5 février 2023 : il y a un peu plus de cinquante ans, un attentat frappait les Jeux Olympiques de Munich et portait sur le devant de la scène internationale la question palestinienne. Depuis la guerre d’Ukraine et même avant, celle-ci est retournée dans l’ombre, Israël et ses voisins sunnites faisant passer au premier plan les enjeux géopolitiques et en particulier la lutte contre l’expansionnisme iranien. L’Europe est la grande absente de ce « Grand Jeu » moyen-oriental. Il n’est pas sûr que les attentats palestiniens de ces dernières semaines en Israël changent la donne…
La raison d’État avant l’idéologie
Tout commence avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022. De manière étrange, face à ce conflit entre Européens, Israël s’est retrouvé en première ligne. En effet, depuis l’intervention de Vladimir Poutine en soutien de Bachar el-Assad en 2015, Israël dépend du bon vouloir des avions et des radars de la base russe de Lattaquié (Syrie), pour effectuer des bombardements en Syrie et ainsi stopper l’expansion militaire de l’Iran et de son bras armé, le Hezbollah chiite libanais, vers les frontières nord d’Israël.
Malgré sa sympathie pour l’Ukraine et sa proximité idéologique avec les États-Unis et l’Europe, Israël s’en tient à une forme de non-alignement vis-à-vis de ce conflit en s’abstenant notamment de fournir des armes à Kiev. L’État hébreu se limite à des actions humanitaires ainsi qu’à l’accueil de quelques dizaines de milliers d’immigrants juifs, originaires de Russie, Ukraine et Biélorussie.
Cela dit, la sortie de ces juifs dépend aussi du bon vouloir des autorités locales sollicitées par l’Agence Juive. En Russie, des menaces de procès et de fermeture contre ce fer de lance du sionisme ont fait comprendre rapidement aux Israéliens la nécessité de se tenir à l’écart de tout engagement dans le conflit. C’est pour Israël une deuxième raison de rester neutre dans le conflit russo-ukrainien. Il pourrait y en avoir une troisième avec la présence en Israël même d’importantes communautés originaires tant de Russie que d’Ukraine…
Cette politique s’avère consensuelle parmi la classe politique israélienne et souligne les ambiguïtés de la géopolitique : l’Iran peut ainsi livrer des drones à la Russie tandis que les Russes ferment les yeux sur les attaques israéliennes contre les factions pro-iraniennes du Liban et de Syrie.
En mars 2022, le sommet du Néguev, à Sde Boker, le kibboutz où David Ben Gourion finit sa vie, a réuni les ministres des Affaires étrangères d’Israël, des États-Unis, d’Égypte, des Émirats Arabes Unis, de Bahreïn et du Maroc. Le seul fait de rassembler tous ces ministres était déjà une première performance ; la seconde fut d’exclure le conflit israélo-palestinien de l’ordre du jour, le réduisant ce faisant à une affaire intérieure israélienne !
Prolongeant les « accords d’Abraham » lancés par le président Trump et le Premier ministre Netanyahou en 2020, le sommet du Néguev a permis de sortir Israël de son isolement régional, surtout si on ajoute la Jordanie, avec laquelle la paix a été signée en 1995, et le Soudan qui a signé en 2021 un traité avec Israël. Le Tchad, qui avait rétabli ses relations diplomatiques avec Jérusalem dès 2019, a inauguré son ambassade en Israël juste au moment où nous écrivions ses lignes.
La proximité inédite d’Israël avec le bloc sunnite se trouve renforcée par la nouvelle lune de miel avec la Turquie, après plus de dix ans d’un froid glacial soufflant entre les deux pays. Après avoir été depuis 2010 l’un des plus chauds défendeurs de la cause palestinienne, le président Erdogan a amorcé un rapprochement dès 2021 pour aboutir à un rétablissement complet des relations diplomatiques conclu le 27 août 2022. C’est essentiellement le chef de l’État turc qui a pris l’initiative, à la fois pour se donner un aspect moins agressif au niveau international, mais également pour des raisons intérieures, tant économiques qu’électorales.
Enfin, dans ce domaine des relations entre Israël et la région arabo-musulmane au milieu de laquelle l’Etat hébreu se trouve placé, il faut souligner une première avancée vers le Liban, avec la signature en octobre 2022 de l’accord sur les frontières maritimes et l’exploitation des champs gaziers sous-marins. Cet accord est le résultat tant de pressions américaines exercée sur une longue durée sur les deux parties que le témoignage de l’affaiblissement du Hezbollah chiite, notamment après l’explosion du port de Beyrouth en août 2220.
Tous unis face à la République islamique
Cette amélioration de la position israélienne sur le plan diplomatique, alors que le conflit israélo-palestinien reste enlisé, montre que les États de la région aspirent à sortir de ce blocage dont l’Autorité palestinienne est partiellement responsable, dix ans après son admission à l’ONU en tant qu’observateur.
Si, officiellement, les pays musulmans continuent d’affirmer leur soutien à la cause palestinienne à travers des votes dans les organisations internationales, Israël n’est plus un tabou et les avantages que ces pays retirent de cette « mauvaise fréquentation » l’emportent largement sur le risque d’être vu comme trahissant la « cause arabe ».
Le rapprochement inédit avec une partie du monde arabe sunnite et nord-africain, outre ses aspects militaires, commerciaux et économiques non négligeables, est de manière évidente dirigé contre l’Iran. C’est la confirmation d’un spectaculaire « renversement des alliances » pour qui se souvient du soutien actif apporté par Israël à l’Iran pendant la guerre Irak-Iran, dans les années 1980. Il est vrai qu’à l’époque, l’État hébreu se sentait plus directement menacé par ses voisins immédiats.
Nous n’en sommes plus là. Indifférent à la révolte des femmes iraniennes, qui perdure depuis septembre 2022, le régime des ayatollahs a profité de ce que les Occidentaux étaient accaparés par la guerre d’Ukraine pour accélérer sa course à l’arme nucléaire. Or, du côté israélien, il existe un large consensus pour empêcher par tous les moyens la République islamique de l’acquérir. Washington, allié incontournable de Jérusalem, commence aussi à envisager une solution militaire.
En Israël et au Moyen-Orient, la raison d’État et l'intérêt supérieur de la nation l’emportent désormais sur l’idéologie, en dépit de la recrudescence des attentats terroristes palestiniens en 2022 et du retour au pouvoir de l’inusable Benjamin Netanyahou (73 ans), déjà Premier ministre en 1996-1999 et 2009-2021, à la tête de la coalition la plus à droite qui aie jamais gouverné l’État d’Israël.
Cette Realpolitik risque toutefois d’être remise en cause par les projets du nouveau gouvernement de transformation du système judiciaire qui, à l’exemple de ce qui s’est passé en Pologne ou en Hongrie, remettraient en cause le fonctionnement démocratique de l’État hébreu. Ces projets émeuvent l’opinion publique interne mais également les investisseurs internationaux, suffisamment pour que le Secrétaire d’État américain comme le président Emmanuel Macron aient fait part de leurs inquiétudes à Netanyahou, une intervention dans la politique intérieure israélienne qui dénote du langage diplomatique habituel.
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Voir les 5 commentaires sur cet article
Christian (11-02-2023 15:08:02)
Je rappelle, à toutes fins utiles, que le partage de la Palestine entre un Etat arabe et un Etat juif (avec un statut international pour Jérusalem) a été approuvé par l'ONU en 1947, qu'Israël a reconn... Lire la suite
Jonas (09-02-2023 14:27:00)
Je rappelle a toutes fins utiles , que le royaume de Jordanie est composé de 65 à 70% de palestiniens et qu'il existe vingt et un pays arabo-musulmans et trente cinq pays musulmans non arabes, qui ... Lire la suite
Danmain (05-02-2023 17:43:52)
"le régime des ayatollahs a profité de ce que les Occidentaux étaient accaparés par la guerre d’Ukraine pour accélérer sa course à l’arme nucléaire." Une telle affirmation équivaut à une accuser les ... Lire la suite