8 mars 2024. À l'issue d'une cérémonie pleine d'emphase devant le ministère de la Justice, le président de la République française Emmanuel Macron a promulgué la loi constitutionnelle relative à la liberté pour les femmes de recourir à une interruption volontaire de grossesse.
Il s'agit de la 25e révision constitutionnelle depuis la promulgation de la Constitution en 1958. Et déjà se profilent deux ou trois autres révisions (relativement aux statuts de la Corse, Mayotte et la Nouvelle-Calédonie). Aucune autre grande démocratie ne connaît une telle instabilité constitutionnelle. Faut-il s'en inquiéter ?...
Réformer la Constitution n’est jamais neutre et, si les révisions constitutionnelles ont été nombreuses, cela ne peut justifier n’importe quelle modification.
Le 24 juin 2022, la Cour suprême des États-Unis a annulé l’arrêt Roe vs Wade qui, en 1973, avait légalisé l'interruption volontaire de grossesse dans tout le pays ; elle a renvoyé à chaque État le soin de légiférer. En France, la gauche radicale y a vu une menace sur la légalisation de l'interruption volontaire de grossesse, en vigueur depuis la loi Veil de 1975 ! Sans doute a-t-elle craint que le droit américain s'impose sous nos longitudes. Il n'en est rien heureusement, sinon nous aurions déjà autorisé le port d'armes auquel sont tant attachés les citoyens étasuniens...
Quoi qu'il en soit, le président de la République s'est saisi de l'occasion pour détourner l'opinion publique de ses difficultés récurrentes (industrie, agriculture, éducation, santé, dette publique, commerce extérieur, diplomatie...). À sa demande, le Congrès, réuni à Versailles, a donc ajouté à l'article 34 de la Constitution la phrase suivante : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à l’interruption volontaire de grossesse » (en d'autres termes, le droit à l'interruption volontaire de grossesse relève de la loi).
Ce n'est pas la première fois que la Constitution sort de sa vocation première : définir les principes de gouvernement et rien de plus (voir Montesquieu). Elle s'est enrichie en 1992 de la phrase : « La langue de la République est le français » et en 2000 d'une Charte de l'Environnement instituant un « principe de précaution ». Le français et l'environnement s'en portent-ils mieux ? À chacun d'en juger...
Pour en revenir à la Constitution américaine, celle-ci a fait l'objet de dix-sept amendements en deux siècles. Quinze d'entre eux étaient strictement relatifs aux principes de gouvernement. Le 18ème sortait de ce cadre et instaurait la prohibition de l'alcool (1917), un sujet qui ne devrait normalement relever que de la loi de chaque État. Quinze ans plus tard, il a dû être abrogé par un 21ème amendement.
Un texte modifié à de nombreuses reprises jusqu’en 2008
Promulguée le 4 octobre 1958, la Constitution de la Ve République a été rédigée en deux mois par un comité de 39 membres sous l'autorité de Michel Debré, garde des sceaux. Mais elle reste auréolée par le prestige de son inspirateur, le général de Gaulle : peu de constitutions démocratiques dans le monde sont en effet aussi étroitement liées aux idées d’un seul homme.
Pourtant, ce texte a fait l’objet de nombreuses modifications, 25 à ce jour. Plus fort encore : 19 de ces révisions sont intervenues en seize ans seulement (1992-2008). C'est un record mondial !
Le mode de révision figure à l'article 89 et dernier de la Constitution :
• En premier lieu, le projet doit être soumis par le président de la République à chacune des chambres (Assemblée nationale et Sénat) et approuvé à la majorité par chacune d'elles à la virgule près.
• En second lieu, le Président a le choix soit de soumettre son projet de révision à un référendum, soit de le soumettre au vote des parlementaires ; dans ce dernier cas, députés et sénateurs se réunissent en Congrès à Versailles et la modification de la Constitution est adoptée sous réserve de recueillir la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés.
En définitive, toutes les révisions de la Constitution ont été adoptées par un vote du Congrès à l'exception de l'élection du président au suffrage universel (1962) et du quinquennat (2000) qui ont donné lieu à référendum (le référendum du 29 mai 2005 a porté sur le traité constitutionnel européen et non sur la révision constitutionnelle liée à ce traité).
Deux autres révisions soumises à référendum ont été rejetées par les citoyens : la décentralisation (1969) et le traité constitutionnel européen (2005), ces rejets ayant donné lieu à des secousses politiques de grande ampleur : le « non » du 27 avril 1969 est entré dans l’Histoire en entraînant le départ du général de Gaulle ; quand au « non » du 29 mai 2005, il a été proprement ignoré par la classe dirigeante et a débouché sur un déni de démocratie, voire un « coup d'État institutionnel ».
Une première série de révisions intervient sous les mandats de De Gaulle et Giscard :
Président : Charles de Gaulle
1• Le 4 juin 1960 est ajoutée une mention des « États de la communauté » pour une mise en conformité avec l'indépendance des colonies africaines.
2• Le 6 novembre 1962, quatre ans après sa promulgation, tout l’équilibre du texte est modifié par l’élection au suffrage universel direct du président : le Sénat s'étant montré hostile à cette révision par crainte d'un retour à la dictature, le général de Gaulle a enfreint de son propre chef l'article 89 ; faisant fi des parlementaires, il a soumis directement la révision à l'approbation des citoyens par un référendum.
3• Le 29 octobre 1963, modification technique relative aux sessions parlementaires.
Président : Valéry Giscard d'Estaing
4• Le 29 octobre 1974 est offerte à 60 députés ou 60 sénateurs la possibilité de déférer une loi au Conseil constitutionnel. Précédemment, seules quatre autorités pouvaient saisir les neuf « Sages » de la rue de Montpensier et leur demander de vérifier la conformité d'un texte à la Constitution (le Président, le Premier ministre et les présidents des assemblées). L’extension du droit de saisine renforce les droits du Parlement et de l'opposition... et permet au Conseil constitutionnel de s’affirmer vraiment comme le gardien de la Constitution.
5• Le 18 juin 1976 est précisé l'intérim du président de la République.
Ces premières révisions attestent de ce que le texte français, dans sa version initiale, est bien centré sur l’organisation des pouvoirs publics et les principes de gouvernement, selon les préceptes de Montesquieu...