Un autre regard sur l'Histoire

La Révolution et ses imaginaires. De 1789 à nos jours

La Révolution française est encore aujourd’hui, en France, un objet de piété. De l’école primaire au lycée, on l’enseigne comme une page de la Bible, avec dévotion. Les discours politiques s’en nourrissent comme d’un inépuisable réservoir de bondieuseries républicaines. La prise de la Bastille est notre Exode, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen notre Décalogue, la proclamation de la Ière République notre Terre Promise.

Les attentats nous menacent-ils que nous invoquons les valeurs de 1789, comme d’autres, jadis, le Credo. Le drapeau tricolore est notre Arche d’alliance : que nul ne l’offense, sous peine d’anathème.

Jeanne-Louise (Nanine) Vallain, La liberté, 1793-1794, Paris, musée de la Révolution française. Agrandissement : Antoine-Jean Gros, Allégorie de la première République Française, vers 1794-1795, Château de Versailles.Les images trompeuses du Serment du Jeu de Paume et de la Fête de la Fédération nourrissent la nostalgie d’une unité nationale qui nous échappe mais que nous sommes prêts à mimer artificiellement quand cela s’impose. N’étions-nous pas Charlie, il y a peu encore ? La Chute de la Royauté est évidemment celle de la tyrannie, qu’on se le dise ! Si Louis XVI était débonnaire, sa mort fut légitime, fait-on comprendre à nos élèves, tant elle allait dans le sens de l’Histoire.

Quant à nous, qui pourrions être tentés de nous plaindre des libertés qui se rétrécissent, nous voilà conviés à célébrer sur nos estrades l’avènement d’une ère nouvelle, dont l’élan émancipateur s’est généreusement répandu dans toute l’Europe, certes par le truchement des armées révolutionnaires, des annexions et des conquêtes.

Voici la fable révolutionnaire. Au moins est-elle propre à « faire nation », pense-t-on en haut-lieu. Parfois même, invoquer les mânes de la Révolution permet-il de se faire élire : n’était-ce pas le titre de l’ouvrage publié par Emmanuel Macron à la veille de son premier mandat, en 2017 ?

En ces temps de désintégration politique, ethnique et culturelIe, comment ne pas chercher dans l’Histoire les fondations de notre édifice national, quitte à se laisser duper par les déformations dont la mémoire a le secret ?

Il nous fallait des mythes (Emmanuel de Waresquiel, Tallandier, 448 pages, 24,60?,  2024)Fin connaisseur de la période révolutionnaire, de l’Empire et des monarchies constitutionnelles, l’historien Emmanuel de Waresquiel ne s’en laisse pas conter. 

Le biographe de Talleyrand et de Fouché pratique depuis longtemps « l’histoire à rebrousse-poil ».

Chercheur à l’École pratique des Hautes études, il entreprend dans son dernier ouvrage, Il nous fallait des mythes ! (Tallandier, 2024), de déconstruire les images pieuses de la Révolution pour nous délivrer de l’amnésie qui guette notre époque furieusement pressée mais aussi des ruses et des travestissements du temps.

Cette enquête rigoureuse et passionnante, qui explore, sous la forme d’un kaléidoscope, les jeux de miroir entre l’Histoire et la mémoire, rend un précieux service à notre intelligence de l’Histoire comme à notre conscience nationale.

La sacralité républicaine

D’abord en nous permettant de remonter aux sources de la sacralité républicaine. Contre l’idée simpliste selon laquelle la Révolution aurait hâté l’avènement de la laïcité et rompu avec l’alliance du spirituel et du temporel, Waresquiel nous fait toucher du doigt le transfert de sacralité de l’Église vers la République.

Philippe Joseph Maillart, Naissance de l'Assemblée Nationale, Juin 1789, vers 1795. Médaillon nº 9 de la Galerie Historique ou Tableaux des Evènements de la Révolution française, Paris, musée Carnavalet.Prononcé le 20 juin 1789, le Serment du Jeu de paume est devenu notre baptême républicain, occultant la formation de l’Assemblée nationale trois jours plus tôt, le 17 juin, objectivement plus importante puisqu’elle mettait un terme à la monarchie absolue.

« Toute cette journée est comme embellie par des moments de bravoure magnifiés à l’infini qui en brouillent sans cesse la lecture et placent la scène quelque part entre l’histoire et l’épopée », écrit Emmanuel de Waresquiel.

Dans une atmosphère de conjuration, les 440 députés du Tiers-État, auxquels se sont joints une poignée de clercs et de nobles, agissent comme si la salle était cernée par les troupes royales, alors qu’elle est plutôt sous la pression du peuple qui a envahi les rues attenantes et tente d’apercevoir la scène.

Le tableau que Louis David esquisse en 1791 fera beaucoup pour conférer à cet événement une dimension religieuse. L’auteur du Serment des Horaces (1785) y exalte l’unanimité des bras levés, à la mode romaine alors à l’honneur, mais il recompose la scène à sa manière et réécrit l’histoire : un demi-cercle parfait autour de la figure centrale de Bailly, le vent de l’Histoire soufflant dans les voiles, la prostration du seul député ayant refusé le serment, Martin Dauch, campé ici en traître d’anthologie, la ronde sacrée des ecclésiastiques au premier plan, Dom Gerle, absent ce jour-là mais dont la robe de bure d’un blanc éclatant est du plus bel effet, l’abbé Grégoire et le pasteur Rabaut Saint-Étienne, la disparition de Jean-Joseph Mounier, coupable d’avoir démissionné de l’Assemblée en octobre 1789.

Futur Conventionnel et régicide, Jacques Louis David bâtit son tableau comme un mythe, « une véritable entreprise révolutionnaire de sublimation du serment. » Au diable, la vérité historique, infiniment plus complexe ! La Salle du Jeu de Paume se transforme très vite en temple républicain, où l’on vient faire ses dévotions, reproduire le geste du serment, mimer l’unanimité fantasmée tandis qu’à l’extérieur les factions n’en finissent plus de se diviser.

Auguste Couder, Le Serment du Jeu de Paume, 20 juin 1789, 1848, Château de Versailles. Agrandissement : Salle du jeu de Paume à Versailles. Au fond, reproduction du tableau de Jacques-Louis David, Le Sermen du Jeu de Paume. Au centre, maquette de la Bastille, taillée dans un bloc de pierre venant de la forteresse elle-même.

L’unanimité de façade

Le mythe de l’unanimité révolutionnaire a lui aussi la vie dure. « L’unanimité de la Révolution n’a été que de façade et, pourtant, nous ne cessons de nous en réclamer. » On comprend facilement pourquoi. Comment imaginer que la démocratie, qui repose sur la loi du nombre, ait pu naître des infinies divisions de la vie politique française ? Il est plus simple et rassurant de brosser le portrait d’un peuple cohérent et uni face à ses adversaires.

La Fête de la Fédération, qui s’est tenue sur le Champ de Mars le 14 juillet 1790, en commémoration de la Bastille, avait cette fonction. On l’invoque encore régulièrement dans les discours politiques sans voir qu’elle est avant tout un mythe destiné à fonder l’unité révolutionnaire. Tout commence par une messe spectaculaire, présidée par Talleyrand, qui n’y croit guère, et trois cents prêtres en écharpe tricolore, célébrant un régime qui s’apprête à les dépouiller par la Constitution civile du clergé.

Louis Joseph Watteau, dit Watteau de Lille, La Fête de la Fédération, 1790, Palais des Beaux-Arts de Lille. Agrandissement : Fédération générale des Français au Champ de Mars, le 14 juillet 1790, Isidore Stanislas Helman, 1790, Paris, BnF.

La Fayette, les députés, les fédérés, le roi se prêtent tour à tour à l’exercice du serment, dissimulant sous une apparente unanimité des divisions profondes et appelées à s’accentuer : les uns veulent s’assurer qu’on ne touchera pas à la Révolution, les autres qu’on ne la poussera pas plus loin.

Le chant du Te Deum vient clore cette mascarade politique et conférer à la Nation révolutionnaire le surcroît de sacralité dont elle a besoin pour se convaincre qu’elle existe et que rien ne peut la diviser.

Mais un an plus tard, la fuite à Varennes, rompt brutalement le charme de cette mystique nationale. Et le serment qui servait ici à unir, servira bientôt à exclure, les prêtres réfractaires, les royalistes, les Girondins… « Derrière le serment se cache l’hydre de la trahison et de la Contre-Révolution. Et, au bout du bout, la guillotine. »

Histoire et vérité

Il y aurait encore beaucoup à dire des mythes révolutionnaires sur lesquels notre mémoire nationale s’est construite. La conquête des libertés n’a pas toujours été aussi combative qu’elle le prétend : la Bastille s’est rendue sans que l’on n’ait besoin de la prendre. Et la geste révolutionnaire n’a pas toujours été très libérale, à moins de passer sous silence les 17000 guillotinés, les procès bâclés, la Vendée et l’énorme déchaînement de violence auquel la Terreur a donné lieu.

Waresquiel achève son étude en étudiant les batailles de Valmy (20 septembre 1792) et de Waterloo (18 juin 1815), à fronts renversés : la première qui se cantonna à un échange d’artillerie défensif fut transformée en victoire offensive, à verser au crédit de la Nation en armes, le seconde, qui fut une défaite magistrale, en partie due à une erreur d’appréciation stratégique, vint ajouter sa part de tragédie à la gloire napoléonienne, sous le motif fallacieux de la trahison.

La recherche historique est une école de vérité et de démystification. La Révolution n’échappe pas à cet exercice inconfortable. Est-il pour autant salutaire ? Les peuples, y compris celui de France, éprouveraient-ils le besoin irrépressible d’un « roman national » unificateur (dico) ?

Publié ou mis à jour le : 2024-11-16 19:52:34

Voir les 9 commentaires sur cet article

DURNER FRANCIS (19-11-2024 16:13:46)

Je trouve dommage que la révolution prenne autant d'importance dans le roman national et que on oublie les excès de la révolution et on exagéré les excès royaux, l 'histoire est toujours com... Lire la suite

Lorgnette (17-11-2024 23:50:59)

REVOLUTION FRANCAISE= Histoire d'une CONSPIRATION CONTRE LE PEUPLE

GERARD (17-11-2024 19:21:29)

Pas facile de connaitre et surtout de divulguer la globalité de l'histoire dans ce qui peut apparaitre les dessous

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