De Champollion à Christiane Desroches Noblecourt

L'Égypte, une passion française

L’esprit scientifique des Lumières (XVIIIe siècle) s’est révélé dans toute sa beauté dans un domaine inédit, l’égyptologie. L’Égypte, réduite à la vallée du Nil, comptait trois ou quatre millions d’habitants (près d’une centaine aujourd’hui), sous la férule d’une caste militaire d’origine caucasienne ou albanaise, les Mamelouks, eux-mêmes soumis au sultan ottoman qui régnait à Constantinople.

On ne connaissait l’Égypte des pharaons qu’à travers les récits des historiens et voyageurs grecs de l’Antiquité et ses monuments étaient à l’abandon, souvent enfouis sous le sable. Ils allaient tout d’un coup surgir à la lumière par la vertu d’une expédition française à la fois militaire et scientifique ! Les archéologues et savants français furent de la sorte à l’origine d’une science nouvelle, l’égyptologie. Ils occupent depuis lors en son sein une place éminente.

Planche extraite de la Description de l'Égypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l'expédition de l'armée française (imprimerie impériale, 1809-1813)

Bonaparte livre l'Égypte à la curiosité des savants

Cet improbable miracle trouve son origine dans la guerre sans merci que se livrent la France de la Révolution et l’Angleterre. Après la conquête de l’Italie par le général Bonaparte, en 1797, le gouvernement du Directoire se sent pousser des ailes. Il poursuit sa politique expansionniste aux Antilles (guerre de course), en Irlande (expédition de Humbert) et même aux Indes (soutien à Tippou Sahib, sultan du Mysore, en lutte contre les Anglais). Il a enfin l’idée de gêner les relations entre Londres et les Indes en occupant l’Égypte. L’idée ravit Bonaparte qui réunit en secret une armée et une flotte. Il choisit aussi de se faire accompagner de scientifiques, naturalistes, ingénieurs, artistes et humanistes, en vue d’étudier les vestiges de l'ancienne Égypte.

Adjoindre des savants à une expédition militaire n'est pas chose nouvelle mais c'est la première fois qu'on en compte autant : 169 ! Parmi eux le mathématicien Gaspard Monge, le naturaliste Geoffroy Saint-Hilaire, etc. Ils sont placés sous l’autorité de l'artiste aventurier Vivant Denon. Bonaparte les rassemble dans un Institut d'Égypte dont il est membre actif, sur le modèle de l'Institut de France.

Vivant Denon, Les grandes pyramides de Giseh (planche 62), in Voyage dans la basse et haute Egypte (1802). Agrandissement : Edme François Jomard, Bas-reliefs peints à Karnak, Description de l?Égypte, ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Égypte pendant l?expédition de l?Armée française, 1809-1829, Paris, BnF.

Dessinateur et graveur talentueux, Vivant Denon publie en 1802 le recueil de son travail, pas moins de 300 dessins et croquis, sous l'intitulé : Voyage en basse et Haute-Égypte. L’ouvrage répand dans les cercles cultivés la passion de l'égyptologie et vaut à son auteur d'être nommé directeur général du Musée central des Arts (futur musée Napoléon puis musée royal, aujourd'hui musée du Louvre). Quant aux résultats des travaux de l’ensemble de l’expédition scientifique, ils paraissent en 1809 sous le titre : Description de l'Égypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Égypte pendant l'expédition de l'Armée française.

Durant la campagne d’Égypte, un soldat a découvert à Rosette, dans le delta du Nil, une pierre en basalte noir d'un mètre de longueur sur laquelle est gravé un décret d'un pharaon de l'époque hellénistique, Ptolémée V, rédigé en trois versions : la première en hiéroglyphes, l'écriture sacrée des premiers pharaons, la deuxième en démotique, une écriture égyptienne tardive datant du 1er millénaire av. J.-C., la troisième en grec ancien.

Carnet de notes de Champollion

Champollion perce le secret des hiéroglyphes

La pierre de Rosette tombe peu après entre les mains des Anglais mais des copies circulent dans toute l’Europe. L’une d’elles arrive en 1808 en possession d’un jeune homme originaire de Figeac, Jean-François Champollion (1790-1832). Ce surdoué, qui parle de nombreuses langues anciennes, se prend de passion pour la civilisation des pharaons et rêve de déchiffrer l'écriture hiéroglyphique, ces idéogrammes aux formes stylisées d'animaux, d'humains ou d'objets, conçues au IVe millénaire et qui demeurent une énigme.

Jean-François Champollion en habit égyptien (1828, pastel de Giovani Angelelli)Grâce à sa familiarité avec la culture pharaonique et à sa maîtrise de la langue copte, proche de celle des anciens Égyptiens, Champollion observe que le texte hiéroglyphique de Rosette contient trois fois plus de signes que le texte grec ne compte de mots. Il en déduit que les hiéroglyphes (on en recense environ 5 000) ne sont pas seulement des idéogrammes mais peuvent dans un même texte servir de signe phonétique comme nos lettres de l'alphabet. Après plusieurs années de recherches harassantes, il repère le nom de Cléopâtre. Ayant reçu des dessins d'un archéologue, il obtient confirmation de la justesse de sa découverte en reconnaissant les noms de Ramsès et Thoutmosis. « Je tiens mon affaire ! » s'exclame-t-il avant de sombrer dans un état d’inconscience.

Le 27 septembre 1822, Champollion expose devant l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres les résultats de ses travaux sur le déchiffrage des hiéroglyphes. Il est ovationné et la publication de sa Lettre à M. Dacier relative à l'alphabet des hiéroglyphes phonétiques lui vaut une immense notoriété.

Un peu plus tard, le roi Charles X confie au jeune savant la création d'un musée égyptien dans le palais du Louvre. Pour lui, Champollion achète d'un coup les 4000 pièces de la fabuleuse collection du consul anglais du Caire, Salt. Le 15 décembre 1827, le musée est inauguré dans l'aile Sully par le roi qui lui donne son nom et place Champollion à sa tête.

Dès lors, afin d'enrichir les collections de son musée, Champollion visite les collections égyptiennes de Turin et, enfin, parcourt en 1828-1829 le pays de ses rêves, l'Égypte, en remplissant ses carnets de notes et de croquis.

Napoléon III et l'impératrice visitent la reconstitution du temple d'Edfou lors de l'Exposition universelle de 1867

Auguste Mariette protège les Antiquités égyptiennes

Champollion meurt d'épuisement à 42 ans, au milieu des honneurs, sans avoir eu le temps d'achever sa Grammaire égyptienne et son Dictionnaire égyptien. Mais déjà l'égyptomania s'est emparée des esprits. Elle transparaît dans le style du mobilier Empire. Elle transparaît dans la poésie, avec les Orientales du jeune Victor Hugo (1829). Elle culmine en 1867 avec la reconstitution du temple d'Edfou lors de l'exposition universelle de Paris, inaugurée par Napoléon III. 

Symbole de cet engouement : l'érection de l'obélisque de Karnak sur la place de la Concorde, au lieu le plus prestigieux de Paris.

Auguste Mariette (11 février 1821, Boulogne-sur-Mer ; 18 janvier 1881, Le Caire)Le parcours exceptionnel de Champollion inspire de nombreuses vocations d'égyptologues parmi lesquels Auguste Mariette (1821-1881).

Employé au département des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre, il est envoyé en Égypte pour entreprendre des fouilles sur la nécropole de Saqqarah. C'est là qu'il découvre en 1850 la fameuse statuette du Scribe accroupi, aujourd'hui au Louvre.

Il met au jour l'allée des sphinx de Memphis ainsi que le Temple d’Horus (Edfou), le deuxième sanctuaire le plus important d'Égypte après Karnak.

Soucieux de mettre un terme au pillage des sites pharaoniques par les traficants d'antiquités, il fonde en 1858, au Caire, le Service des Antiquités de l'Égypte qui deviendra plus tard le prestigieux Musée égyptien.

Enfin, en prévision de l'inauguration du canal de Suez, dont le creusement a été entrepris à l'initiative de la France, il écrit le livret d'un opéra « pharaonique » destiné à être joué au Caire. Ce sera Aïda, une oeuvre de Giuseppe Verdi. Les décors ayant été bloqués à Paris du fait de la guerre franco-prussienne de 1870, la première représentation aura finalement lieu le 23 décembre 1871 dans l'opéra flambant neuf du Caire.

Le grand temple d'Abou-Simbel (Égypte)

Christiane Desroches Noblecourt sauve les temples de Nubie

Plus près de nous, Christiane Desroches Noblecourt (1913-2011) se prend de passion pour l'Égypte ancienne à 9 ans, à l'annonce de la découverte du tombeau de Toutankhamon. Elle a 25 ans quand elle se rend au Caire pour diriger des campagnes de fouilles. L'arrivée d'une jeune femme, la première égyptologue de l'Histoire, fait sensation mais par son tempérament teigneux et du haut de ses 1,50 mètres, elle a vite fait de remettre chacun à sa place. Après un passage dans la Résistance, elle relève un nouveau défi avec le sauvetage de 24 temples pharaoniques de Haute-Égypte menacés de submersion par la construction du barrage d’Assouan.

Christiane Desroches Noblecourt (17 novembre 1913, Paris ;23 juin 2011, Épernay)À l’UNESCO, Christiane Desroches Noblecourt sensibilise chacun à la notion inédite de « patrimoine de l’humanité » et obtient le soutien de cinquante pays pour le plus grand déménagement de l'Histoire : les deux temples géants construits par Ramsès II à Abou Simbel sont découpés à la scie en blocs de 20 tonnes et remontés 64 mètres plus haut, hors de portée des eaux. Un travail proprement pharaonique. S'engage ensuite le sauvetage des autres temples de Nubie, en particulier le transfert du ravissant temple de Philae d'une île à une autre.

Reste le cas d'un temple trop délicat pour être découpé, le temple d'Amon à Amada. Christiane Desroches Noblecourt demande une entrevue au président de Gaulle et lui avoue avoir annoncé par anticipation à la tribune de l'UNESCO que la France sauverait ledit temple ! Le général se raidit : « Comment avez-vous osé dire que la France sauverait le temple, sans avoir été habilitée par mon gouvernement ? » Et Christiane Desroches Noblecourt, terrorisée, de répondre : « Comment, Général, avez-vous osé envoyer un appel à la radio, alors que vous n’aviez pas été habilité par Pétain ? » Le Général sourit, plus admiratif qu'indigné. Finalement, le temple a été à son tour sauvé.

Le général de Gaulle a lui-même tiré profit de l'inépuisable énergie de l'égyptologue en lui confiant l'organisation en 1967 d'une exposition Toutânkhamon à Paris. Cette exposition, avec plus de 1,24 millions de visiteurs, est restée pendant plus de cinquante ans l’exposition la plus fréquentée en France (record battu en 2019 par l’exposition Toutânkhamon, le Trésor du Pharaon, organisée à la Grande Halle de La Villette).

Julien Colliat et André Larané

Publié ou mis à jour le : 2024-02-13 17:11:08

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