles du nord sont paralysées par des grèves à répétition, souvent violentes (les ouvriers sont armés), cependant que dans le sud, les ouvriers agricoles occupent les latifundias, immenses propriétés détenues par de riches propriétaires absentéistes et généralement mal exploitées. Beaucoup craignent une répétition de la révolution bolchevique qui a eu lieu en Russie deux ans plus tôt.
C'est dans ce contexte que Benito Mussolini, un leader socialiste passé au nationalisme, fonde le 23 mars1919, à Milan, en Italie du nord, les Faisceaux italiens de combat (Fasci italiani di combattimento). Sur la place San Sepolcro, ils ne sont guère qu'une centaine à entourer le futur Duce, loin des milliers attendus ! Ce sont des laissés-pour-compte de l'Italie d'après-guerre, chômeurs, anciens combattants et Arditi, petits bourgeois aigris... Ils vont former des groupes paramilitaires qualifiés de « fasci » (dico).
Mussolini va s'en servir pour conquérir le pouvoir par la force, en application des théories de l'anarchiste français Georges Sorel, qui prône la violence, et de Lénine, qui préconise le recours à une avant-garde de révolutionnaires professionnels.
Le leader italien prône le combat contre le bolchevisme et le socialisme, mais aussi contre le capitalisme et la démocratie parlementaire. Il veut instaurer une République autoritaire et laïque (l'Italie est alors une monarchie constitutionnelle) en vue de restaurer la grandeur et la dignité du pays.
Mussolini rejette par ailleurs les théories de Karl Marx sur la lutte des classes (ouvriers contre patrons) et se propose d'établir une société « corporatiste ». Dans cette société idéale, patrons et salariés collaboreraient ensemble au bien-être commun au sein d'organisations inspirées des corporations professionnelles du Moyen Âge, qui rassemblaient maîtres, compagnons et apprentis. Les conflits d'intérêts seraient arbitrés par l'État.
À l'automne 1919, le mouvement fasciste ne compte encore que 17 000 militants. La confrontation avec les électeurs se solde par une rude déconvenue... Aux élections législatives du 16 novembre 1919, la coalition mussolinienne se présente sous le nom singulier de « Bloc Thévenot », du nom de la grenade utilisée par les Arditi pendant la guerre ! En définitive, la liste fasciste recueille un total dérisoire de 4657 voix contre 1 800 000 pour le parti socialiste dont a été expulsé Mussolini.
Pour ne rien arranger, la police fait le lendemain une descente dans les locaux de Popolo d'Italia et met la main sur une impressionnante quantité d'armes, ce qui vaut la prison au directeur du journal. Il est heureusement libéré deux jours plus tard sur une intervention du libéral Luigi Albertini, directeur du Corriere della Sera, auprès du Président du Conseil Francesco Saverio Nitti : « Nitti, libérez ce Mussolini. C'est une épave. N'en faisons pas un martyr » (note).
De fait, ce 19 novembre 1919, Mussolini, en sortant de prison, se voit fini ainsi qu'il le dit à sa maîtresse de l'heure, Margherita Sarfatti. Dans la mouvance nationaliste, Mussolini est éclipsé par le prestige du poète nationaliste Gabriele d'Annunzio, héros de l'équipée de Fiume. Sa déception est telle qu'il songe un moment à émigrer aux États-Unis. Tout change l'année suivante...
Vers la prise de pouvoir
L'ancien leader socialiste continue d'utiliser une phraséologie révolutionnaire, anticapitaliste et antibourgeoise. Mais, pendant l'été 1920, tandis que se multiplient les troubles sociaux et les grèves dans les grandes villes industrielles du nord et les campagnes du sud, il prend le parti de la contre-révolution.
Il crée une milice au sein de son Parti. Ce sont les squadre (« escouades ») dont les membres, les squadristi, se signalent par le port d'une « Chemise noire », d'où leur surnom. Ils sont en bonne partie issus des arditi (« hardis » en français), les corps-francs ou troupes d'élite aux moeurs brutales démilitarisées à la fin de la Grande Guerre.
Mussolini emprunte sans vergogne à d'Annunzio les recettes qui ont fait son succès médiatique : le cri de guerre (A noi !), le salut, bras levé, le poignard brandi de façon martiale et jusqu'à l'uniforme, avec la chemise noire.
En toute illégalité, ses miliciens armés d'un gourdin, motorisés et encadrés par d'anciens officiers sillonnent villes et campagnes et intimident de toutes les façons possibles (bastonnades, purges à l'huile de ricin ou assassinats...) les syndicalistes, les grévistes et les militants socialistes ou communistes.
Ils attaquent les Bourses du travail, où se rassemblent les syndicats ouvriers, saccagent les sièges des journaux d'opposition, brisent les grèves et multiplient les manifestations de force. Ils bastonnent leurs victimes avec un gourdin, le manganello, ou les obligent à avaler de l'huile de ricin, ce qui a pour effet de leur vider les intestins ! Ils vont parfois jusqu'à l'assassinat.
Les fascistes, bien que très minoritaires, apparaissent comme des garants de l'ordre (!) face aux menaces révolutionnaires. Les patrons n'hésitent pas à financer grassement le mouvement. Qui plus est, Mussolini bénéficie du soutien occulte du Président du Conseil Giovanni Giolitti.
Ce dernier, âgé de près de 80 ans et à la tête du gouvernement depuis trois décennies presque sans discontinuer, compte sur les fascistes pour contenir la gauche révolutionnaire, d'autant qu'au sein du Parti socialiste italien (PSI), les partisans de Lénine prennent de plus en plus d'importance, jusqu'à faire scission et fonder le Parti communiste italien (PCI) le 21 janvier 1921. Le risque d'une subversion communiste comme en Russie n'en devient que plus grand aux yeux des conservateurs.
Lors des élections législatives du 15 mai 1921, le mouvement fasciste, partie intégrante de la coalition gouvernementale, accède pour la première fois au Parlement et recueille 35 sièges. Dans l'hémicycle du palais Montecitorio, Mussolini fait le choix de siéger à l'extrême-droite pour marquer sa totale hostilité à la gauche internationaliste. De là le qualificatif d'extrême-droite appliqué dans toutes les démocraties aux partis nationalistes et autoritaires... même si ce qualificatif avait déjà été employé en France pour désigner les ultra-royalistes.
Le Parti national fasciste, fondé officiellement le 9 novembre 1921, succède aux Faisceaux italiens de combat. Il double en quelques mois ses effectifs, passant à plus de 700 000 membres en 1922. Mussolini se rallie à cette occasion à la monarchie mais n'arrive toutefois pas à séduire le corps électoral. Mais il démontre sa force en août 1922 en brisant une grève générale dirigée contre lui.
Mussolini chef du gouvernement
Là-dessus, sûr de l'appui du patronat et de la police, Mussolini menace de marcher sur Rome à l'image du poète Gabriele d'Annunzio et de sa « Marche sur Fiume ». Les Chemises noires de province, au nombre d'environ 40 000, commencent dans le désordre à converger vers la capitale.
Face à cette menace de coup d'État aux airs de grand-guignol, la droite démocratique supplie le roi Victor-Emmanuel III de décréter l'état de siège. Mais le souverain ne s'y résout pas par crainte d'une guerre civile. Comme le président du Conseil, Luigi Facta, il pense que Mussolini peut, après tout, aider à sauver un régime en pleine décomposition et qu'il sera toujours temps de s'en débarrasser après.
Le 29 octobre 1922, Victor-Emmanuel propose donc à Mussolini qui, de Milan, observe prudemment les événements, de prendre la tête du gouvernement dans les règles. Pour donner l'illusion d'une prise de pouvoir personnelle, Mussolini entre dans la capitale italienne le 30 octobre, entouré des hiérarques et des militants fascistes, au terme d'une très symbolique « Marche sur Rome ».
La pantalonnade fasciste tourne au triomphe. À la tête d'un gouvernement qui ne compte que quatre ministres fascistes, Mussolini se montre dans les premiers temps respectueux des règles constitutionnelles. Sa détermination et son verbe lui valent la sympathie des élites, y compris d'illustres intellectuels comme Benedetto Croce.
Mais, dans les provinces, les Chemises noires poursuivent la mise au pas des organisations syndicales... En novembre 1922, Mussolini prononce devant la Chambre des députés un vigoureux discours dit « du bivouac » : il déclare qu'il n'appartient qu'à lui de transformer le gouvernement en « bivouac de ses manipules » ! Députés et sénateurs se résignent alors à lui accorder les pleins pouvoirs pour un an. On va vers l'installation d'une dictature totalitaire d'un nouveau genre, l'État fasciste.
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