Si, dans notre imaginaire, la fourmi « n'est pas prêteuse » et le héron possède à jamais un « long bec emmanché d'un long cou », c'est grâce à un petit maître des eaux et forêts devenu l'un des plus célèbres poètes français.
Celui que l'on voit aujourd'hui comme le gentil compagnon des animaux et des enfants eut en fait un parcours chaotique qui en fit un homme plus complexe que l'image que l'on peut en avoir. Son premier recueil de fables a été publié le 31 mars 1668. Voyons comment ce « Jean qui pleure et Jean qui rit » est devenu notre cher La Fontaine national...
Jean de La Fontaine a plus que quiconque enrichi la langue française de dictons et d'expressions devenues proverbiales. Nous en avons souvent même oublié la source. Vérifiez vos connaissances avec le quiz ci-après. Attention aux pièges...
Un jeune homme dans la lune
Dans la petite famille La Fontaine de Château-Thierry (Aisne), on voit grand : le père, Charles, est un ambitieux qui rêve de quitter cet habit de bon bourgeois qu'il a hérité de ses ancêtres marchands.
Le chemin vers la noblesse passe par l'acquisition de la charge de maître des eaux et forêts, et celle de conseiller du roi...
Le fabuliste a-t-il pensé à son géniteur quand il a plus tard écrit ces mots toujours actuels :
« Ne faut-il que délibérer,
La cour en conseillers foisonne ;
Est-il besoin d'exécuter,
L'on ne rencontre plus personne. »
(Conseil tenu par des rats, Fables, tome I, 1668) ?
En attendant, notre rusé a stratégiquement épousé une veuve qui lui a apporté une jolie dot, vite investie dans une belle demeure un peu tape-à-l'œil.
Le porte-monnaie bien garni, le couple peut accueillir avec joie le 8 juillet 1621 un petit Jean, suivi 2 ans plus tard de Claude. Au collège, l'aîné se montre nonchalant, n'appréciant guère que les leçons d'Histoire et de latin.
Il y découvre avec grand plaisir les fables des anciens mais ce qu'il préfère, c'est aller baguenauder dans les campagnes champenoises à la rencontre des grenouilles obèses et des hérons dubitatifs.
Las ! ses parents ne voient pas les choses ainsi : en 1635, Jean est envoyé à Paris pour suivre des études de droit qui lui permettraient de reprendre les charges de son père. À lui les salons bien fréquentés, à lui les cabarets un peu moins fréquentables !
Les poches bien pleines de l'héritage maternel, le jeune frondeur profite de sa jeunesse aussi bien auprès des académiciens que des aventurières, n'oubliant jamais d'aller applaudir l'Illustre Théâtre d'un dénommé Molière.
Et puis un beau jour le voilà qui se tourne vers la religion et pousse la porte des Oratiens. 18 mois plus tard, il comprend que finalement il préfère les romans d'Honoré d'Urfé à la Bible. Lorsqu'on lui désigne la sortie, il part donc sans regret, enfin libre de pouvoir passer ses nuits à écrire des vers sans craindre le dur réveil pour mâtines.
« Ne forçons point notre talent,
Nous ne ferions rien avec grâce.
Jamais un lourdaud, quoiqu'il fasse
Ne saurait passer pour galant ».
(« L’Âne et le petit chien »)
La perruque du courtisan
Jean retrouve ses amis cabotins, ces Furetière, Pelisson et autres La Sablière avec lesquels il partage entre autres le goût des belles rimes. Inspirés par l'enseigne de La Table ronde qui trône à la façade de leur cabaret préféré, ils forment la Brigade des Paladins qui préfèrent la plume à l'épée et négligent la politique pour mieux manier la métaphore.
Mais en 1647, c'est le rappel à l'ordre : fini la fête, il faut prendre femme. Son père a été patient mais, inquiet de la réputation qu'est en train de se forger le noceur, il ne peut attendre plus.
Et voilà Jean marié à Marie Héricart, 14 ans, orpheline et davantage faite pour la vie des couvents que pour celle d'épouse. Ses grands airs de fausse précieuse ennuient vite sa moitié qui s'en détourne pour continuer à écrire des vers en cachette, dans ce Château-Thierry où sa nouvelle charge de maître des eaux et forêts l'a rappelé.
Mais la poésie ne nourrit pas son homme et le pauvre Orphée, trop panier percé, doit aller crier famine chez son oncle Jannart, substitut de Nicolas Fouquet, procureur général au parlement de Paris.
C'est une excellente idée : en 1658 La Fontaine est présenté à l'homme fort du royaume, ce grand argentier qui a bien compris que le pouvoir ne passait pas seulement par le porte-monnaie mais aussi par les Arts. Le Champenois se sent à l'aise parmi l'entourage brillant de celui qu'il considère vite comme un ami.
S’il s'attache à faire oublier son Eunuque, cette comédie si peu réussie publiée en 1654, s'il détruit le reste de sa production, c'est pour mieux se mettre à la galanterie, mélange de légèreté et d'élégance alors au goût du jour dans les salons.
Son Adonis (1658) ravit Fouquet qui lui offre un contrat : une œuvre contre une pension, tous les trois mois. Affaire conclue !
« Une tête empanachée
N'est pas petit embarras.
Le trop superbe équipage
Peut souvent en un passage
Causer du retardement ».
(« Le Combat des Rats et des Belettes »)
Commandé en 1659 par Fouquet pour célébrer son domaine dont la construction n'est pas terminée, « Le Songe de Vaux » nous entraîne dans le futur parc où l’on croise un saumon et un esturgeon déjà bien bavards.
« Me promenant vers un carré d'eau qui est au-dessus d'une cascade, j'aperçus un saumon et un esturgeon s'approchant du bord, comme s'ils eussent voulu me parler. Cela me surprit tout à fait ; car je ne croyais pas que la rivière d'Anqueuil entretînt commerce avec l’Océan. Je demandai donc à ces animaux pour quel sujet et par quel motif ils avaient quitté leur patrie. L'esturgeon me répondit par un truchement :
« Cela vous semble nouveau
Que des poissons, qui nagent en grand'eau,
Une prison volontaire,
Et renoncent pour elle à leur pays natal,
Quand la prison serait un palais de cristal.
En effet, il n'est personne
Qui d'abord ne s’en étonne ; […]
Je vais vous dire la raison
Qui nous a fait choisir cette aimable prison
Qu'avec moi ce saumon habite. […]
Nous fûmes envoyés par le maître des vents
Pour offrir de sa part, en termes obligeants,
Au possesseur de Vaux, Oronte son intime,
Ce que dans ses pays on voit de raretés,
Ambre, nacre, corail, marbre, diversités,
Enfin tous les trésors de la cour maritime ».
(Jean de la Fontaine, « Le Songe de Vaux », inachevé, 1659)
Chassé du paradis
Suivent huit années d'insouciance dans le sillage de l' « Écureuil » (« foucquet » en breton), entre Paris et les domaines de Saint-Mandé puis de Vaux-le-Vicomte, en construction, qui inspire au poète un Songe de Vaux.
Dans ce domaine de rêve, ébauche du futur Versailles, notre apprenti écrivain devient écrivain de cour, « papillon du Parnasse et semblable aux abeilles » (Lettre à madame de La Sablière) qui gravitent autour du maître du domaine. Celui-ci sait fort bien aider ce petit monde à trouver l'inspiration grâce à sa grande générosité et un goût très sûr.
Charles Perrault, Pierre Corneille et madame de Sévigné, entre autres gloires de la plume, peuvent se féliciter d'avoir croisé son chemin ! Le débutant Molière y trouve un appui de poids qu'il remercie avec les Fâcheux, comédie-ballet restée célèbre pour avoir été représentée le soir de la disgrâce du surintendant.
« Le 17 août, à 6 heures du soir, Fouquet était le roi de France ; à 2 heures du matin, il n’était plus rien ». Ce raccourci cruel de Voltaire évoque bien le coup de tonnerre qui a déchiré la cour en cette nuit de 1661, lorsque Louis XIV, poussé par Colbert qui voit dans Fouquet un concurrent à la succession de Mazarin, prit ombrage de la gloire de son fidèle serviteur. Au cachot !
Pour La Fontaine, c'est une catastrophe. Non seulement il n'a plus de mécène, mais il a perdu un ami et ne comprend pas pourquoi : « Il est arrêté, et le roi est violent contre lui, au point qu'il dit avoir entre les mains des pièces qui le feront pendre. Ah ! s'il le fait, il sera autrement cruel que ses ennemis, d'autant qu'il n'a pas, comme eux, intérêt d'être injuste » (Lettre à Maucroix, 1661).
Loin de renier son protecteur, La Fontaine fait publier anonymement l'année suivante un plaidoyer sous le titre « Élégie aux Nymphes de Vaux » (1662) : « Pleurez, Nymphes de Vaux […] / Les destins sont contents : Oronte est malheureux ». Suivra une « Ode au Roi » (1663) qui n'aura pas plus de succès auprès du souverain inflexible. Fouquet échappera à la peine capitale mais pas à la prison à vie.
« Qu'un ami véritable est une douce chose!
Il cherche vos besoins au fond de votre coeur ;
Il vous épargne la pudeur
De les lui découvrir vous-même.
Un songe, un rien, tout lui fait peur
Quand il s'agit de ce qu'il aime ».
(« Les Deux amis »)
Dans cette lettre datée du 22 août 1661, La Fontaine tente de faire vivre à son ami Maucroix, alors à Rome, la féérie de la soirée théâtrale offerte le 17 par Molière à Fouquet et à la famille royale. La Fontaine en profite pour rendre un hommage sincère à l’écrivain, « son homme », avec lequel il partagea la volonté de « corriger les mœurs par le rire », selon l'expression du poète Horace.
« Je ne te conterai donc que ce qui s'est passé à Vaux le 17 de ce mois : le roi, la reine mère, Monsieur, Madame, quantité de princes et de seigneurs s'y trouvèrent : il y eut un souper magnifique, une excellente comédie, un ballet fort divertissant, et un feu qui ne devait rien à celui qu'on fit pour l'Entrée […]
Le souper fini, la comédie eut son tour : on avait dressé le théâtre au bas de l'allée des sapins.
En cet endroit qui n'est pas le moins beau [ …]
Furent préparés les plaisirs
Que l'on goûta cette soirée.
De feuillages touffus la scène était parée,
Et de cent flambeaux éclairée :
Le Ciel en fut jaloux. Enfin figure-toi
Que, lorsqu'on eut tiré les toiles,
Tout combattit à Vaux pour le plaisir du roi
La musique, les eaux, les lustres, les étoiles. […]
Les décorations furent magnifiques, et cela ne se passa point sans machines.
On vit des rocs s'ouvrir, des termes se mouvoir,
Et sur son piédestal tourner mainte figure. […]
C'est un ouvrage de Molière ;
Cet écrivain par sa manière
Charme à présent toute la Cour.
De la façon que son nom court,
Il doit être par delà Rome :
J'en suis ravi, car c'est mon homme.
Te souvient-il bien qu'autrefois
Nous avons conclu d'une voix
Qu'il allait ramener en France
Le bon goût et l'air de Térence?
Plaute n'est plus qu'un plat bouffon ».
(Jean de La Fontaine, « À Monsieur de Maucroix. Relation d'une fête donnée à Vaux », 1661)
Le « Bonhomme » se dévergonde
Pour La Fontaine, il est temps de s'éloigner et de prendre du recul. Il suit donc son oncle Jannart pour un séjour dans le Limousin qui ressemble fort à un prudent exil. En chemin, le fidèle ami ne manque pas de s'arrêter à Amboise, devant la porte de la chambre où a été enfermé Fouquet : « Vous peindre un tel appartement, ce serait attirer vos larmes […]. Sans la nuit, on n'eut jamais pu m'arracher de cet endroit » (Lettre à madame de La Fontaine, 1663).
En 1664, enfin anobli, on le retrouve à Paris comme « gentilhomme servant » au service de la duchesse d'Orléans, veuve de Gaston de France, frère de Louis XIII. Certes, sa fonction n'est pour l'instant que de passer les plats à ce beau monde un peu triste du palais du Luxembourg mais le succès de sa première publication, les Contes et Nouvelles en vers tirés de Boccace et de l'Arioste (1665), lui laisse entrevoir un autre avenir.
À 44 ans, il est temps ! Celui que ses amis Molière, Racine et Boileau aiment à appeler « Le Bonhomme » lorsqu'ils le retrouvent au cabaret ou chez lui, rue d'Enfer, a fait preuve d'une belle audace en donnant un ton quelque peu gaillard, voire franchement rabelaisien, à ses histoires d'épouses coquines et maris cocus. Le genre, qui n'est finalement pas neuf, ravit les salons qui s'émoustillent de ce gentil badinage fait d'un mélange subtil d'élégance et de gauloiserie, conté avec une plume tellement légère !
Rapidement, il fait paraître un deuxième recueil encore plus osé, encore plus applaudi. La cour fait la moue, Colbert les gros yeux. La Fontaine a-t-il oublié que c'est justement lui, l'ennemi de Fouquet, qui distribue les pensions aux écrivains ?
Il va falloir dénicher une autre source de revenus...
« Lui cependant méprise une telle victoire ;
Tient la gageure à peu de gloire ;
Croit qu'il y va de son honneur
De partir tard. Il broute, il se repose,
Il s'amuse à toute autre chose
Qu'à la gageure ».
(« Le Lièvre et la tortue »)
C'est en vers que furent rédigés ces Contes grivois qui faillirent coûter à notre auteur canaille sa place d'académicien. « Ordures » pour Antoine Furetière, ils furent reconnus par le public des salons pour ce qu'ils se voulaient être, des « bagatelles » (Préface). Dans le début du texte suivant, « La Coupe enchantée », nous retrouvons un petit air des fables, mais aussi un écho à Molière et ses maris trompés...
« Les maux les plus cruels ne sont que des chansons
Près de ceux qu'aux maris cause la jalousie.
Figurez-vous un fou chez qui tous les soupçons
Sont bien venus, quoi qu'on lui die.
Il n'a pas un moment de repos en sa vie.
Si l'oreille lui tinte, o dieux ! tout est perdu
Ses songes sont toujours que l'on le fait cocu.
Pourvu qu'il songe, c'est l'affaire.
Je ne vous voudrais pas un tel point garantir ;
Car pour songer il faut dormir,
Et les jaloux ne dorment guère.
Le moindre bruit éveille un mari soupçonneux
Qu'à l'entour de sa femme une mouche bourdonne
C'est cocuage qu'en personne
Il a vu de ses propres yeux. Si bien vu que l'erreur n'en peut être effacée,
Il veut à toute force être au nombre des sots […] ».
(Contes, 1671)
Le roi et le vagabond
124 ! C'est le nombre impressionnant de fables que La Fontaine tire de son tiroir pour les publier en une seule fois, en mars 1668.
L'écrivain a choisi de déterrer ce vieux genre, cher aux Romains mais qui n'est plus guère apprécié que par quelques savants et latinistes néophytes. Lui-même a dû revenir à ses jeunes années pour se replonger dans Phèdre et Ésope, lectures qu'il complète par des fabliaux.
Le recueil achevé, il n'hésite pas à demander la permission de le dédier au Dauphin, fils de Louis XIV. Pourtant le roi, il ne l'a pour l'instant qu'à peine entrevu à Vaux et ne l'a à aucun moment côtoyé à la cour. Quant à être son protégé, il n'y arrivera jamais, alors que la plupart des fidèles de Fouquet sont parvenus à changer de camp.
La Fontaine réussit en effet l'exploit d'être familier de plusieurs groupes détestés en haut lieu, c’est-à-dire Port-Royal, les libertins et l’entourage de la nièce de Mazarin, la duchesse de Bouillon, dont le nom a été cité dans l'affaire des Poisons. Pourtant il n'a cessé de tourner autour du trône, passant de la protection d'une duchesse royale à celle d'une maîtresse officielle, madame de Montespan.
Sachant la passion du Soleil pour son œuvre de bâtisseur, il va jusqu’à chanter la gloire de Versailles dans Les Amours de Psyché (1669), récit en prose et vers qui prend pour cadre les jardins de Le Nôtre.
C’est un nouvel échec : il ne fait qu'entrevoir les ors de la bonne société qui aime à le fêter mais l'oublie dès qu'il est question d'argent. Il ne peut même plus compter sur sa charge de maître des eaux et forêts, perdue en 1671, quelques mois avant la mort de sa vieille protectrice, la duchesse d’Orléans. L’avenir s’annonce difficile.
« La cigale, ayant chanté
Tout l'été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue. […]
Elle alla crier famine
Chez la fourmi sa voisine ».
(« La Cigale et la fourmi »)
Du grenier à la coupole
C'est la déchéance : séparé de sa femme et de son fils Charles qu'il n'a pas vu grandir, La Fontaine est ruiné par les jeux de hasard et doit trouver refuge dans le grenier de madame de La Sablière, épouse d'un de ces Paladins qui ont enchanté sa jeunesse.
Le répit est de courte durée car pour les veuves aussi les temps sont durs, et La Fontaine doit déménager dans un entresol voisin à peine chauffé. Et ce ne sont pas les revenus de ses Contes, dont la dernière publication a été saisie en 1675, qui vont l'aider. Mais si le ventre se remplit difficilement, quel festin pour l'esprit !
Il parle littérature, arts, sciences et autres sujets distingués chez sa « Tendre Iris » mais aussi chez Ninon de Lenclos où il côtoie La Rochefoucauld et madame de Lafayette.
On l'encourage à poursuivre la rédaction de ces charmantes fables, dont le deuxième recueil, paru en 1678, est dédié à madame de Montespan. Il ne lui reste plus qu'à briguer un fauteuil à l'Académie française, et tant qu'à faire celui de son ennemi Colbert, mort en 1683 !
Il est coopté par les Immortels mais le roi refuse de confirmer cette élection et lui préfére Boileau. Par chance, celui-ci accède à un fauteuil peu de temps après, permettant au fabuliste d'entrer à son tour sous la Coupole en 1684, contre la promesse « d'être sage ». Il la respecte, du moins un temps, en se montrant assidu aux séances, mais très vite on recommence à le croiser au milieu de diverses réjouissances. La cigale a repris le dessus !
« Les vents me sont moins qu'à vous redoutables.
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos ;
Mais attendons la fin ».
(« Le Chêne et le roseau »)
Et Jean s'en alla...
À près de soixante ans, notre poète veut s'amuser et s'essaye dès lors à varier les styles et les genres : ce sera un livret d'opéra (Daphné, 1674), refusé par Lully qui devient une des rares personnes à avoir droit à son ressentiment éternel ; suivront la tragédie Achille, restée heureusement inachevée (1680-1685), la tragédie musicale Astrée (1691) moquée partout et la pièce en un acte Le Rendez-vous (1683) dont le texte a été perdu !
Il va même jusqu'à tenter la poésie scientifique pour vanter, dans une suite interminable de 600 vers, les vertus du quinquina (1682)... On peut donc le croire lorsqu'il explique en 1685 : « Je suis chose légère, et vole à tout sujet » (Discours à Mme de la Sablière, 1678). Il finit cependant par revenir à ses premiers amours pour publier le dernier recueil de ses fables, en 1694. Mais la mort commence à s'approcher, il le sent.
Une première faiblesse en 1692 l'a déjà poussé à demander l'assistance de l'Église, quitte à devoir renier ses Contes devant son confesseur mais aussi devant une délégation de l'Académie française. Quelles exigences pour de petites histoires gentillettes !
Malgré cette abjuration publique, il s'inquiète pour le salut de son âme et passe de plus en plus de temps sur les rimes d'un Dies Irae qui doit contribuer à son salut. « O mon cher, écrit-il à son ami Maurois quelques semaines avant sa mort, mourir n’est rien ; mais songes-tu que je vais comparaître devant Dieu ? »
Il rend finalement le dernier soupir le 13 avril 1695 sans être apaisé comme le montre le cilice de pénitent que l’on retrouve autour de son corps. D'abord inhumé au cimetière des Saints-Innocents à Paris, il rejoint officiellement en 1817 son cher Molière au Père-Lachaise. Mais aujourd’hui quelques doutes subsistent sur la présence effective des corps des deux amis...
Il laisse une « Épitaphe d'un paresseux » qui ne reflète qu'imparfaitement le parcours de celui qui créa près de 240 fables et 60 contes, avec l’exploit de ne pas avoir eu l'air de travailler. Dans son cas, on ne peut pas dire que la montagne a accouché d'une souris !
« Jean s’en alla comme il était venu,
Mangea le fonds avec le revenu,
Tint les trésors chose peu nécessaire.
Quant à son temps, bien le sut dispenser :
Deux parts en fit, dont il soulait [avait coutume] passer
L’une à dormir et l’autre à ne rien faire ».
(« Épitaphe d’un paresseux », Fables nouvelles, 1671)
« À quoi bon charger votre vie
Des soins d'un avenir qui n'est pas fait pour vous ?
Ne songez désormais qu'à vos erreurs passées »
(« Le Vieillard et les trois jeunes hommes »).
La fable, une drôle d’idée ?
Ce serait un Grec du VIe siècle av. J.-C., laid comme un pou mais futé comme un renard, qui aurait inventé les fables. On dit en effet qu'un individu étrange du nom d'Ésope avait su se sortir de bien des pièges en racontant de petites histoires amusantes enrichies d'une morale bien tournée.
Apprises par cœur par tous les Athéniens, y compris Socrate qui y consacra ses derniers instants, ces apologues ou récits moralisateurs ont traversé les siècles pour arriver à Rome où ils font la joie d'Horace et surtout de Phèdre, esclave affranchi par Auguste (Ier siècle).
De l'autre côté du monde, dès le IIe ou IIIe siècle avant J.-C., les princes indiens dévorent dans le Pañchatantrales l'histoire de deux chacals dont les aventures sont censées leur apporter la sagesse.
Devenus Kalîla et Dimna dans une adaptation en persan puis en arabe, au VIIIe siècle, ces animaux-personnages réapparaissent en Europe au Moyen Âge dans des ysopets (recueils de fables), puis dans le fameux Roman de Renart (XIIe siècle). Ils inspireront La Fontaine qui pourra accéder, dès 1664, à une traduction du Kalîla et Dimna. Le poète exploitera aussi l'exotisme de ces récits dans ses propres évocations des Moghols et du Monomotapa.
Quelque peu délaissées par nos humanistes qui les abandonnent aux linguistes et aux scolaires, les fables retrouvent grâce à lui une nouvelle jeunesse, tout comme le genre voisin des contes sous l’impulsion de Charles Perrault.
Les Lumières, représentées par Jean-Pierre Claris de Florian, suivent cette lancée avant que le XIXe siècle ne leur préfère nouvelles et romans. Les fables réapparaissent finalement dans la seconde partie du XXe siècle sous la forme de parodies : Raymond Queneau, Eugène Ionesco et autre Pierre Perret s'en donnent à cœur joie ! Notons tout de même que ces derniers textes, mêmes les plus loufoques, restent un bel hommage au maître absolu du genre, La Fontaine !
« Si ce qu'on dit d'Ésope est vrai,
C'était l'oracle de la Grèce,
Lui seul avait plus de sagesse
Que tout l'Aréopage ».
(« Testament expliqué par Ésope »)
« L'ami Pierrot » ne pouvait que rendre hommage à son maître, avec lequel il partage le même univers tendre et le même goût des mots.
« Maître Corbeau sur un chêne mastard
Tenait un from'ton dans le clapoir.
Maître Renard reniflant qu'au balcon
Quelque sombre zonard débouchait les flacons
Lui dit : « Salut Corbac,
c'est vous que je cherchais.
A côté du costard que vous portez, mon cher,
La robe du soir du Paon est une serpillière.
De plus, quand vous chantez, il paraîtrait sans charre
Que les merles du coin en ont tous des cauchemars. »
A ces mots le Corbeau plus fier que sa crémière,
Ouvrit grand comme un four son piège à ver de terre.
Et entonnant "Rigoletto" il laissa choir son calendo.
Le Renard le lui pique et dit : « Apprends mon gars
Que si tu ne veux point tomber dans la panade
N'esgourde point celui qui te passe la pommade ... »
Moralité:
On doit reconnaître en tout cas
Que grâce à Monsieur La Fontaine
Très peu de chanteurs d'opéra
Chantent aujourd'hui la bouche pleine ».
La Fontaine, simple plagiaire ? Non, créateur inspiré !
Un renard affamé, voyant des grappes de raisin pendre à une treille, voulut les attraper ; mais ne pouvant y parvenir, il s’éloigna en se disant à lui-même :« C’est du verjus ».
Pareillement certains hommes, ne pouvant mener à bien leurs affaires, à cause de leur incapacité, en accusent les « circonstances ». Cela vous rappelle quelque chose ? « Le Renard et les raisins », bien sûr ! mais dans la version succincte héritée d'Ésope.
Connaissant sur le bout des doigts, comme tous ses contemporains, la littérature gréco-romaine, la Fontaine s'est en effet approprié ces fables qui nourrissaient ses cours de langues anciennes.
Mais il ne s'est pas contenté de les traduire : d'une belle plume, il choisit chaque mot, chaque expression pour réécrire avec légèreté des textes souvent lourds ou trop désireux d'aller rapidement à la morale.
Ses personnages sont dessinés avec une délicatesse infinie dans le rendu de la psychologie et des attitudes, le tout dans une langue si simple qu'elle est encore aujourd'hui accessible aux plus jeunes.
Et quel art de la narration ! En deux vers il présente le cadre, en quatre il expose l'intrigue ; le lecteur ne peut dès lors plus se détacher de l'histoire au suspense habilement travaillé, nourri d'un présent de narration qui nous plonge au cœur de l'action.
« Il est assez de geais à deux pieds comme lui,
Qui se parent souvent des dépouilles d'autrui,
Et que l'on nomme plagiaires.
Je m'en tais, et ne veux leur causer nul ennui :
Ce ne sont pas là mes affaires ».
(« Le Geai paré des plumes du paon »)
La simplicité faite art
C'est ainsi que La Fontaine a réinventé un vieux genre tout en donnant naissance à la« fable poétique » en vers.
Habilement, il transforme les antiques fables en prose en poèmes pour répondre au souhait du public, avide de « nouveauté et de gaieté ».
C'est que le fabuliste est aussi un maître dans l'art poétique, qui sait jongler avec les vers, marier les sons et rimer sans effets inutiles, souvent en inversant simplement les termes : « sur un arbre perché / […] par l'odeur alléché ».
En virtuose de la langue il parvient aussi à habiller discrètement ses créations de quelques amusants archaïsmes (« Je me vas désaltérant ») et figures de style parmi les plus communes : énumération, (« Adieu, veau, vache, cochon »), répétition (« Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés »), oxymore (« Elle se hâte avec lenteur »)...
L’imagination et la fantaisie animent la « gente trotte-menue », les « patte-pelus » et autres« grippeminauds »du côté de « Ratopolis ». La Fontaine joue la sobriété et la simplicité. N'écrit-il pas pour un enfant, le Dauphin ?
Même si aujourd'hui, certaines de ses expressions ou sous-entendus nous paraissent étrangers, l'ensemble conserve une limpidité telle que La Fontaine peut encore être donné à lire aux plus petits. Lui qui se disait « paresseux »a porté au pinacle l'art de faire beaucoup avec la plus grande simplicité. La Fontaine ? De l’« eau claire »(Jean Giraudoux) !
« Je hais les pièces d'éloquence
Hors de leur place, et qui n'ont point de fin ;
Et ne sais bête au monde pire
Que l'Écolier, si ce n'est le Pédant ».
(« L’Écolier, le Pédant et le Maître d’un jardin »)
À poils et à plumes
Loup aux dents longues, tortue gentiment futée, fourmi quelque peu radine... Dès que l'on lit La Fontaine, on convoque à l'instant tout un bestiaire joyeusement indiscipliné qui trotte à ses côtés sur les chemins champenois.
Pourtant remettons les choses à leur place : dans les fables, les animaux ne représentent pas la majorité des personnages ! Ils doivent cohabiter avec bûcherons et bergers, habitants de l'Olympe et de l’empire moghol, citrouille et roseau et même avec un pot de fer et un pot de terre. Malgré tout, ce sont bien nos amis à deux ou quatre pattes (voire plus pour les insectes) qui règnent en maîtres sur nos imaginations.
Et pour cause ! Quoi de plus charmant que d'évoquer deux pigeons fous amoureux ?
« Deux pigeons s'aimaient d'amour tendre.
L'un d'eux, s'ennuyant au logis,
Fut assez fou pour entreprendre
Un voyage en lointain pays.
L'autre lui dit... »
(« Les Deux Pigeons »)
La Fontaine ne fait de la sorte que reprendre une vieille tradition, déjà populaire dans l'Antiquité comme au Moyen Âge, friand des aventures de Renart et autres créatures au caractère stéréotypé.
Il s’agit d’animaliser les types humains tout en donnant aux animaux les caractères et langages des hommes (humanisation) : ainsi le rusé est transformé en renard qui lui-même prend l’attitude d’un courtisan.
Qu'importe si les corbeaux n'ont guère l'habitude d'avaler les fromages ! L'auteur ne se revendique nullement comme un scientifique, même s'il participe avec intérêt, dans les salons, aux débats sur l'âme des animaux. Pour lui, pas question de réduire ses amis les bêtes à des machines, comme l'a fait René Descartes. Il les a trop observés pour cela, comme ces cerfs capables de « cent stratagèmes / Dignes des plus grands chefs » (Discours à Mme de la Sablière, 1678). lorsque leur vie est en jeu. Comment accepter« qu'un Cartésien s'obstine à traiter ce hibou de montre et de machine »(« Les Souris et le chat-huant », 1678) ?
« Je me suis souvent dit, voyant de quelle sorte
L’homme agit, et qu’il se comporte
En mille occasions comme les animaux :
Le Roi de ces gens-là n’a pas moins de défauts
Que ces sujets […] ».
(Discours à monsieur le duc de La Rochefoucauld)
La comédie humaine
Au contraire, semble dire La Fontaine, regardez comme les animaux nous ressemblent ! Ils ont nos traits de caractère et surtout, comme c’est cocasse ! Tous nos vilains défauts.
Le but premier de ces dialogues animaliers est en effet de faire œuvre satirique pour mieux éduquer nos mœurs, comme il le rappelle dans sa « Dédicace au Dauphin » :
« Tout parle en mon ouvrage, et même les poissons :
Ce qu'ils disent s'adresse à tous tant que nous sommes ;
Je me sers d'animaux pour instruire les hommes ».
À aucun moment le lecteur ne doit oublier que « ce n’est pas aux hérons [qu’il] parle ; écoutez, humains ! ». Avidité (« On hasarde de perdre en voulant trop gagner »), jalousie (« Une poule survint / Et voilà la guerre allumée »), hypocrisie (« tout flatteur / Vit aux dépens que celui qui l'écoute »)...
Pas de pitié pour l'être humain ! La conséquence en est parfois terrible pour nos personnages, comme l’innocent agneau dévoré pour n’avoir trouvé de réponse à cet argument : « Si ce n’est toi, c’est donc ton frère ». Mais les bons aspects de la nature humaine sont là aussi comme la solidarité (« On a souvent besoin d'un plus petit que soi »), l'amitié (« Qu'un ami véritable est une douce chose ! ») et même parfois l'amour (« Soyez-vous l'un à l'autre un monde toujours beau »).
Car s'il veut nous donner des leçons de méfiance, n'hésitant pas à reprendre des formules populaires de bon sens, La Fontaine n'est pas pour autant pessimiste : il est simplement réaliste, observateur attentif de la société dont il donne à voir toutes les facettes de l'étrange comédie. Hommes d’Église, marchands, savetiers, bûcherons, paysannes…
C’est tout le XVIIe siècle qui défile dans ses pages. « Diversité, c’est ma devise » a-t-il expliqué : la multiplicité des caractères fut pour lui un formidable puits sans fond pour épauler Molière dans sa volonté de « châtier en riant les mœurs ».
« Le Fabricateur souverain
Nous créa Besaciers tous de même manière,
Tant ceux du temps passé que du temps d'aujourd'hui.
Il fit pour nos défauts la poche de derrière,
Et celle de devant pour les défauts d'autrui ».
(« La Besace »)
Jeu de massacre
« Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages »que la grenouille voulant devenir bœuf. Mais il est un endroit où La Fontaine a trouvé nombre de ces éternels insatisfaits : la cour. Même si lui-même a été tenu éloigné du roi, il s'est suffisamment rapproché du Soleil pour pouvoir observer à sa guise la bonne société du Grand Siècle.
Ne lui reste plus qu'à s'adresser à ce petit monde de dentelles sans en avoir l'air, en feignant de s'adresser aux enfants et en particulier au premier d'entre eux :« À Monseigneur le Dauphin... »(dédicace des Fables, 1668). Cette ruse lui permet d'aborder, en toute discrétion et en toute hypocrisie, les sujets qui fâchent. Quel souverain aurait l'idée de se reconnaître dans la description d'un lion tyrannique ? Quel courtisan se sentirait visé par la peinture du comportement d'un renard sans scrupule ?
Aucun risque ! Et c'est ainsi que La Fontaine peut tranquillement ouvrir son deuxième recueil sur la fable « Les Animaux malades de la peste », brillante charge contre l'arbitraire des hommes de pouvoir. Il n'attaque pas de front mais se sert des armes redoutables que sont l’animalisation et la morale, adressée directement au lecteur : « Selon que vous serez puissant ou misérable, / Les jugements de cours vous rendront blanc ou noir ».
S’il critique le roi dans plus de 30 fables, nul désir cependant chez lui de renier son autorité comme le montre « Les Membres et l'estomac » où il insiste sur la solidarité de tous les échelons du pays.
Ses flèches visent avant tout les courtisans, ces renards flatteurs (« La Cour du lion ») et cerfs obséquieux (« Les Obsèques de la lionne ») qui vivent aux crochets des princes, comme il sut lui-même d'ailleurs si bien le faire !
La Fontaine se fait aussi chroniqueur de son temps et ne se gêne pas pour transformer Fouquet en cigale insouciante qui se heurte à une fourmi grippe-sou et sans cœur, dans laquelle certains auront reconnu sans problème Colbert. Il aime aussi tirer parti des faits divers, comme celui de la mort accidentelle d’un curé, tué par le cadavre qu’il allait enterrer, et « Tous deux s’en vont de compagnie » (« Le Curé et le mort »).
Pour La Fontaine, tout est trésor !
« Ne soyez à la cour, si vous voulez y plaire,
Ni fade adulateur, ni parleur trop sincère ;
Et tâchez quelquefois de répondre en Normand ».
(« La Cour du lion »)
Dans son essai Les Cinq tentations de La Fontaine, Jean Giraudoux avoue son d’admiration pour cet auteur « ondoyant et habile » au nom prédestiné :
« Il est impossible de raconter cette vie autrement que comme une épopée de la simplicité et de la distraction. […] L'existence de La Fontaine, seule entre toutes, est une merveilleuse et complète absence de conflit, et le problème qui se pose à son propos est seulement celui de savoir comment il a pu en éliminer tout problème. L'histoire de La Fontaine, c'est l'histoire des efforts faits pendant soixante ans, par la malignité de la destinée humaine, pour le faire déchoir d'une simplicité étonnante […]. L'existence facile, le succès, une ronde des plus charmantes femmes d'un siècle qui disposait dans cet ordre d'un choix réel, rien n'y a fait. Pas une seule fois, l'incroyable liberté que se permettait cet homme libre ne s'est laissée séduire, pas une seule fois, la trame large et continue de sa vie ne s'est laissée muer en épisodes. […] si l'on passe la vie de La Fontaine au tamis, elle passe toute, aucun dépôt ne subsiste, c'est de l'eau claire... […] Si le nom de La Fontaine conserve son sens primitif, c'est qu'il a passé toute sa vie à le graver et l'écrire sur de l'eau »(Les Cinq tentations de La Fontaine, 1938).
Tout le monde l'aime... ou presque
Cher La Fontaine... Apprécié des petits comme des grands, en France comme à l'étranger, sa statue semble indéboulonnable. Et pourtant ! À son époque déjà, les critiques ont plu sur sa vie comme sur ses contes, jugés totalement immoraux.
Les silences ont peut-être été pires pour lui : pas un mot sur son œuvre dans L'Art poétique de Boileau, et un Louis XIV qui l'ignore quand tant d'autres moins doués entrent à son service.
Même le jour où il accéda à l'Académie française, qui aurait dû être le point d'orgue de sa carrière, il fut qualifié de « génie aisé, facile » et subit des remontrances comme un élève peu doué qui doit se mettre au travail : « Ne comptez pour rien, Monsieur, tout ce que vous avez fait par le passé » (Pierre Cuveau de la Chambre, Discours d'accueil à l'Académie, 1684).
Ses fables n'échappent pas aux attaques, en particulier celles de Rousseau qui en déconseille l'apprentissage aux enfants, incapables selon lui de comprendre si le poète met vice ou vertu en avant :« On leur apprend moins à ne pas laisser tomber [le fromage] de leur bec qu'à le faire tomber du bec d'un autre » (Émile ou De l'éducation, 1762).
Voltaire reconnaît quant à lui que La Fontaine« a réussi dans son petit genre »(Lettre de M. de La Visclède, 1776) grâce à un « instinct divin », mais il lui dénie tout talent :« Le caractère de cet homme était si simple que, dans la conversation, il n'était guère au-dessus des animaux qu'il faisait parler » (Lettre à Vauvenargues, 1745).
Même réticence chez Lamartine qui considère les fables comme « la philosophie dure, froide et égoïste d’un vieillard » (Méditations poétiques, 1849), loin des grandes envolées romantiques. Hugo, toutefois, dans le Post-scriptum de ma vie(textes de 1860 publiés en 1901), évoque en termes louangeurs son attachement à la nature :« Il entre en communication avec la nature ; il est en équilibre avec la création […]. La Fontaine, c'est un arbre de plus dans le bois, le fablier ».
Aujourd’hui, on voit plutôt en La Fontaine « un brillant mauvais élève »(Jean Giraudoux, Les Cinq tentations de La Fontaine, 1938) devenu, avec ses quelque dix mille vers, un pilier de notre littérature. Francis Jammes lui a dédié un recueil poétique, Le Tombeau de Jean de La Fontaine (1921) :
« La Fontaine reçut du ciel ce nom chantant.
En lui se produisit cette métamorphose
Que d’homme qu’il était, comme Adonis la rose,
Il devint la fontaine au regard transparent.
Mais voici que se tait son flot pur. La colombe
Qui se mirait dedans et qui lui répondait
Fait silence à son tour e
Grands écrivains
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