Qui n’a jamais vu l’une ou l’autre des aquarelles de Jean-Baptiste Debret ? Elles montrent la réalité ordinaire du Brésil colonial, avec ses esclaves peinant et souffrant et ses colons arrogants et rudes.
Marqué par l’épopée révolutionnaire et les idéaux jacobins, l’artiste a dirigé à Paris l’atelier du grand Jacques-Louis David et mis en peinture l’épopée napoléonienne avant de s’exiler au Brésil à la chute de l’Empire, à 48 ans.
Il est parti dans le cadre de la « Mission française », un groupe d’artistes invités par le souverain du Brésil à doter sa capitale Rio de Janeiro d’une Académie des beaux-arts et lui donner l’éclat d’une métropole européenne.
L’aventure brésilienne
Tout a commencé dix ans plus tôt : le Portugal ayant été occupé par les Français, le prince régent s’est enfui à Rio de Janeiro, capitale de sa colonie du Brésil, laissant à Lisbonne la reine Marie, sa mère.
L’immense Brésil vivotait alors en vase clos depuis deux siècles. Les colons portugais, au nombre de quelques centaines de milliers, résidaient dans les villes du littoral, de Rio à Recife, et exploitaient de nombreux esclaves africains dans leurs plantations et leurs maisons.
En 1816, sa mère étant morte, le prince devient roi du Portugal sous le nom de Jean VI. Mais il n’est pas pressé de rentrer : il veut d’abord transformer le Brésil en un État digne de ce nom et fait pour cela appel à de nombreux savants et artistes européens.
Jean-Baptiste Debret, un observateur sans concession
Parmi les premiers à répondre, Jean-Baptiste Debret s’associe à l’architecte Grandjean de Montigny pour construire l’Académie des beaux-arts ou du moins en dresser les plans et les décors.
Et pendant plus de quinze ans, en marge de son travail académique et de son emploi comme peintre de la cour, il va produire plusieurs centaines de dessins et d’aquarelles sur la vie quotidienne au Brésil, sans jamais s’éloigner de la capitale.
Il se tient informé des grands voyages d’exploration de ses concitoyens jusque vers l’Amazonie et représente avec la précision d’un peintre naturaliste plantes, animaux et artefacts indiens.
Mais il aime plus que tout s’asseoir dans la rue, son carnet à la main, pour croquer sur le vif les scènes de la vie courante.
Au total environ 800 dessins et aquarelles.
À son retour en France, en 1831, à 63 ans, il relate son expérience dans un ouvrage illustré de 152 planches lithographiques tirées de ses aquarelles : Voyage Pittoresque et Historique au Brésil, ou Séjour d'un artiste français au Brésil, depuis 1816 jusqu'en 1831 inclusivement, époques de l'avènement et de l'abdication de S.M. don Pedro, premier fondateur de l'Empire brésilien (Firmin Didot, 1834-1839).
Il est vendu par souscription et envoyé fascicule après fascicule aux heureux acquéreurs. Il se divise en trois volumes.
Le premier, Caste sauvage, se rapporte aux Indiens et à leurs pratiques. Jean-Baptiste Debret rappelle que leur existence sauvage tient à ce qu’ils ont été chassés au fin fond de la forêt par les colons et ont du s’adapter à des conditions de vie éprouvantes.
En bon ethnologue, il se montre soucieux de véracité et ne cède pas à la recherche du pittoresque.
Le deuxième volume, publié en 1836, traite de L'industrie du colon brésilien mais il montre surtout des esclaves au travail : « Tout pèse donc, au Brésil, sur l'esclave nègre : à la roça (bien de la campagne) il arrose de ses sueurs les plantations du cultivateur ; à la ville, le négociant lui fait charrier de pesants fardeaux ; appartient-il au rentier, c'est comme ouvrier, ou en qualité de commissionnaire banal, qu'il augmente le revenu de son maître. Mais, toujours médiocrement nourri et maltraité, il contracte parfois les vices de nos domestiques, et s'expose à un châtiment public, révoltant pour l'européen ; châtiment bientôt suivi de la vente du coupable à l'habitant de l'intérieur des terres, et le malheureux va mourir, ainsi, au service du mineur (habitant de la province des mines). Sans passé qui le console, sans avenir qui le soutienne, l'Africain se distrait du présent, en savourant à l'ombre des cotonniers le jus de la canne à sucre ; et comme eux, fatigué de produire, il s'anéantit à deux mille lieues de sa patrie, sans récompense de son utilité méconnue. »
Le troisième volume, La ville et la cour, montre la vie mondaine. L’artiste accompagne ses planches de commentaires détaillés. Sa plume et ses dessins sont précis, explicatifs, parfois ironiques et souvent dénonciateurs.
D’une incroyable originalité, l’ouvrage va révulser les Brésiliens qui y voient non sans raison une critique cinglante de leurs mœurs coloniales et esclavagistes.
Oublié pendant un siècle, il est enfin traduit en portugais en 1940. Il est depuis lors devenu pour le Brésil une source iconographique, historique et littéraire fondatrice.
Sa valeur iconographique, littéraire et ethnographique lui ont valu d’être aussi réédité dans son intégralité en 2014 sous l’égide de l’historien Jacques Leenhardt (Actes Sud / Imprimerie Nationale).
La Maison de l’Amérique latine, au cœur de Paris, a exposé exposé jusqu’au 20 décembre 2016 un ensemble exceptionnel de 74 aquarelles originales de Jean-Baptiste Debret (1768-1848), provenant des collections du Musée Castro Maya de Rio de Janeiro, ainsi qu’un carnet de croquis prêté par la BNF.
L’exposition offre quelques repères permettant d’apprécier le développement intellectuel et artistique qui a entouré la « Mission française », avec Ferdinand Denis, l’architecte Grandjean de Montigny, le botaniste Auguste Saint-Hilaire, avec son herbier et ses écrits, ainsi que l’explorateur Hercule Florence.
• 28 octobre 2018 : Jair Bolsonaro président !
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Aucune réaction disponible