Rarement un nouveau domaine de recherche aura autant bouleversé les connaissances sur l’être humain et sur les espèces vivantes en général. Avec la génétique, apparue en plein XIXe siècle dans un petit jardin de légumes, c’est en effet une véritable tornade qui s’est abattue sur les sciences.
Avec les pionniers de cette discipline, allons nous pencher sur un microscope pour comprendre comment de minuscules chromosomes ont pu bouleverser notre vision de la vie.
Allez, on accélère…
Pour le néerlandais Hugo de Vries, le nouveau siècle commence bien : un de ses amis vient de lui envoyer un vieil article à propos d'une histoire de petits pois qui changent de couleur. Quelle chance ! Il travaille justement sur les hybrides, et cette étude signée d'un obscur Mendel tombe à pic.
Mais une lecture rapide suffit pour le désespérer : il y a 35 ans, ce petit moine obscur a découvert tout ce que lui-même s'obstine à démontrer depuis des années ! Et l'épidémie de désespoir ne fait que commencer : cela va être au tour de deux autres scientifiques, l'allemand Carl Correns et l'autrichien Erich von Tschermak, de tomber de leurs chaises en découvrant que les travaux de Mendel ont largement précédé les leurs.
Panique à bord ! Il est temps d'accélérer le rythme en matière d'hérédité et de tirer parti de la découverte en 1879 de ces étranges filaments colorés qui apparaissent quand une cellule se divise en deux : les chromosomes (du grec khrôma, couleur, et sôma, corps).
De Vries se remet au travail et propose de baptiser « pangènes » les particules présentes dans le noyau des cellules et qui transmettent les caractères héréditaires. Une petite élision plus tard et le mot « gène » fait son entrée dans les laboratoires et dans l'Histoire en 1909.
Pour les beaux yeux d'une mouche
En 1910, ceux qui poussent la porte du laboratoire américain de Thomas Morgan savent qu'ils vont devoir admirer sa collection de mouches à vinaigre. Le biologiste est en effet fou de ces petites bêtes, ces drosophiles dont il prend plaisir à observer la rapide multiplication.
Un couple bien assorti peut donner des centaines de descendants en quelques semaines ! Mais ce n'est pas pour le plaisir de remplir ses bouteilles que Morgan passe des heures en compagnie de ses insectes, mais pour voir comment les lois de Mendel opèrent. Et pour cela, les mouches sont parfaites : elles mutent.
Un jour, il se retrouve tout à coup face à face avec une mouche aux yeux blancs ! Il s'empresse donc de la croiser avec une congénère aux yeux rouges, tout ce qu'il y a de plus normale, et obtient à la seconde génération de mignons petits mâles aux yeux blancs. Et si le sexe et la couleur des yeux étaient liés ? Le scientifique en déduit l'endroit où est localisé le gène incriminé, celui qui donne la couleur des yeux : sur un chromosome, très précisément sur le chromosome X.
L'un de ses étudiants, Alfred Sturtevant, va plus loin en montrant que les gènes qui se transmettent ensemble sont proches les uns des autres, sur le même chromosome. Comme dans un peloton, les solitaires et les traînards sont destinés à tomber dans l'oubli, et leurs caractères héréditaires n'ont guère de chance d'être transmis.
De « la pièce à mouches » où travaillaient Morgan et son équipe sortirent les analyses de plus de 400 mutations observées sur des centaines de milliers de drosophiles. Soucieux de mettre un peu d'ordre dans tout cela, ils s'attachèrent à cartographier l'emplacement des gènes sur les chromosomes. La génétique était devenue une véritable science. Cela méritait bien un prix Nobel !
Pendant que les chercheurs occidentaux se démènent, l'URSS s'insurge. Pour Staline, il n'est pas question de changer le destin d'une mouche à l'aide de la biologie.
Les travaux de Mendel et Morgan, jugés réactionnaires, sont même interdits dans le pays, et ceux qui s'y risquent sont limogés ou emprisonnés. Marx n'a-t-il pas dit qu'on peut faire ce qu'on veut en changeant simplement l'environnement ? Exposez par exemple des adultes au froid et vous obtiendrez des enfants insensibles aux frimas. Mais Nicolaï Vavilov, pionnier de la génétique en URSS ne partage pas ce point de vue et s'obstine dans les années 30 à recueillir dans le monde entier des échantillons de plantes pour créer des banques de gènes. Ce n'est pas du goût des autorités qui le font arrêter et condamner à mort en 1941 pour « sabotage et espionnage ». Il meurt de sous-alimentation deux ans plus tard en prison, laissant le champ libre à son concurrent, Trofim Lysenko qui bénéficie du soutien de Staline. Pour Lysenko, il faut revenir aux théories de Lamarck, abandonnées en Occident depuis les découvertes de Darwin et Mendel. C'est ainsi que la biologie soviétique rata totalement le virage de la génétique pour cause de convictions fondées non sur la science mais sur l'idéologie.
Et la vérité sortit du tiroir
Restait une question : comment ces chromosomes transmettent-ils les caractères héréditaires ? C'est une molécule jugée jusqu'ici sans intérêt qui devint soudain une star : l'ADN. En 1944, Oswald Avery, Colin MacLeod et Maclyn McCarty, en travaillant sur les pneumocoques, avaient mis la puce à l'oreille de leurs collègues en montrant que l'ADN n'était pas si innocente que cela.
Le hasard entra en jeu lorsqu'au printemps 1951 l'américain James Watson assista à la conférence du physicien britannique Maurice Wilkins. Il y découvrit une image, fort floue, révélant l'ADN grâce à la diffraction sous l'effet des rayons X, c'est-à-dire sa mise en évidence par la déviation des ondes à son contact.
C'est une révélation pour le jeune biochimiste qui se débrouilla pour continuer son parcours de chercheur en Angleterre, à Cambridge. On le croisait alors souvent dans une vénérable institution, un pub connu sous le nom de L'Aigle, discutant structure moléculaire avec son collègue Francis Crick autour d'un petit verre de bière.
Ses soirées, la jeune chercheuse Rosalind Franklin préférait alors les consacrer à la réalisation de photos d'ADN prises aux rayons X. C'est l'une d'entre elles que son patron Wilkins choisit, en janvier 1953, de tirer d'un tiroir pour la montrer à Watson. La « Photographie 51 » le stupéfie : « J'en suis resté bouche bée et mon cœur se mit à battre la chamade » dira-t-il plus tard.
À 25 ans à peine, il avait compris la structure de l'ADN : une sorte d'escalier en colimaçon, une double hélice dont les deux brins de phosphate et de sucre s'enroulent autour d'eux-mêmes et qui, semblables à des barreaux d'échelle, sont tenus par des bases A, T, C.
Pour que cela soit bien clair, les deux compères Crick et Watson se lancent dans la construction d'un meccano fait de fil de fer tordu et de boules de couleur qui réussira à convaincre, en 1962, les membres du comité Nobel de leur accorder le prix.
Une belle consécration pour ces deux dissidents de la recherche qui ne manquèrent pas de fêter leur victoire au pub, déclarant à qui voulait l'entendre : « Nous avons découvert le secret de la vie » !
Son « habillement reflét[ait] toute l'imagination d'une adolescente anglaise en chaussettes bleues » expliquera plus tard James Watson à propos de la jeune femme dont il vient de suivre la conférence.
L'adolescente ingrate qu'il oublie d'écouter, tout à sa contemplation, c'est Rosalind Franklin dont il n'hésitera pas à utiliser les recherches, sans aucun remords : « Peut-être aurais-je dû demander la permission à Rosalind et je ne l'ai pas fait. La situation était très difficile […] Si la situation avait été un tant soit peu normale, je lui aurais tout naturellement demandé sa permission […]. J'avais cette photo et il y avait une hélice au milieu, on ne pouvait pas la louper ». Watson s'approprie donc le fameux cliché et, avec son compère Crick, en tire un article publié en 1953 dans la revue Nature. La « Dark Lady » quant à elle restera largement dans l'ombre : est-ce ses propres doutes sur l'intérêt de la fameuse hélice (voir ci-après son mot ironique transmis à Wilkins) ou sa mort prématurée, en 1958 d'un cancer à 37 ans seulement, qui lui valurent de tomber dans l'oubli ? En tous cas son rôle restera longtemps méconnu, tout comme a été oubliée Nettie Stevens qui découvrit, avant son collègue Edmund Wilson, l'existence du chromosome Y. En France aussi l'indélicatesse de Jérôme Lejeune, qui présenta sous son seul nom la découverte du chromosome 21, valut à Marthe Gautier d'être dépossédée de sa gloire. Difficile d'être une femme dans le monde de la recherche !
Le ballet des molécules
Prenons à présent un peu de hauteur : les deux brins de cet ADN, reliés par le centre, forment un joli X, c'est-à-dire un chromosome.
Un seul ? Non, en 1955, Joe Hin Tjio détermine que les cellules de l'homme en contiennent 23 paires. C'est vrai dans la plupart des cas, mais en 1959 les chercheurs français Marthe Gautier, Jérôme Lejeune et Raymond Turpin se rendent compte de la présence chez les enfants trisomiques de 3 chromosomes 21, au lieu de 2.
À peine deux ans plus tard c'est l'équipe formée par François Jacob, Jacques Monod et André Lwoff, de l'Institut Pasteur, qui fait parler d'elle en dévoilant l'existence de l'ARN : à l'opposé de son gros cousin l'ADN, qui se contente de stocker les informations dans les doubles brins de son hélice, la molécule de l'ARN (Acide RiboNucléique), plus flexible et d'esprit plus bohème, va jouer le rôle de facteur. C'est lui en effet qui va transporter une copie du code génétique en dehors du noyau de la cellule à destination des protéines indispensables à la vie de ces cellules.
Le trio s'interroge aussi sur les drôles de réactions de nos gênes. Pourquoi ne s'expriment-ils pas de façon régulière mais attendent-ils le moment opportun, la fin du repas par exemple pour les enzymes de la digestion, ou une attaque de microbes pour notre système immunitaire ?
Il y aurait donc des règles, ou plus précisément des régulations, ce qui implique qu'on peut activer ou désactiver un gène, et donc le contrôler. Génial ! La thérapie génique peut commencer à pointer le bout de son nez.
À l'occasion du cinquantième anniversaire de la découverte de la trisomie 21, Marthe Gautier revient sur cette aventure :
« Un local vide [de l'hôpital Trousseau de Paris] est enfin mis à ma disposition, ancien labo de routine non utilisé. Trois pièces magnifiques, un frigidaire, une centrifugeuse, une armoire vide en haut de laquelle se trouve un microscope à faible définition. Eau, gaz, électricité. Et seule pour tout organiser, un rêve ! Je suis peu fortunée et aucun crédit de fonctionnement ne m’est proposé. C’est donc à mes frais, avec un emprunt, que je m’équipe en verrerie, appareil à eau distillée, etc. Aucun des produits nécessaires à la culture n’est commercialisé en France. Déterminée, je ne baisse pas les bras. Je prépare chaque semaine l’extrait embryonnaire frais, à partir d’œufs embryonnés de 11 jours que je vais chercher à l’Institut Pasteur. Pour le plasma, je ponctionne le sang d’un coq que j’ai acheté et qui est élevé dans un jardin à Trousseau. Et comme sérum humain, c’est le mien, procédé économique et sûr. […] Des tissus d’enfants mongoliens sont enfin obtenus. En mitose [division cellulaire], les cellules de mongoliens ont indiscutablement une différence : elles ont toutes 47 chromosomes, alors que tous les témoins en ont 46. J’ai gagné mon pari, celui de réussir seule avec mes laborantines une technique et surtout de mettre en évidence une anomalie. C’est une découverte française. Cela n’était pas évident au départ » (article de Médecine/Science, 2009).
TAGATTACC…
Au début des années 70, les scientifiques commencent à faire des cauchemars dans lesquels se bousculent, dans un ordre incompréhensible, 4 lettres renouvelées des millions de fois : A, C, G et T. Il s'agit des initiales de molécules (Adénine, Cytosine, Guanine et Thymine) qui forment la base de l'ADN.
Le défi est donc de taille : il faut déterminer quelle est la phrase tarabiscotée, constituée de ces 4 lettres, qui correspond à chaque gène. Et c'est parti pour un scrabble géant ! Pendant que nos « littéraires » s'activent sur ce qu'on appelle le « séquençage », d'autres chercheurs continuent à travailler sur le terrain pour tenter de comprendre le lien entre certaines maladies et la génétique.
C'est ainsi qu'en 1979 l'américaine Nancy Wexler se retrouva sur une pirogue dans les marais vénézuéliens pour rencontrer des villageois atteints de la maladie de Huntington, maladie dont souffrait sa propre mère.
Dans les cellules sanguines recueillies, elle parvint assez vite à repérer l'anomalie de l'ADN responsable de ces troubles neurologiques. Quel coup de chance ! Trouver un gène sur un chromosome, c'est en effet comme « zoomer de l'espace sur une grande ville » puis « faire du porte à porte pour identifier un coupable » (Siddhartha Mukherjee).
Mais chercher une aiguille dans une botte de foin coûte cher ! Il faudra toute la volonté de Jerry Lewis, créateur du Téléthon américain en 1966, et des bénévoles de sa version française depuis 1987, pour parvenir à rassembler les milliards nécessaires aux recherches.
Tandis que, les unes après les autres, les maladies génétiques livrent leur secret, le génome humain lui aussi se révèle dans toute sa complexité. 1989 voit le lancement du projet « The Human Genome Project » pour lequel chaque pays contributeur doit séquencer un chromosome (le porteur des gènes), c'est-à-dire lire l'enchaînement des fameuses lettres A, C, G et T. Simple, semble-t-il. Mais l'on comprend l'immensité de la tache si l'on sait que chercher un gène dans l'ADN revient à aller à la rencontre d'une fourmi dans l'Everest.
En 2003, l'essentiel est fait : quelque 20 000 de nos gènes présents dans notre ADN ont été identifiés et répertoriés sur un immense atlas correspondant à 2 000 ouvrages de 500 pages. Pharaonique !
Le 11 novembre 1997 est publiée par les Nations Unies une Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l'homme. Voici les premiers articles :
« Article premier
Le génome humain sous-tend l'unité fondamentale de tous les membres de la famille humaine, ainsi que la reconnaissance de leur dignité intrinsèque et de leur diversité. Dans un sens symbolique, il est le patrimoine de l'humanité.
Article 2
(a) Chaque individu a droit au respect de sa dignité et de ses droits, quelles que soient ses caractéristiques génétiques.
(b) Cette dignité impose de ne pas réduire les individus à leurs caractéristiques génétiques et de respecter le caractère unique de chacun et leur diversité.
Article 3
Le génome humain, par nature évolutif, est sujet à des mutations. Il renferme des potentialités qui s'expriment différemment selon l'environnement naturel et social de chaque individu, en ce qui concerne notamment l'état de santé, les conditions de vie, la nutrition et l'éducation.
Article 4
Le génome humain en son état naturel ne peut donner lieu à des gains pécuniaires » […].
Ateliers de réparation
Quelle victoire ! Devenu patrimoine de l'Humanité après l'accord des Bermudes (1995), le génome ou plutôt les génomes puisque les chercheurs se sont penchés sur le cas de nombreuses espèces, du drosophile au panda, appartiennent désormais au public.
Et maintenant que l'on a compris comment fonctionne l'ADN, on peut passer à l'étape suivante : le manipuler pour tenter d'agir sur les maladies causées par les gènes défectueux.
Les spécialistes de génétique médicale vont commencer par s'attaquer aux maladies monogéniques, dans lesquelles un seul gène est en cause : celui-ci va être réparé, remplacé (on parle alors de thérapie génique) ou carrément éliminé. En 1999, les premiers succès arrivent avec les débuts de traitement des fameux « enfants bulles » aux défenses immunitaires trop faibles, mais l'apparition de leucémies met fin en 2003 aux essais.
Depuis, les espoirs se portent désormais vers la thérapie des maladies du sang (leucémie), du foie ou neuro-musculaires (myopathie de Duchenne). Et pourquoi ne pas créer une médecine personnalisée, déterminée par le patrimoine génétique du malade ? C'est ainsi qu'il est désormais possible d'expliquer à certains couples de la communauté ashkénaze, où la maladie de Tay-Sachs est la plus développée, qu'ils sont porteurs d'un gène défectueux et qu'ils risquent de perdre leur futur enfant.
35 ans après ses débuts, si la thérapie génique n'a pas confirmé les espoirs fous qu'elle avait fait naître, elle reste une solide solution pour de nombreuses maladies. Encore faudra-t-il, bien sûr, que les traitements trouvés soient accessibles à tous...
Crispr-Cas9 : c'est sous ce petit nom que s'est fait connaître en 2012 une protéine magique, capable de couper le long ruban de l'ADN à la façon de petits ciseaux, à un endroit très précis.
La méthode s'appuie sur une alliance entre un brin d'ARN (molécule proche de l'ADN), capable de reconnaître l'endroit à cibler, et la protéine Cas9 qui joue le rôle du coupe-coupe. Une fois tronçonnée, la cellule d'ADN va chercher à se réparer en bouchant le trou, au risque, si elle n'a pas de modèle, de faire des erreurs, ce qui a l'avantage de désactiver le gène désormais boiteux. Autre solution, plus précise : supprimer la brèche en utilisant une sorte de scotch formé d'une molécule d'ADN contenant la mutation voulue. La découverte de cette méthode simple et efficace valut au duo Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna le prix Nobel de Chimie en 2020, mais créa aussi une belle polémique. Cette méthode ne risque-t-elle pas d'inciter à « bricoler » le patrimoine génétique des êtres vivants ? Les moustiques sont ainsi en ligne de mire des chercheurs qui souhaitent modifier leurs gènes pour les empêcher de diffuser la dengue. Quant aux cochons, on verrait bien leurs organes devenir transplantables chez l'homme à la suite d'une petite modification. Accusée de « réécrire le code de la vie », cette méthode n'a pas fini de faire parler d'elle.
L’ARN : Covid, prends garde à toi !
C’est la grande star de ce début d’année 2021 : l’ARN a envahi les médias en quelques jours, suite à l’annonce du développement d’un nouveau type de vaccin pour lutter contre la Covid-19.
Et il est vrai que l’on peut parler de révolution : fini la méthode classique où l’on injecte une forme atténuée de l’agent infectieux pour déclencher une réaction immunitaire. Désormais, grâce au génie génétique, il n’est plus besoin d’agent infectieux, on va étudier l’agresseur pour repérer, grâce au séquençage, où est son point faible.
Dans le cas de la Covid, la stratégie est de piéger les protéines S qui, grâce à leurs épines, permettent au virus de prendre d’assaut nos cellules. Pour cela, on va injecter de l’ARN messager, réplique de la partie du virus contre laquelle il faut lutter mais que l’on a pris soin de rééduquer.
Son rôle est désormais d’ordonner aux cellules de fabriquer les fameuses protéines S. Panique à bord ! La réaction ne se fait pas attendre : notre corps se met à produire à tire-larigot des anticorps. Le virus n’a plus intérêt à montrer le bout de son nez, il est attendu de pied ferme !
L’ADN a parlé !
Une des retombées les plus étonnantes de la découverte de l’ADN est son utilisation dans le domaine judiciaire.
Si, au début, dans les années 80, on se contentait de repérer le groupe sanguin des suspects, la technique s’est fortement développée à partir de 1985 grâce aux expériences du Britannique Alec Jeffrey.
Celui-ci a en effet mis en évidence le principe des empreintes génétiques, c’est-à-dire que chaque individu (à l’exception des vrais jumeaux) possède une séquence ADN qui lui est propre. Une catastrophe pour les criminels ! Ongles, cheveux, poils, petits postillons égarés deviennent autant de preuves de la présence de leur ancien propriétaire sur le lieu du méfait.
En 1986, Richard Buckland est le premier à voir son ADN passer à la moulinette pour prouver sa participation dans deux meurtres. Et là, surprise ! Il est aussi le premier disculpé : malgré ses aveux, il ne peut être l’assassin. 4500 prélèvements plus tard, on retrouvera le véritable meurtrier.
Affaires Élodie Kulik ou Grégory, réhabilitation de Marc Machin… L’ADN est désormais régulièrement appelée à la barre. Avec plus de 3 millions de profils génétiques, le Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques (FNAEG) créé en 1998 à la suite de l’affaire Guy Georges, permettrait aujourd’hui une centaine d’identifications par jour, de coupables comme de victimes.
C’est le cas de la « petite martyre de l’A10 » à l’identité longtemps restée inconnue, jusqu’à ce que l’ADN d’un de ses frères soit entré dans la base, permettant du même coup l’arrestation de ses parents en 2018, trente ans après son meurtre. Avec ces nouveaux Sherlock Holmes, gageons que Jack l’Éventreur ne va courir longtemps…
Multifonctions
C'est à la mode : pour quelques dizaines d'euros, vous pouvez désormais (et en toute illégalité, puisque toute commercialisation est interdite) retracer votre généalogie à l'aide d'un kit de test ADN.
Si ce gadget peut vous faire plaisir en révélant que votre grand-mère descend en droite ligne de Marie-Antoinette, il montre surtout à quel point la génétique est entrée dans nos vies. Recherche de paternité, détection de maladies futures, identification... Sans l’ADN, les os retrouvés sous un parking à Leicester auraient pu partir à la fosse commune et non être rendus à leur légitime propriétaire, le dernier roi Plantagenêt Richard III.
L’ADN est vraiment partout, y compris dans nos assiettes du petit déjeuner. Avec les fameux OGM (Organismes Génétiquement Modifiés), c'est toute l'industrie alimentaire qui ne peut plus s'en passer. Telle plante voit son génome trituré pour devenir plus résistant à certains insectes, telle autre pour améliorer ses qualités nutritives.
Ainsi le « riz doré » est actuellement l'objet de recherches pour contenir plus de vitamine A et éviter des centaines de milliers de cas de cécité infantile en Asie. Côté animal, après le choc du clonage de la brebis Dolly en 1996, ces expériences trop coûteuses se sont concentrées sur les reproducteurs de grande valeur. Dupliquer à l'identique votre toutou d'amour risque de rester une opération hors de prix.
Quant à la grande crainte de transformer les êtres humains en photocopies parfaites d'un modèle idéal, elle est encore du domaine de la science-fiction. Mais Aldous Huxley nous aura prévenus.
Dans Le Meilleur des mondes (1932), Aldous Huxley imagine un demi-siècle avant le développement de la génétique à quoi peut mener ce type d'expérience...
« Un œuf, un embryon, un adulte, c’est la normale. Mais un œuf bokanovskifié a la propriété de bourgeonner, de proliférer, de se diviser : de huit à quatre-vingt-seize bourgeons, et chaque bourgeon deviendra un embryon parfaitement formé, et chaque embryon un adulte de taille complète. Des jumeaux identiques, mais pas en maigres groupes de deux ou trois, comme aux jours anciens de reproduction vivipare, alors qu’un œuf se divisait parfois accidentellement : mais bien par douzaines, par vingtaines, d’un coup.
Le procédé Bokanovsky est l’un des instruments majeurs de la stabilité sociale ! Des hommes et des femmes conformes au type normal ; en groupes uniformes. Tout le personnel d’une petite usine constitué par les produits d’un seul œuf bokanovskifié.Quatre vingt-seize jumeaux identiques faisant marcher quatre-vingt seize machines identiques ! Sa voix était presque vibrante d’enthousiasme. On sait vraiment où l’on va. Pour la première fois dans l’histoire ».
Bibliographie
Steve Jones et Boris Van Loon, La Génétique sans aspirine, éd. Flammarion, 2000,
Siddhartha Mukherjee, Il était une fois les gènes. Percer le secret de la vie, éd. Libres Champs, 2020.
Histoire génétique de l'humanité
Vos réactions à cet article
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pb (01-03-2021 19:03:19)
Dans le paragraphe : ballet des molécules, il serait plus juste de préciser que l'ARN messager passe du noyau au cytoplasme de la cellule afin d'y transférer un message permettant l'élaboration de... Lire la suite
lili (28-02-2021 13:27:21)
Article très complet sauf en ce qui concerne le travail de Marthe Gautier sous l'impulsion de son maitre le Professeur Raymond Turpin. Ils auraient du recevoir le prix Noble pour cette découverte qu... Lire la suite