15 juin 2020 : guerre au Ladakh

L'Himalaya, zone de frictions entre la Chine et l'Inde

L'Himalaya fait rêver les amateurs de sensations fortes avec ses sommets avoisinant les 8 000 mètres. Mais pour les pays qui se partagent la région, cette barrière de 2400 km entre le sous-continent indien, le Tibet chinois et l'Asie centrale est aussi un enjeu stratégique capital.

On l’a encore vérifié avec les heurts du 15 juin 2020 entre soldats indiens et chinois dans la vallée de la Galwan, entre l'Aksai Chin et le Ladakh. Prenons un peu d'altitude pour mieux comprendre la situation actuelle.

Lorsque deux grandes puissances, toutes deux en possession de l'arme nucléaire et aux intérêts divergents, se retrouvent voisines, les étincelles ne peuvent manquer de surgir !

Les plaines et le lac de la région de l'Aksai Chin.La rivalité entre l'Inde et la Chine, vieille de centaines d'années, est réapparue sous les feux de l'actualité lors de plusieurs événements, à commencer par l'invasion du Tibet par la Chine en 1950.

L'Inde de Nehru, occupée par un conflit avec son voisin pakistanais, n'intervint pas mais accueillit quelques années plus tard le chef religieux tibétain, le dalaï-lama, et son gouvernement en exil à Dharamsala.

C'est surtout la question des frontières communes qui ne cesse depuis lors d'agiter les deux pays. Tout a commencé avec une revendication chinoise sur l'Aksai Chin, une région d'environ 37 000 km2.

L'ouest himalayen, zone de conflits entre l'Inde, la Chine et le Pakistan (source : Le Point)L'Aksai Chin est vitale pour la le gouvernement de Pékin car c'est par là que passe la route entre le Tibet et le Xinjiang (ou Turkestan chinois). Le gouvernement de Pékin n'a de cesse de combattre les velléités indépendantistes de ces deux régions et pour cela tient absolument à contrôler l'Aksai Chin.

En octobre 1962, profitant de ce qu'au même moment, le monde avait les yeux tournés vers Cuba, en proie à la crise des missiles, l'armée chinoise, dite Armée populaire de libération (APL), occupa donc cette région au terme d'un bref conflit et sans déclaration de guerre.

Pris de court, les Indiens firent appel à l'assistance militaire américaine. Les Chinois annoncèrent alors un cessez-le-feu unilatéral qui leur permit de conserver l'Aksai Chine et de remporter une victoire à forte teneur politique. Depuis lors, les deux armées se font face sur une « ligne de contrôle effectif » (ou LAC, pour Line of Actual Control en anglais). À New Delhi, ce traumatisme demeure très vif même après deux générations...  

À peine quelques années plus tard, c'est le l'Arunachal Pradesh et le Sikkim qui servirent de motifs de dispute aux deux pays, provocations mutuelles qui allèrent durer des décennies.

Mais d'autres éléments entrent aussi en jeu : évoquons le soutien de la Chine au Pakistan qui revendique le Cachemire, la réalisation des Nouvelles routes de la soie qui pousse la Chine à regarder vers l'ouest ou encore la question des projets hydroélectriques d'envergure lancés par chacun dans la région au détriment du voisin.

Des avancées vers la paix ont cependant eu lieu : la reconnaissance en 2003 de la souveraineté de l'Inde sur le Sikkim, d'une part, et de celle réaffirmée de la Chine sur le Tibet, d'autre part. Mais en 2017, un premier avertissement arrive depuis le Bhoutan où Pékin s'attache à prolonger une de ses « routes de la soie », à la grande colère de New Delhi.

Puis, le 15 juin 2020, c'est le Ladakh qui fait parler de lui avec un corps-à-corps entre les deux armées, à coup de pierres et de gourdins (par accord tacite, les deux adversaires s'interdisent l'emploi d'armes à feu !). Il a fait vingt morts chez les Indiens et on ne sait combien chez les Chinois. Cette escarmouche illustre le lent grignotage auquel procède Pékin dans la région sans s'embarrasser de conventions diplomatiques et de traités de paix.

Le Ladakh est pour les Chinois une proie tentante et un enjeu stratégique car la région est mitoyenne de l'Aksai Chin à laquelle elle est reliée par la haute vallée de la Galwan, à 4300 mètres d'altitude. C'est là qu'a eu lieu l'affrontement de juin 2020... Le chaud et le froid continuent à souffler sur les régions de l'Himalaya.

Le Ladakh, photos I. Grégor.

Le Ladakh, un bout d'Inde pas comme les autres

« Le petit Tibet » : le surnom du Ladakh suffit à nous donner une idée de ces terres du bout du monde. Ce territoire autonome de l’Union indienne est contigu à l'État indien du Cachemire, à l'extrême nord-est de l'Inde.

Sur les hauteurs du Ladakh, photo I. Grégor.Il s'étend sur les contreforts du « Toit du monde » et il n'est pas rare que les routes s’élèvent au-dessus des 3 000 mètres. Cernée par le Karakorum au nord et l'Himalaya au sud, cette région d'à peine 60 000 km2 est traversée par trois vallées principales, celles de l'Indus, du Zanskar et de Nubra.

Même si elle est protégée de la mousson, elle subit un climat rude qui aime les températures extrêmes, 30° l'été et -30° l'hiver.

Cérémonie au monastère, photo I. Grégor.Bien qu'il soit difficile d'accès, le Ladakh (« Le pays des hauts cols ») a toujours été une étape importante sur l'axe est-ouest. Les caravanes parcourant les routes de la soie y trouvaient le long de l'Indus un couloir leur permettant d'éviter les hautes montagnes. L'Inde, le Tibet ou le Xinjiang chinois s'y donnaient rendez-vous pour échanger leurs richesses dans les vieux marchés de Leh, la capitale.

Aujourd'hui, les routes étant régulièrement mises à mal par le climat, les déplacements y restent parfois difficiles pour les quelque 300 000 habitants (2020) qui y vivent avant tout d'une agriculture de subsistance et de l'élevage des yaks et, depuis quelques années, du tourisme.

Monastère au Ladakh, photos I. Grégor.

Si près de la moitié de la population est musulmane, ce sont bien les monastères bouddhistes (les « gompas ») blanchis à la chaux qui attirent les visiteurs. Perchés sur des pitons rocheux pour échapper aux pillards, ils jalonnaient autrefois les routes des pèlerins adeptes du bouddhisme dit lamaïste.

Moines à Ladakh, photos I. Grégor.Venue du Tibet voisin, cette religion s'y développa largement, d'abord protégée par les royaumes qui se sont créés dans la région entre le Xe et le XVIe siècle, puis nourrie par l'arrivée des exilés tibétains à la suite de l’annexion du Tibet par la Chine en 1950. Elle est aujourd'hui toujours bien vivante, ce qui explique que les monastères restent très actifs et que le Dalaï-Lama y bénéficie toujours d'une grande ferveur populaire.

Au croisement des routes, le Ladakh se présente comme un territoire hautement stratégique. Il est donc logique que, depuis des siècles, les grandes puissances voisines tentent de se l'approprier. Chine, Tibet, Inde... voulurent tour à tour y asseoir leur pouvoir, ne laissant au pays que de rares périodes d'indépendance, notamment aux XVIe-XVIIe siècles où la dynastie Namgyel s'imposa enfin. Sous le roi Sengge, le royaume du Ladakh vécut son apogée, aussi bien territorial que culturel, avant de replonger dans l'instabilité.

En 1947, la région a été partagée entre le Pakistan et l'Inde, qui a inclus son territoire dans l'État du Jammu-et-Cachemire ; en 1962, c'est la Chine qui, ayant besoin d'une route entre le Xinjiang et le Tibet, envahit le plateau d'Aksai Chin, à l'est. Les frontières se fermèrent alors jusqu'en 1974, année du retour des touristes.

En 2019, le gouvernement indien décida de détacher le Ladakh du Jammu-et-Cachemire dans l’espoir d'une réunification avec l'Aksai Chin, elle-même rattachée au Tibet par Pékin en 1962. Plus que jamais, le Ladakh reste au cœur des tensions dans la région...

Le Dhaulagiri vu de Ghorepani au Népal. L'agrandissement montre  le mont Everest (​​à gauche) et le sommet Ama Dablam (à droite).

Le Népal, un sommet fragile

Étiré sur 800 km, le Népal est lui aussi encerclé par l'Inde, au sud, et la Chine, au nord, avec laquelle il partage l'Everest comme frontière. Il est né en 1769 de la réunion de plusieurs vallées en un seul royaume sous l’égide des guerriers Gurkhas. Il tenta tout d'abord de rester fermé aux étrangers avant de se heurter en 1814 à l'expansionnisme anglais. La monarchie s'y maintint jusqu'à la « guerre du peuple » engagée par les maoïstes en 1996. Elle aboutit à l'institution en 2008 d'une république démocratique fédérale.

Si la légende dit que Bouddha serait né à Lumbidi, au sud du pays, ses adeptes ne forment plus aujourd'hui que 9% de la population, laissant la primauté aux 80% d'hindouistes. Même si les multiples tremblements de terre, notamment celui de 2015 qui a fait près de 17 000 morts, ont mis à mal nombre de monuments, les visiteurs, « routards » et montagnards, sont toujours nombreux à prendre les chemins de Katmandou pour découvrir les « paradis artificiels » et les sommets d’un pays qui reste l’un des plus pauvres au monde.

Les Népalais eux-mêmes sont bien plus ouverts sur le monde que ne le laisserait supposer la situation géographique du pays. Beaucoup d'hommes du clan des Gurkhas ont constitué dès le XIXe siècle des unités d'élite dans l'armée britannque puis dans l'armée indienne. Au XXe siècle, les paysans népalais se sont accoutumés aussi à prendre le chemin de l'Inde pour travailler dans des plantations. Au XXIe siècle, ils se sont tournés en masse vers les pays du Golfe qui leur proposent des contrats de travail de deux ans renouvelables avec des salaires trois à quatre fois supérieurs à ce dont ils bénéficieraient dans leur pays ou en Inde. On estime ainsi que le Qatar, principale destination de ces travailleurs, en accueille 400 000 !

Les rizières au Sikkim. L'agrandissement montre la vallée du Yumthang au Sikkim.

Le Sikkim, le confetti oublié

D'une superficie de 7 000 km2, soit à peine un de nos départements, le Sikkim est le petit Poucet de la région. Rattaché à l'Inde depuis 1975, cet ancien royaume s'intercale entre le Népal et le Bhoutan, avec la Chine au nord. Sa population est majoritairement d'origine népalaise et hindouiste à 60%, même si le bouddhisme reste religion d'État. Le Sikkim a fait parler de lui il y a quelques années en interdisant sur toutes ses terres l'utilisation de pesticides pour devenir un des symboles de l'agriculture bio, même si la plupart des denrées produites sur place restent trop chères pour la population locale.

Dzong (monastère forteresse) de Punakha au Bhoutan. L'agrandissement montre le Taktshang (Nid du Tigre), monastère à flanc de montagne.

Le Bhoutan, le royaume ambigu

Le Bhoutan (« La Terre du dragon ») a longtemps été un des États les plus mystérieux au monde. État-tampon entre l'Inde et la Chine, grand comme la Suisse, il est réputé comme le « pays du bonheur » depuis qu'il a interdit le tabac (2004), multiplié les actions en faveur de l'écologie et même remplacé il y a 40 ans son produit national brut (PNB) par un « indice de bonheur national brut ».

Pourtant tout n'est pas rose dans cette monarchie constitutionnelle, dont la religion d'État est le bouddhisme tibétain. Dans les années 1980 et 1990, le programme « Une nation, un peuple » a conduit à l’expulsion vers les pays voisins de près de 100 000 habitants d'origine népalaise, les Lhotshampas. Leur crime était de pratiquer l'hindouisme et non le bouddhisme. Ceux qui sont restés sont victimes de discriminations et n'ont, entre autres, pas le droit de voter, d'étudier le népalais ou d'exercer certains métiers. Par ailleurs, on estime qu'un habitant sur 4 vit en-dessous du seuil de la pauvreté dans ce pays qui mise aujourd'hui sur le tourisme de luxe.

Isabelle Grégor
Publié ou mis à jour le : 2023-02-13 18:01:46
Christian (28-10-2022 17:28:16)

Zone de frictions, c'est le moins que l'on puisse dire à propos de cette région du monde où des conflits locaux ont donné lieu à plusieurs alertes mondiales, voire nucléaires, depuis la guerre s... Lire la suite

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