Pour découvrir l’Histoire de l’Égypte, quoi de mieux que de se mettre dans la peau des anciens Égyptiens ? Devenez successivement un prêtre-astrologue, une fileuse de lin, un fabricant de papyrus ou un ambassadeur gréco-égyptien. Incarnez des personnages célèbres comme Khephren, Nefertiti, Ramsès II ou Cléopâtre…
Vous comprendrez ainsi comment la civilisation de l’Égypte s’est formée, vous goûterez à ses différents apogées et vous subirez de plein fouet ses périodes de décadence. Vous naviguerez sur le Nil depuis le Paléolithique jusqu’à l’époque gréco-romaine dans laquelle cette splendide civilisation finira par se noyer. Tenez-le vous pour dit : l’Histoire de l’Égypte n’est pas un long fleuve tranquille, par Osiris !
Après nous avoir fait incarner différents personnages de l'Histoire de France, notre collaborateur Vincent Boqueho publie L’Histoire de l’Égypte comme si vous y étiez ! – la civilisation des pharaons (éditions Armand Colin, 18 mars 2020), un livre découpé en six époques :
• La naissance de l'Égypte,
• L’Ancien Empire,
• Le Moyen Empire,
• Le Nouvel Empire,
• La Basse Époque,
• L’époque gréco-romaine.
Faucille en main, vous êtes en train de moissonner votre petit champ de blé qui s’étend à proximité du fleuve en cette belle matinée de printemps. La récolte promet d’être fructueuse, comme le furent celles du lin et de l’orge. Du pain, des vêtements légers, de la bière : voilà qui suffira à faire votre bonheur pour l’année à venir !
L’esprit qui anime les eaux du Nil est d’humeur paisible : tous les ans au milieu de l’été, il se met à grossir, inondant une bonne partie de la vallée, gavant la terre de son eau nourricière. Ça tombe bien, c’est justement la saison où les pluies prennent le large ! Votre hutte hivernale construite en roseaux est ensevelie avec le reste, mais c’est dans l’ordre des choses. De mi-juillet à fin-novembre, vous devez déménager sur les hauteurs, en bord de vallée. Tandis que vos cousins des savanes sont des semi-nomades, vous êtes une sorte de semi-sédentaire.
Les seuls à avoir définitivement posé leurs valises, ce sont les morts : ils sont enterrés là, sur les hauteurs, dans des villages permanents constitués de fosses recouvertes de stèles. Ils n’ont plus besoin de retourner près du fleuve pour cultiver la terre : quels chanceux ! Forcément, cela fait réfléchir.
Le monde des morts présente une intangibilité fascinante tandis que celui des vivants est sans cesse mouvant, incapable de se doter de structures stables, toujours remis à zéro par les crues annuelles du Nil. On en vient à se demander si l’après-vie n’est pas plus importante que la vie terrestre ! En corollaire, l’attention que vous portez à vos ancêtres n’a cessé de croître : vous peuplez leurs tombes avec des poteries et des vanneries afin d’en faire de véritables demeures fonctionnelles.
La torpeur de la saison des crues vous laisse tout le loisir de méditer sur les ressorts de l’Autre Vie. À l’automne, pendant que votre femme s’occupe de tisser quelque nouvelle chemise pour votre fille dans la fraîcheur de votre bâtisse, vous surveillez d’un œil distrait vos chèvres et vos moutons qui broutent la végétation desséchée des plateaux, adossé à l’ombre d’un arbre vénérable. Vous ignorez que vos bêtes et vos céréales sont originaires du Proche-Orient : à vos yeux, l’agriculture et l’élevage ont toujours existé sur les bords du Nil.
Seul vestige de l’ancien monde, la chasse est encore très prisée parmi les jeunes hommes décidés à prouver leur vaillance. Votre fils, justement, a le fol âge des faits d’armes héroïques : lors de la dernière crue, il a participé à une vaste expédition avec une dizaine de camarades et il en est revenu chargé de buffles et de gazelles. Un complément alimentaire de plus pour vos riches repas d’automne ! Sans parler du poisson pêché par vos soins qui vous accompagnera tout l’hiver, une fois séché et pilé en farine.
Autant dire que la population est dense autour du Nil, dopée par cet afflux de nourriture abondante et variée. Il n’y a pas encore d’agglomérations dignes de ce nom, mais les huttes s’égrènent à perte de vue le long du fleuve, faisant du Nil un havre bouillonnant de vie. L’Égypte de votre époque est l’archétype même de la ruralité épanouie.
Mais revenons à votre labeur du moment : épuisé par l’effort, la main engourdie à force de se crisper sur sa faucille, vous vous asseyez sur la petite chaise en osier que votre femme vous a confectionnée : vous avez bien mérité votre petit en-cas du midi ! C’est à cet instant que votre fils déboule en trombe dans votre champ, le visage rayonnant. Tout excité, il vous explique que des marchands libyens sont en train de faire du porte-à-porte sur la route.
Les Libyens, c’est le nom que vous donnez aux peuplades nomades des plateaux. Ils amènent toujours des denrées originales extirpées de leurs contrées bizarres : vous allez probablement pouvoir y dénicher un joli cadeau de noces pour votre fils qui doit épouser une jeune fille du voisinage aux treize ans déjà bien avancés.
Vous suivez votre fils jusqu’au groupe de marchands, une bande de roublards que vous n’appréciez guère. On les dit pillards : plus d’une fois, votre chien de garde est revenu avec un morceau d’étoffe libyenne entre les crocs. Mais ils possèdent des biens qu’on ne peut acheter nulle part ailleurs et ils arrivent au moment où les greniers des Égyptiens sont pleins : pas fous les loustics !
Vous inspectez leurs bibelots d’un œil attentif en essayant d’ignorer leurs boniments. Ils ont là de la belle ivoire qu’ils ont soutirée de longue lutte à un éléphant des savanes, mais aussi de petites perles rutilantes oranges et bleues extirpées des lointaines montagnes du Sinaï : cuivre et turquoise, tels sont leurs noms.
Vous jetez votre dévolu sur l’une de ces perles : il vous en coûtera une pleine jarre de grain, exactement ce qui vous restait de l’année dernière. Vous devrez renoncer au bracelet d’ivoire qui devait lui servir d’écrin : votre fils se contentera d’enchâsser sa perle de mariage dans un bracelet d’os. Maman le lui confectionnera.
Vous êtes devenu très prudent depuis cette année dramatique où vos réserves furent à moitié dévorées par les rongeurs : une vraie plaie ! Vous avez bien failli ne pas pouvoir passer l’hiver, et vos deux plus jeunes enfants ont péri cette année-là. Vous avez réalisé que les rats pouvaient être encore plus nuisibles que les pillards des savanes ; et votre chien, si redoutable, s’est avéré tout démuni face à ce fléau de l’ombre.
C’est une voisine qui vous a donné la solution : pour exterminer les rats, il faut attirer leurs prédateurs, vous a-t-elle dit. Vous avez donc réservé une part de votre viande aux chats sauvages des environs afin qu’ils campent autour de votre propriété d’hiver. Depuis, vos problèmes de rongeurs ont disparu.
Ces chats reviennent régulièrement pour réclamer leur ration de nourriture. Cela vous prive d’un peu de viande, mais c’est peu cher payé pour préserver votre grain : quelle symbiose ! Vous êtes en train d’apprivoiser cet animal qui deviendra bientôt une composante incontournable du paysage égyptien. Les chats les plus mignons, surnourris par votre fille, en sortiront grands gagnants : peu à peu, ces fauves se montreront toujours plus caressants, toujours plus ronronnants. Cet apprivoisement finira ainsi par passer dans leurs gènes jusqu’à se transformer en véritable domestication.
Que de changements en Égypte depuis l’introduction de l’agriculture et de l’élevage ! Certains ressorts de la culture égyptienne sont déjà en place et ils perdureront pendant près de cinq millénaires.
Vous êtes Khephren (Khafrê), fils cadet de Kheops, et vous n’êtes pas d’humeur. Vous n’êtes jamais d’humeur : tout le monde a peur de vous. Il faut dire que vous n’êtes qu’à moitié légitime, ce qui vous contraint à lever la voix pour en imposer.
A la mort de votre demi-frère Djedefrê, vous avez assuré la régence en attendant que son fils Baka soit en âge de régner ; mais dans votre bouche, Régent, ça se prononce Pharaon. Vous aimez le pouvoir et vous aspirez à cette éternité de délices réservée aux seuls rois divins. Quand Baka a voulu récupérer les rênes du pays, il était déjà trop tard : vous aviez adopté tous les attributs de la royauté. Depuis, le petit cousin est contraint de naviguer dans votre ombre.
Dans la Cour, ça grince des dents : vous y avez beaucoup d’ennemis. Vous passez l’essentiel de votre temps à essayer de convaincre la population (et vous-même) que vous êtes parfaitement légitime. Pour cela, vous essayez de coller à votre père comme une bernique à son rocher : vous avez même épousé sa veuve !
Et au lieu d’implanter votre pyramide sur un nouveau site, comme il est d’usage, vous l’avez placée juste à côté de la sienne, sur le plateau de Guizeh. Les deux pyramides seront pratiquement identiques, comme des sœurs jumelles. De fait, votre combine va parfaitement fonctionner : dans les millénaires à venir, les noms de Kheops et de Khephren seront étroitement associés. Nul autre que vous ne semblera plus digne de l’héritage de votre père.
Evidemment, l’érection d’une pyramide aussi majestueuse requiert le travail inlassable de toute une nation. Snefrou s’en était sorti sans grande difficulté ; Kheops avait dû serrer la vis pour arriver à ses fins ; mais vous, vous êtes contraint d’étrangler votre populace comme du linge mouillé, raclant jusque dans les fonds de tiroirs pour égaler l’œuvre de votre père.
C’est que le peuple d’Égypte n’est pas seulement épuisé par ces corvées à répétition : depuis le règne de Snefrou, ce sont les lois de la physique elles-mêmes qui sont mises à rude épreuve. Une population qui trime dans les chantiers du matin jusqu’au soir consomme beaucoup plus de nourriture qu’au temps où elle avait ses quatre mois de grandes vacances. Or la superficie des terres arables n’est pas extensible. Les paysans harassés ont même diminué leur productivité.
Bref, l’Etat ne cesse d’augmenter ses impôts pour nourrir ses ouvriers alors même que les terres agricoles produisent de moins en moins. Le royaume se retrouve pris à la gorge : les œuvres qu’il réalise sont au-dessus de ses moyens. La faim est de plus en plus prégnante, favorisant l’essor des maladies. Depuis l’apogée de Snefrou, la démographie est en chute libre, ce qui aggrave encore la situation.
Votre frère Djedefrê avait pris la mesure du problème en adoptant un tombeau de taille plus modeste ; mais il n’est pas concevable que vous vous portiez à son misérable niveau. Pour vous montrer digne de succéder à votre père, vous devez égaler son œuvre. Vous êtes contraint à la fuite en avant : plus les contestations enflent, plus vous haussez le ton. Les gens tremblent à votre approche ; mais en réalité, c’est vous qui avez peur.
Aujourd’hui, vous êtes en pleine tournée d’inspection sur le chantier, une de plus : il n’avance pas assez vite à votre goût. Vous arrivez de Memphis par bateau et vous débarquez au niveau de la chaussée royale qui monte jusqu’à la pyramide et qui sert pour l’instant à acheminer les pierres de construction. Juste à l’entrée de la nécropole, à droite de la chaussée, des dizaines de sculpteurs achèvent de tailler une gigantesque statue dans la masse rocheuse.
Visible de loin, elle semble afficher aux yeux du monde l’identité de son prestigieux propriétaire. Rien n’est trop beau lorsqu’il s’agit de vous représenter en majesté. Pour pouvoir exprimer sans ambiguïté votre nature divine, vos prêtres se sont inspirés des autres dieux : ceux-ci possèdent un corps d’homme et une tête d’animal qui représente le véhicule de leur ba. En tant que pharaon, votre ba loge dans un corps humain : votre statue doit donc posséder une tête humaine.
Par conséquent, vous êtes contraint d’inverser le paradigme : c’est votre corps et non votre tête qui aura une forme animale. Cet animal doit représenter votre composante invisible sous-jacente. Sans hésiter, vous avez opté pour le lion dont la force et le courage sont légendaires.
Le Grand Sphinx est en train de prendre forme sous l’action de milliers de burins. Les traits du visage évoquent ceux de Kheops : cela vous permet de mieux vous inscrire dans les pas de votre père. Vous avez décidément un gros complexe d’illégitimité : vous êtes un cas clinique. Tant mieux : après tout, les gens normaux ne laissent pas de trace... De fait, votre œuvre va laisser sa marque dans l’Histoire : elle restera la plus grande statue monolithique de tous les temps avec ses 73 m de longueur. En toute simplicité.
Le concept du sphinx va pourtant connaître des débuts difficiles : la mayonnaise ne va pas prendre. Une tête d’homme dans un corps de lion, les gens vont trouver ça bizarre. Aucun de vos successeurs de l’Ancien Empire ne vous emboîtera le pas, isolant votre statue à la manière d’une anomalie. Mais le temps passant, l’aura de votre œuvre unique va se renforcer : son mystère en deviendra tout un symbole, comme une fabuleuse énigme posée à l’entrée du plateau de Guizeh.
Il faudra attendre six-cents ans avant que les pharaons, fascinés, ne commencent à imiter votre sphinx. Et que dire des foules intriguées qui s’amasseront devant vous à l’époque moderne ? Il n’y a pas à dire : en décidant de sculpter cette immense masse rocheuse, vous avez eu le nez fin !
Vous êtes une fileuse de lin. Quand vous étiez jeune, vous cardiez les fibres que votre mari vous rapportait de ses champs. Puis votre voisin, devenu veuf, vous a imploré de filer ses propres récoltes. À force du jouer du fuseau, vous avez gagné en efficacité. La qualité de vos réalisations a fait le tour du village et de fil en aiguille, vous êtes devenue une fileuse professionnelle.
Tous les ans, vous vendez votre production à la ville auprès d’un atelier de tisserandes qui vous en donnent le poids légal en deben fixé par l’Etat. Le deben, c’est une quantité standardisée de métal que les hauts fonctionnaires de Memphis ont fixé à 91 grammes. Il en existe de cuivre, d’argent et d’or, par ordre croissant de valeur. Il ne s’agit pas de monnaie à proprement parler mais d’un outil de troc étroitement réglementé et très pratique à l’usage. C’est tellement moins lourd que le paiement traditionnel en sacs de blé standardisés à 35 kg l’unité !
L’état de délabrement de la monarchie égyptienne ne porte aucunement préjudice à vos petites affaires. Vous ignorez complètement le nom du pharaon en place et vous vous en moquez. Depuis l’extinction de la XIIe dynastie, les rois défilent sur le trône à vitesse grand V : démunis de véritable légitimité, ils finissent tous assassinés par quelque ambitieux rival désireux de goûter au vertige du pouvoir suprême. Les luttes de clan sont permanentes dans le palais de Licht.
Cette succession de rois fugaces sera connue sous le nom de XIIIe dynastie, une dynastie sans rapport avec la moindre lignée familiale. Et pourtant, en dépit de cette cacophonie au sommet, l’économie égyptienne continue de prospérer. Les efforts de centralisation des pharaons du Moyen Empire ont porté durablement leurs fruits : les nomarques affaiblis n’ont plus les ressources financières et humaines pour se poser en roitelets indépendants.
Aujourd’hui, l’Égypte est tout à fait capable de marcher sans tête, forte d’une administration centrale nombreuse et compétente. Des centaines de hauts fonctionnaires se chargent de faire tourner la machine en reproduisant les modèles de leurs pères : les impôts rentrent dans les caisses de l’Etat, le commerce avec les pays lointains se maintient, les ressources minérales et végétales de la terre continuent d’être exploitées et transformées comme auparavant.
La capitale administrative Memphis se porte à merveille tandis que la capitale politique Licht vacille. Les gens sont en train de réaliser que les pharaons, finalement, ne servaient à rien. Ils se contentaient de donner des impulsions dans deux principaux domaines : les campagnes militaires et les grandes constructions.
Tout ce qui formait le terreau des corvées d’Akhet, en somme : aujourd’hui, la population masculine est plus préservée que jamais. Elle a retrouvé ses quatre mois de vacances, comme à l’époque néolithique ! La XIIIe dynastie, c’est le paradis !
Cette situation comporte pourtant des faiblesses dont vous n’avez pas encore conscience : en laissant ses voisins tranquilles, l’Égypte leur permet de proliférer et de gagner en puissance. Au sud, le royaume de Kerma se fait de plus en plus menaçant ; et au nord, les nomades du Sinaï mènent des razzias jusque dans le delta, profitant de l’état de délabrement du Mur du Prince. Si le cœur du pays demeure paisible, ça commence à couiner aux frontières.
L’Égypte ressemble aujourd’hui à un crustacé qui aurait perdu sa carapace. Or les lois de la sélection naturelle sont intraitables : les prédateurs sont toujours là, à l’affût. En laissant le royaume vivoter dans son coin comme une noix de St Jacques, la technocratie égyptienne se contente d’assurer les besoins du présent aux dépens de la paix à venir.
Vous êtes une fille de onze ans vivante et épanouie. Il y a de quoi : en tant que maître-éclusier des canaux du Fayoum, votre père est un fonctionnaire très en vue qui vous offre un train de vie substantiel. Vous habitez une belle villa située dans la banlieue de Crocodilopolis (Chedyt), au cœur de la dépression du Fayoum.
Vous avez plusieurs serviteurs très dociles qui vous permettent de vaquer à vos divertissements du matin jusqu’au soir… tout du moins quand votre gouvernante ne vient pas vous faire la leçon ! Cette vieille peau vous sert de préceptrice : elle vous enseigne tout ce que doit savoir une jeune fille de la bonne société. Comment se bien tenir, comment se coiffer, s’habiller, manger proprement, donner des ordres à ses serviteurs, faire la conversation…
Ce matin, vous n’avez pas tenu plus d’un quart d’heure assise sur votre chaise : vous étiez tellement agitée que votre gouvernante a dû mettre un terme prématuré à son enseignement soporifique. Vous lui avez demandé de jouer avec vous : on ne peut rien refuser à la fille du maître-éclusier !
Vous vous retrouvez assise face à elle dans le jardin de la villa, confortablement installée sous l’ombrage d’un vieux sycomore. Vous profitez pleinement de la fraîcheur d’une mare dont les rives toutes proches sont couvertes de lotus et de papyrus. On y entend le coassement lancinant des grenouilles et le clapotis des poissons venus arracher quelque insecte de la surface. À proximité cancanent des oies insolentes qui cherchent vainement du grain en gueulant à la moindre déconvenue. Ces volatiles étalent sans vergogne leur sale caractère… On dirait vous !
Depuis l’aube, il leur manque un congénère : celui-ci marine bien au chaud au fond d’une marmite. Vous en salivez d’avance ! L’oie et le canard, ce sont vos viandes préférées. Question volaille, vos points de comparaison sont limités : les Égyptiens ignorent l’existence du poulet chinois et de la dinde mexicaine.
Tandis que vous contemplez rêveusement le jeu de l’oie en furie, votre gouvernante vous rappelle à l’ordre : c’est à votre tour de jouer. Devant vous se dresse un jeu de l’oie d’un autre genre : il s’agit du senet, devenu extrêmement populaire depuis quelques décennies. Vous avez chacune cinq pions coniques que vous devez avancer sur le plateau de jeu constitué de trente cases jusqu’à atteindre la sortie.
A chaque tour, le nombre de cases parcourues est donné par le lancement des bâtonnets. Lorsqu’un pion atteint la case d’un pion adverse, celui-ci est expulsé sur la case d’origine du pion avancé : on y retrouve l’esprit du vieux mehen de la période prédynastique, avec quelques subtilités supplémentaires. Deux pions mitoyens ne peuvent être expulsés, et trois pions d’affilée forment un rempart que l’adversaire ne peut franchir. Les jeunes comme les moins jeunes y trouvent leur compte.
Vous soufflez en regardant l’agencement des pions : votre gouvernante, irritée par votre comportement d’enfant gâté, n’a pas l’air de vouloir vous laisser gagner. Vous avez déjà envie de passer à autre chose. L’époque n’est pas propice aux enfants turbulents dans votre genre : le royaume tout entier somnole, vautré dans ses richesses qui lui arrivent par convois entiers du Proche-Orient.
Votre nouveau pharaon Thoutmosis IV a mis un terme aux guerres à répétition en signant la paix avec le Mitanni : dorénavant, l’Égypte ne cherchera plus à étendre sa suzeraineté au-delà des villes de Byblos et de Qadesh. En échange, le Mitanni n’essaiera plus de mettre son grain de sel sur la chasse gardée des Égyptiens. Un équilibre s’est mis en place, conforté par la politique clairvoyante de Thoutmosis III : aujourd’hui, les princes du Levant sont tous d’anciens otages qui ont été éduqués en Égypte. Ce sont de fidèles serviteurs du pharaon.
Après avoir longtemps fait la guerre, l’Égypte peut maintenant se divertir en toute sérénité. Qu’ils sont doux, les temps bénis de la félicité !
Vous êtes Pythagore de Samos, le seul et unique, en chair et en os. Avant toute chose, vous êtes un athlète : à l’âge de dix-sept ans, vous avez participé aux Jeux Olympiques et remporté toutes les épreuves de pugilat. Mais vous êtes surtout un esprit sain dans un corps sain : vous êtes curieux de tout et votre cerveau turbine pour connaître les réponses aux grandes énigmes de votre temps.
Vous ne partez pas de zéro : vous avez commencé votre initiation auprès des grands penseurs grecs avant de parfaire votre éducation en Phénicie. Maintenant que vous avez acquis les bases, le moment est venu de vous plonger dans le grand bain de la connaissance : l’Égypte.
Comme tous les Grecs, ce pays vous fascine : vous avez conscience de l’antériorité de cette civilisation sur la vôtre et vous êtes très respectueux de la sagesse égyptienne. Les temples et les pyramides qui s’égrènent le long du Nil inspirent le respect.
Votre propre civilisation lui est largement redevable et ce n’est pas terminé : les Égyptiens ont encore beaucoup à vous apprendre. De nombreux penseurs grecs considèrent le voyage en Égypte comme un passage obligé pour parfaire leurs connaissances. Thalès, déjà, y a fait ses classes.
Vous débarquez en Égypte au niveau de la ville de Naucratis, située dans le delta occidental non loin de Saïs. Il s’agit d’une ville pas comme les autres et voici pourquoi.Lors de la terrible guerre civile qui opposa les pro-Grecs aux Égyptiens nationalistes, Amasis a choisi de soutenir ces derniers. Mais une fois la paix revenue, il a dû s’excuser auprès des Grecs en leur faisant de nombreux cadeaux. Il a décidé d’accorder des privilèges économiques et commerciaux à tous ceux qui s’installeraient dans la ville de Naucratis : au passage, il a pu contrôler davantage ces étrangers en les rassemblant dans un même lieu.
Aujourd’hui, Naucratis est devenue une véritable cité grecque : lorsque vous débarquez sur les quais du port, vous vous sentez aussitôt chez vous. Pourtant vous n’êtes pas là pour rêvasser, mais pour vous instruire : vous vous rendez à Memphis pour y apprendre la langue égyptienne, puis vous y suivez des cours de géométrie et d’astronomie. Cela renforce votre conviction que la Nature est écrite avec des nombres. Toute harmonie est affaire de rapports numériques. Accessoirement, on vous accordera le théorème qui porte votre nom.
Une fois doté de ces solides outils, vous complétez votre formation dans un temple thébain. C’est là que vous peaufinez vos réflexions philosophiques et métaphysiques, notamment celles qui portent sur l’immortalité de l’âme. Vous y ajoutez votre petite touche personnelle en soutenant la transmigration des âmes.
D’autres grands penseurs suivront vos pas : les cultures grecque et égyptienne sont en train de s’entremêler pour engendrer quelque chose d’incroyablement fécond. Chacun y apporte son génie propre : les Égyptiens vous font bénéficier de leur solide expérience acquise au cours des trois derniers millénaires, vous y ajoutez votre curiosité typiquement scientifique et votre propension au raisonnement.
Vous vivez à une époque charnière où les connaissances égyptiennes du passé se connectent aux connaissances grecques du futur. Cette harmonie se manifeste aussi sur le plan politique et commercial : les Grecs sont déjà les garants de l’indépendance de l’Égypte. On sent poindre un avenir qui ne pourra plus se faire l’un sans l’autre : la période hellénistique née de cette fusion politico-culturelle approche à grands pas.
Vous êtes un ambassadeur grec en pleine préparation pour le grand départ. Dans la salle de réception du palais d’Alexandrie se côtoient des émissaires venus des quatre coins du monde qui conversent dans un grec approximatif en sirotant leur verre de vin épicé avec le petit doigt dressé. Votre langue est devenue la lingua franca de l’ensemble du monde connu : on trouve dans la salle plusieurs hauts dignitaires romains ravis de babiller dans votre idiome prestigieux qu’ils considèrent comme le nec plus ultra de l’érudition.
Les Romains ne sont plus ces marmots qui se contentaient de téter votre lait maternel : après avoir conquis une grande partie de la péninsule italienne, ils se sont plongés dans une confrontation grandiose avec l’autre puissance de la Méditerranée Occidentale, Carthage. La Première Guerre Punique bat son plein et les paris sont lancés. Le nom de Rome commence déjà à résonner dans toutes les ambassades et ne vous laisse plus tout à fait indifférent.
Pour l’heure, c’est un autre groupe revêtu d’un accoutrement bizarre qui attire l’essentiel de votre attention. Il vous vient tout droit d’un pays lointain et mystérieux : l’Inde. La dynastie des Maurya vient d’y fonder un empire prospère. Le nouvel empereur Ashoka y a reçu une sorte d’illumination divine qui l’a poussé à diffuser sa nouvelle religion de par le monde. Vous voilà nez à nez avec un moine bouddhiste assisté d’un haut dignitaire de l’empire indien. Ces deux lurons ont été escortés à travers toute l’Asie par deux Grecs de Kandahar, une ancienne ville séleucide tombée dans l’orbite des Maurya.
Demain, vous embarquerez sur un majestueux navire pour les raccompagner chez eux. Vous gagnerez d’abord la mer Rouge en empruntant le vieux canal des pharaons considérablement agrandi par Ptolémée II. Puis vous entamerez le long périple par le sud de l’Arabie qui vous conduira jusqu’aux bouches de l’Indus. De là, vous gagnerez la capitale Pataliputra située dans la plaine du Gange où vous rencontrerez l’empereur Ashoka en personne.
Les routes commerciales de l’ancien monde sont plus vigoureuses que jamais, qu’elles soient maritimes ou terrestres. Elles sont l’occasion d’échanges culturels florissants qui profitent à tout le monde. C’est ainsi que vous reviendrez de votre séjour enrichi d’une immense sagesse.
L'Égypte en cartes animées
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