23 octobre 2018

Gilles Kepel : «Au Levant, nous sommes dans un moment comparable à l'Europe en 1918 ou 1945»

Dans un entretien au Figaro, Gilles Kepel, spécialiste du Moyen-Orient, analyse en historien la situation de la région. Son analyse a fait l’objet d’un essai : Sortir du chaos (Gallimard).

L’auteur décrit la fulgurante islamisation du Moyen-Orient. Qui se souvient encore qu’à Damas, Bagdad, Kaboul… les jeunes filles se promenaient en minijupe, cheveux au vent ? C’était dans les années 1970, avant l’échec du socialisme laïc nassérien ou baasiste et le triomphe de l’islamisme.

Le succès de Khomeiny en Iran a réveillé l’antique rivalité entre sunnites et chiites, Arabes et Perses. Séoudiens et Iraniens se sont engagés dans une course à l’islamisation dans le monde entier.

En 2011, les Occidentaux ont cru que le « printemps arabe » amorçait un retour à de meilleures manières. Ils se sont très largement illusionnés faute de connaître les enjeux historiques qui sous-tendent les rapports entre les communautés et les États du monde musulman.

Gilles Kepel note que le président russe Vladimir Poutine est le seul dirigeant qui a pris la peine de s’appuyer sur les analyses des orientalistes de son pays : « Sa qualité d'information, très supérieure à celle de nos dirigeants, lui a permis de mener la politique qui a fait de lui le maître du jeu syrien. »

Aujourd’hui, malgré tout, l’islamisme est en repli sur le plan géopolitique. Les Frères musulmans sont partout éliminés ou en prison (parfois pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la politique, comme pour Tariq Ramadan !). Daech a subi une défaite quasi-totale. « Paradoxalement, l'exacerbation de l'horreur de Daech a eu un certain effet. Par exemple, le nombre de gens qui se réclament de l'athéisme au Moyen-Orient aujourd'hui a augmenté. Je vois désormais de nombreux interlocuteurs qui n'hésitent plus à le dire en public, » assure Gilles Kepel.

N'allons pas trop vite. En France par exemple, l’islamisme est plus virulent que jamais et des quartiers entiers ont quasiment fait sécession de la société française, protégés par le mutisme des élus et des fonctionnaires locaux, comme l’atteste le livre-enquête de deux journalistes du Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme : Inch'allah : l'islamisation à visage découvert (Fayard).

Mais pour Gilles Kepel, le moment est venu pour les démocrates de reprendre l’initiative. Encore faut-il ne pas se tromper. Il ne s’agit pas de reproduire les erreurs qui ont conduit, en Europe,  en 1918 à la Seconde Guerre mondiale et en 1945 à la guerre froide.

La géopolitique moyen-orientale est des plus complexes avec, au centre du jeu, la Russie. Selon Gilles Kepel, « Moscou y a quatre alliés paradoxaux car ils sont en conflit mutuel » : l’Iran, la Turquie, Israël et l’Arabie séoudite ! C’est une situation qui requiert du doigté de la part de Poutine et beaucoup de prudence de la part des Occidentaux.

Les États-Unis, qui regorgent de pétrole de schiste, n’ont plus autant que par le passé besoin de l’Arabie. Il n’en va pas de même des Européens. Or, l’Arabie est un géant très fragile, par son conflit avec le Qatar, son agression du Yémen, sa répression aveugle (affaire Khashoggi). La chute rapide de l’indicateur de fécondité des femmes séoudiennes, aujourd’hui proche de 2,6 enfants par femme, témoigne de la montée de l’individualisme sous la chape du wahhabisme… Affaire à suivre.

André Larané

En savoir plus avec Le Figaro

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