Catherine Bernard (1663 - 1712)

La dramaturge oubliée

« Vous oublierez mon nom trop fatal et trop doux » (Laodamie, 1688) : Catherine Bernard avait-elle deviné que son nom, comme son œuvre d'ailleurs, disparaîtraient des anthologies littéraires ? Cette contemporaine des écrivains du Grand Siècle (le XVIIe), appréciée autrefois des milieux culturels comme du public, mérite mieux que l'oubli.

Isabelle Grégor

Jean-François de Troy, Lecture dans un salon, 1728.

Une belle ambition

A priori, Catherine Bernard n'avait rien pour se faire remarquer. Née à Rouen le 24 août 1663, elle aurait dû suivre les traces des jeunes filles de son époque et  fonder un foyer.

Femmes de lettres, gravures du XVIIIe siècle Mais qu'est-ce qui la poussa, à 17 ans à peine, à quitter sa famille pour tenter sa chance à Paris  ? On ne peut pas attribuer cette audace au manque d'argent car la situation de ses parents, protestants aisés, lui aurait permis de trouver certainement un bon parti.

Il faut peut-être davantage chercher du côté de sa passion pour l'écriture et de son sens des relations. Elle serait en effet, dit-on, la cousine de Fontenelle, lui-même neveu de Corneille et futur académicien. Difficile d'échapper à une telle lignée  !

Elle choisit d'abord le genre du roman historique et publie son premier récit en 1680, Frédéric de Sicile. Les milieux littéraires et mondains lui ouvrent leurs portes, l'incitant à poursuivre dans l'écriture.

Calliope l’Invincible

Au moment de la révocation de l’Édit de Nantes, elle se convertit au catholicisme et coupe les ponts avec ses parents. Qu'importe  ! Elle sait qu'elle est capable de subvenir à ses besoins sans dépendre de personne.

Illustration pour Riquet à la houppe, XIXe siècleElle poursuit donc sereinement sa carrière d'écrivain qu'elle nourrit avec des nouvelles qui ne sont pas sans rappeler celles Madame de Lafayette par ses études psychologiques.

Fontenelle le reconnaîtra lui-même  : «  les sentiments sont traités avec toute la finesse possible, une certaine science du coeur  ». Elle ajoute dans cette peinture des caractères une façon de juger son époque et une lucidité très modernes.

Le merveilleux cependant ne lui déplaît pas, et elle est une des premières à lancer le genre du conte en créant un certain «  Riquet à la Houppe  » dont s'inspirera l'année suivante Charles Perrault.

Également habile dans la création de vers, comme le prouve le nombre de ses poésies et les trois prix décernés par l'Académie française, elle cherche la reconnaissance du côté du théâtre en signant deux tragédies  : Laodomie, reine d'Épire (1689) et Brutus (1690). Forte de ces deux succès, désormais titulaire d'une pension annuelle versée par Louis XIV lui-même, celle qui est entrée à l'Académie de Padoue sous le nom de Calliope l’Invincible est au sommet de sa gloire.

Vers l'effacement

Mais l'ambiance de plus en plus dévote de la Cour l'incite à abandonner toute activité publique et c'est dans l'indifférence qu'elle meurt à 49 ans, le 6 septembre 1712.

Page de titre de Brutus de Catherine BernardRapidement effacée de l'histoire littéraire, Catherine Bernard a-t-elle été victime du manque de reconnaissance qu'ont subi nombre d'autrices (pour reprendre le terme employé alors)  ?

On attribua méchamment son succès à ses relations avec Corneille et Fontenelle, de mauvaises langues n'hésitant pas à affirmer qu'une partie de son œuvre avait été écrite par ce dernier. Cette rumeur avait été lancée par Voltaire qui, ayant choisi à son tour d'écrire un Brutus, refusa de reconnaître que sa pièce ait quelque lien avec l'oeuvre d'une femme. Mieux valait clamer qu'il s'inspirait de Fontenelle !

Pourtant, il aurait dû reconnaître dans Catherine Bernard un esprit proche du sien, un esprit d'une belle audace. La jeune femme n'hésita pas en effet à aborder dans son Brutus la question du droit des peuples à s'affranchir des tyrannies.

Si, dans le même temps, elle continua à écrire des vers à la gloire de Louis XIV, c'est par obligation de devoir trouver des protections puisque, en tant que femme célibataire et écrivain, elle était dans une situation doublement précaire. Elle qui ne vécut que pour l'écriture aurait pu faire siens ces derniers mots  de Brutus : «  À quel prix, liberté, nous êtes-vous donnée ?  ».


Publié ou mis à jour le : 2023-03-12 15:47:08

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