Macron comme Mac-Mahon ?

L'affrontement

22 mars 2023. Il y a quinze mois, le 19 janvier 2022, Herodote.net a pronostiqué la réélection par défaut d'Emmanuel Macron en mai et l'échec de sa majorité aux législatives de juin. Nous y avons vu le risque d'une crise politique susceptible de conduire à la fin du régime présidentiel, comme en mai 1877, quand le président Mac-Mahon dut renoncer à ses prérogatives avant de démissionner.
L'actuel président s'est risqué à passer en force avec la loi sur les retraites, contre la rue, les syndicats et les députés. Ce triple front du refus est inédit sous la République. Le président Macron s'en sortira-t-il mieux que son prédécesseur ?...

La présidence Macron comme la présidence Mac-Mahon?La France est entrée dans une crise politique majeure, sans doute la plus grave depuis Mai 68. Moins d'un an après sa réélection, le président Emmanuel Macron semble devenu inaudible cependant que l'Assemblée législative paraît réduite à l'impuissance, écartelée entre une extrême-gauche brouillonne, un parti présidentiel inconsistant, une droite à la ramasse et une extrême-droite à l'affût.

À première vue, on peut s'étonner de la minceur de l'argument à l'origine de cette crise : un projet de loi sur les retraites qui prône le recul de deux ans de l'âge de départ à la retraite, de 62 à 64 ans. Le président lui-même, avant sa réélection, ambitionnait tout autre chose en la matière : une retraite par points (chaque retraité reçoit en proportion de ses cotisations et de son espérance de vie, comme cela se fait en Suède et dans quelques autres pays modernes). On pouvait aussi augmenter pour tous les salariés le nombre d'annuités nécessaire pour une retraite à taux plein. Cela eut été plus juste que le report de l'âge minimum de départ à la retraite : ce report désavantage doublement les salariés modestes qui, d'une part commencent de travailler plus tôt, d'autre part ont une espérance de vie bien plus faible que les cadres.

En définitive, le président s'est arc-bouté sur le recul de l'âge ! Dans un premier temps, il l'a justifié par la nécessité d'économiser quelques milliards d'euros par an puis il a invoqué dans la semaine du 14 mars « les risques financiers et économiques trop grands » qui pèsent sur la France. Le pays est en effet surendetté du fait des largesses du gouvernement (primes et aides en tous genres) et surtout de l'effondrement de l'industrie et de l'agriculture. En 2021, avant la flambée des prix de l'énergie, le déficit commercial atteignait déjà de ce fait 85 milliards d'euros.

À défaut de redresser l'industrie, l'agriculture et le commerce, Emmanuel Macron a donc besoin de démontrer sa capacité à réduire les dépenses publiques pour rassurer les marchés financiers internationaux ainsi que la Commission européenne qui pourrait autrement priver la France de sa part dans le plan de relance européen. Le président, dont les convictions européistes ne sont plus à démontrer, ne veut qu'une chose : un satisfecit des institutions supranationales et de l'auguste Ursula von der Leyen.

La faute aux institutions ?

D'aucuns voient dans la crise actuelle la conséquence d'institutions usées et trop peu démocratiques. Mais à tout juste 64 ans, la Constitution de la Ve République fait figure de jeunette ! Les lois fondamentales qui régissent l'Angleterre sont pluriséculaires tout comme d'ailleurs la Constitution des États-Unis. Les autres grandes démocraties de la planète, de l'Allemagne à l'Union indienne, ont aussi pour la plupart des Constitutions plus anciennes que la nôtre.

Ce qui d'ailleurs différencierait la Constitution française de ses consoeurs est son exceptionnelle instabilité. Elle a été plus souvent révisée dans ces dernières décennies que la Constitution étasunienne en deux siècles, pour ne rien dire de l'Angleterre. Et ces révisions se sont révélées soit inutiles, inapplicables et verbeuses (article 2 sur le français « langue de la République », Charte de l'environnement), soit désastreuses (institution du quinquennat en 2000 et élection des députés dans la foulée du président).

Avant le XXIe siècle, la démocratie française avait surmonté toutes les tempêtes politiques et sociales avec au pire un gouvernement de cohabitation, quand le président et le Premier ministre étaient de deux bords opposés. Elle a connu une première secousse sismique le 21 avril 2002 quand le candidat du Front national (extrême-droite) Jean-Marie Le Pen s'est qualifié pour le second tour des présidentielles. Le plus grave est survenu avec le référendum du 29 mai 2005. À l'issue d'un débat démocratique d'une grande intensité, le peuple français s'est prononcé à une nette majorité (55%) contre le traité constitutionnel européen, contredisant ainsi le choix ultra-majoritaire de la classe politique, des parlementaires et des médias. Il a été suivi le 2 juin suivant par le peuple néerlandais, également consulté par référendum.

Pour autant, la classe dirigeante ne s'est pas tenue pour battue. Elle a récusé le résultat en le mettant sur le compte d'un peuple inculte, obtus et immature auquel avait seulement manqué une bonne pédagogie. De grandes âmes, à gauche comme à droite, en sont venues à regretter que le droit de vote ne soit plus réservé à une élite éclairée. Les intellectuels de Saint-Germain-des-Prés adeptes de  « l'ouverture au monde » ont dénoncé qui la « France moisie » (Philippe Sollers) qui la « France rance » (Bernard-Henri Lévy).

Aux élections présidentielles suivantes, en 2007, Nicolas Sarkozy a promis de résoudre la crise avec l'adoption d'un mini-traité consensuel. Dans les faits, le nouveau traité, dit traité de Lisbonne est une copie conforme du traité constitutionnel de l'avis même de la chancelière allemande Angela Merkel. Il a été prudemment soumis au seul vote des députés. Depuis lors, les citoyens se le tiennent pour dit : leur vote compte pour du beurre. « 2005 restera sans doute la base du basculement. À partir de là, la cassure entre la base et le sommet devient le cœur de la vie publique », écrit le philosophe Marcel Gauchet (Comprendre le malheur français, 2016).

Le malentendu

Au premier tour des élections présidentielles de 2017, dix des onze candidats ont manifesté à différents degrés la volonté de privilégier les intérêts nationaux, quitte à brusquer les règles de l'Union européenne, comme ne se privent pas de le faire les Allemands ou encore les Polonais. Le onzième candidat, Emmanuel Macron, s'est distingué par un discours pleinement « européiste » et c'est en définitive lui qui fut élu grâce à la contre-performance de sa concurrente du second tour. On peut y voir l'origine du malentendu qui a nourri la crise actuelle.   

Le nouveau président manifeste la conviction que la richesse nationale résulte de l'activité des métropoles et des classes aisées qui y vivent. Ce postulat est propre aux élites françaises qui, depuis deux décennies, favorisent de toutes les manières possibles les métropoles au détriment de la France périphérique. Cela a commencé avec le président Sarkozy quand il a décidé de supprimer les tribunaux d'instance des petites villes par souci d'économie. On n'observe rien de tel en Allemagne, en Suisse et dans tous les pays européens les plus avancés.

Cette illusion hexagonale vient de ce que les statisticiens enregistrent dans les métropoles beaucoup plus de richesse qu'ailleurs par le fait qu'elles abritent les populations à hauts revenus (cadres supérieurs et hauts fonctionnaires, publicitaires, financiers, commerciaux, etc.). Mais c'est dans les villages et les villes moyennes que sont établies les usines et les fermes qui produisent les biens matériels et les aliments sans lesquels les privilégiés n'auraient que leurs yeux pour pleurer.

Les travailleurs sur lesquels repose la seule véritable richesse de la nation se sont donc sentis floués à l'été 2018, quand le gouvernement a décidé de taxer le diesel au motif de dépolluer les métropoles, alors que jusque-là, pendant plusieurs dizaines d'années, les pouvoirs publics avaient incité chacun à s'équiper en véhicule diesel. Il s'en est suivi une première révolte avec les « Gilets jaunes ». Elle a secoué le pays et même fait trembler l'Élysée, obligeant l'exécutif à annuler l'écotaxe sur le diesel...

La leçon n'a pas servi puisque, plus récemment, une mesure réglementaire vise à interdire aux véhicules réputés polluants l'accès des centres urbains ! Enfin, l'étincelle qui a une nouvelle fois embrasé le pays est cette réforme sur les retraites réduite à presque rien : un report de deux ans de l'âge de départ à la retraite. Ce presque rien n'en est pas moins insupportable aux travailleurs modestes qui ont une nouvelle fois l'impression d'être la variable d'ajustement des impératifs comptables dictés par Bruxelles (Commission européenne) et Francfort (Banque centrale européenne).

Par un fait inédit et significatif qu'ont souligné les observateurs, les manifestations contre la réforme des retraites ont été relativement plus importantes dans les villes moyennes que dans les métropoles. Partout, sous les bannières des syndicats, on a observé un public d'âge intermédiaire, ni très jeune ni très vieux, avec très peu de ressortissants issus de l'immigration extra-européenne. Pas spécialement l'électorat traditionnel d'extrême-gauche. 

On peut craindre que cette mise en mouvement du pays profond n'entraîne le pouvoir à sa perte. Certes, l'exécutif respecte en toutes choses les formes légales mais, handicapé par deux élections par défaut, sans succès franc à son actif et suspendu à une réforme massivement rejetée, il peine à établir sa légitimité. Le dernier atout du président tient à la division de l'opposition parlementaire entre des camps opposés. Cela lui évitera-t-il le sort de Mac-Mahon ?...

En retard d'une guerre

En février 1871, suite à la chute de Napoléon III, une Assemblé nationale a été élue en vue de donner à la France un nouveau régime. La majorité des députés étant monarchistes, ils ont porté en mai 1873 à la présidence de la République le maréchal Patrice de Mac-Mahon, légitimiste bon teint. Mais trois ans plus tard, le vent a tourné.

Les Français se sont accoutumés à l'absence de monarque et ont donné une majorité républicaine à l'Assemblée. Celle-ci est très vite entrée en conflit avec le président. Il en a résulté la « Crise du Seize-Mai » à l'issue de laquelle, sans qu'une virgule soit changée aux lois constitutionnelles, la France a basculé d'un régime présidentiel à un régime parlementaire dans lequel le président ne fit plus qu'« inaugurer les chrysanthèmes »...

Dans cette crise comme dans la crise actuelle, on voit un président en retard sur l'évolution de la société. De même que le président Mac-Mahon s'est accroché à l'illusion d'une restauration monarchique, le président Macron s'accroche à l'illusion d'une Europe libérale, souveraine et ouverte sur le monde, qui remplacerait les vieux États-nations. C'est oublier la crise du covid-19 et la guerre d'Ukraine qui ont ramené les États au centre du jeu et révélé l'impuissance des institutions internationales.

En matière militaire, commerciale, énergétique, diplomatique, etc., chaque État joue sa carte personnelle... à l'exception notable de la France. On l'a vu dans le domaine énergétique quand l'Allemagne a torpillé la filière nucléaire française pour tenter de sauver ses filières gaz et charbon. De leur côté, l'Espagne et le Portugal n'ont pas craint de déroger au marché européen de l'énergie pour éviter la flambée des prix. En matière militaire, la Pologne, l'Allemagne, la Suède, etc. achètent à tout va du matériel et des avions américains au détriment des équivalents français. De son côté, le Danemark gère l'immigration sans s'embarrasser des remontrances européennes. 

Située au centre de l'Europe utile et créditrice nette du budget européen (elle verse davantage à l'Union qu'elle n'en reçoit), la France elle-même aurait toutes les facilités pour mener une politique autonome sans rompre pour autant avec la solidarité européenne. Mais pour l'heure, ni le président ni la classe politique dans son ensemble n'y sont disposés. Même le Rassemblement national (extrême-droite) et la France insoumise (extrême-gauche) se gardent de contester trop ouvertement les orientations de Bruxelles et la monnaie unique.

Pendant ce temps, dans le pays monte la crainte d'un déclassement, voire d'une tiersmondisation. La « France périphérique » réclame plus que jamais une prise en compte de ses intérêts et de ses besoins (travail, santé, éducation, etc.). C'est toute la différence avec la France de Mac-Mahon, qui n'attendait rien de plus qu'une clarification des institutions.

« Emmanuel Macron agit comme s’il avait un mandat qui lui permettait de tout faire alors qu’il est élu par défaut, à deux reprises pour faire barrage à l’extrême droite », rappelle avec sévérité l'historien Johann Chapoutot (L'Obs, 19 mars 2023). Le président prendra-t-il mieux que son lointain prédécesseur la mesure de l'enjeu ? Ou bien choisira-t-il ne de plus rien faire et éviter de paralyser le pays à la veille de rencontres importantes qui braqueront les caméras du monde entier sur le pays et son président : 80e commémoration du débarquement de Normandie en mai-juin 2024 et Jeux Olympiques en juillet-septembre 2024, dans moins de 500 jours ?

André Larané
Article 49 alinéa 3 :

Cet article 49.3 de la Constitution de 1958 a été le catalyseur de la crise politique. Rappelons-en les termes :
Article 49.
Le Premier ministre, après délibération du conseil des ministres, engage devant l'Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale.
L'Assemblée nationale met en cause la responsabilité du Gouvernement par le vote d'une motion de censure. Une telle motion n'est recevable que si elle est signée par un dixième au moins des membres de l'Assemblée nationale. Le vote ne peut avoir lieu que quarante-huit heures après son dépôt. Seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure qui ne peut être adoptée qu'à la majorité des membres composant l'Assemblée. Sauf dans le cas prévu à l'alinéa ci-dessous, un député ne peut être signataire de plus de trois motions de censure au cours d'une même session ordinaire et de plus d'une au cours d'une même session extraordinaire.
Le Premier ministre peut, après délibération du conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale sur le vote d'un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l'alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session.
Le Premier ministre a la faculté de demander au Sénat l'approbation d'une déclaration de politique générale.
Article 50.
Lorsque l'Assemblée nationale adopte une motion de censure ou lorsqu'elle désapprouve le programme ou une déclaration de politique générale du Gouvernement, le Premier ministre doit remettre au Président de la République la démission du Gouvernement.

Publié ou mis à jour le : 2023-03-27 18:45:48

Voir les 17 commentaires sur cet article

jarrige (01-04-2023 17:23:37)

Bonjour, En quoi le 21avril 2002 a-t-il été une secousse sismique, surtout qu'il fut suivi d'une élection de maréchal de Chirac ? L'extrême-droite a partagé le pouvoir au Danemark et en Autric... Lire la suite

Paul (27-03-2023 13:28:57)

« Macron comme Mac Mahon… ? » avec beaucoup de prudence vous mettez heureusement un point d’interrogation. Une fois encore comparaison n’est pas raison. Ces deux périodes de notre histoire n... Lire la suite

FLH (27-03-2023 13:01:56)

Excellent éditorial, merci. Cela fait du bien de lire une prose directe et engagée qui ne met pas sous le tapis les sujets qui fâchent !

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