8 septembre 1978

«Vendredi noir» à Téhéran

Le 8 septembre 1978, des manifestants, parmi lesquels beaucoup d'étudiants, se rassemblent sur la place Jaleh, à Téhéran, pour réclamer la démocratie. L'armée ouvre le feu sur la foule, faisant de nombreuses victimes, ce qui entraîne un soulèvement général dans tout l'Iran.

Après ce « vendredi noir », le chahinchah (empereur) ne contrôle bientôt plus la situation. Il doit s'enfuir cependant que la Révolution est récupérée par les islamistes. C'est la fin de la dynastie des Pahlévi, au pouvoir en Iran depuis 1921... C'est aussi le début d'une nouvelle ère pour l'ensemble du monde musulman, la réislamisation faisant litière des tentatives de démocratisation sur le modèle occidental.

Béatrice Roman-Amat

Le modèle occidental mis en échec

Les Anglais avaient contraint le fondateur de la dynastie, Réza chah Pahlévi, à abdiquer le 16 septembre 1941. Avec le concours des Américains, ils avaient ensuite renversé le Premier ministre Mossadegh, coupable d'avoir voulu nationaliser les puits de pétrole, le 19 août 1953 !

Réinstallé sur le trône, Mohammed Réza Pahlévi, fils et successeur de Réza chah, mène comme son père une modernisation à marches forcées.

Dans les années 1960, dans le cadre de la « Révolution blanche », il engage une réforme agraire, nationalise les ressources en eau, afin de favoriser l'irrigation, et lance une campagne d'éradication des bidonvilles. Il donne également le droit de vote aux femmes.

Dans les campagnes, il remplace les notables religieux traditionnels par une « armée de la religion » constituée d'étudiants en sciences sociales chargés de diffuser l'idéologie du régime.

Depuis l'éviction de Mossadegh, la coopération militaire du régime avec les États-Unis ne cesse de se renforcer. Les Américains, qui ont rapidement pris la place des Britanniques dans la région, voient dans l'Iran « le gendarme du golfe Persique ». Ils poussent le chah à consolider son pouvoir en s'appuyant sur l'armée, un fort appareil bureaucratique et une redoutable police politique, la Savak.

Les courtisans et les cadres de l'armée sont les premiers bénéficiaires de la politique volontariste menée par Mohammed Réza. Mais le menu peuple demeure réfractaire aux réformes imposées d'en haut.

Quant au clergé chiite, il est hostile à la sécularisation de la société et critique la présence de ministres anticléricaux au gouvernement. Son mécontentement va de pair avec un renouveau théologique qui prône un plus grand engagement militant du clergé.

Parmi les ayatollahs jouissant d'une notoriété importante se trouve Ruhollah Khomeyni, l'un des premiers opposants à la « Révolution blanche » du chah. Dès 1963, il condamne la subordination du régime aux puissances étrangères, Israël et les États-Unis. Condamné à mort mais gracié par le chah, il part en exil en Turquie, puis en Irak.

Vers la révolution islamique

Le chah, aveuglé par les revenus croissants du pétrole et la modernisation rapide de son pays, se prend à son propre jeu et s'enivre de projets mégalomaniaques.

En 1971, il célèbre sur les ruines de Perspépolis, dans un débordement de luxe, le 2500e anniversaire de la naissance de l'empire perse. Se voyant en héritier de Cyrus, il évoque auprès de ses visiteurs la conquête et la soumission de tous les pays du Golfe Persique !

Lorsque survient la guerre du Kippour, le chah, qui n'a jamais digéré la mainmise anglo-saxonne sur son pays et le sort fait à son père, s'associe aux pays arabes exportateurs de pétrole dans un mouvement de révolte contre l'Occident. Ce fait de résistance ne réduit pas l'opposition populaire et religieuse au régime.

En 1977, l'intelligentsia iranienne lance une campagne de lettres au chah pour demander le respect des libertés fondamentales. Les intellectuels organisent également des soirées poétiques qui rassemblent des foules de plus en plus nombreuses mais sont finalement interdites par le pouvoir.

Le 1er janvier 1978, le président américain Jimmy Carter décerne un brevet de bonne conduite au chah et loue son pays, oasis de stabilité dans la région !

Las, quelques jours après ont lieu les premières manifestations de religieux contre la Savak, qui avait critiqué l'ayatollah Khomeyni dans un article de journal. Elles sont réprimées mais prennent rapidement de l'ampleur, s'étendant des classes moyennes aux classes populaires.

Le 7 septembre 1978, à Téhéran, la foule réclame pour la première fois le départ du chah. Le soir même, la loi martiale est décrétée dans 11 villes du pays. Survient alors le drame du « vendredi noir ». La grève qui paralysait déjà le bazar de Téhéran s'étend à la télévision, la radio et l'industrie pétrolière. Les manifestations se poursuivent sans discontinuer.

Affaibli par le désengagement des États-Unis, le chah réagit de façon désordonnée. Il amnistie des prisonniers politiques, parmi lesquels des leaders religieux, et promet des élections libres mais il étend également la loi martiale.

Le 16 janvier 1979, dans sa soixantième année, il part en exil en Égypte, le président égyptien Sadate étant le seul de ses anciens alliés à ne pas lui tourner le dos.

Le 1er février, l'ayatollah Khomeyni (77 ans) rentre en Iran (il s'était installé en France, à Neauphle-le-Château, en octobre 1978, avec l'accord du gouvernement français). Il est acclamé par une foule en liesse de plusieurs millions de personnes. Après deux jours d'affrontement entre les forces militaires restées fidèles au chah et les mouvements d'opposition, la victoire de l'opposition est totale. Khomeyni nomme un gouvernement provisoire.

Les étudiants, les démocrates et les militants de gauche sont rapidement marginalisés et les débordements se multiplient. De nombreux responsables civils et militaires du régime des Pahlévi sont torturés et exécutés.

En marge du gouvernement civil, les comités de la révolution, créés dans les mosquées, le Conseil de la révolution et l'ayatollah Khomeyni concentrent la majorité des pouvoirs. Khomeyni donne aux religieux éclairés mission de guider le pays dans l'attente de l'« imam caché ». Cette mission est confiée à un Conseil des experts de 80 religieux et un « Guide Suprême », l'ayatollah lui-même. 

C'est une rupture décisive avec la tradition chiite qui prône la séparation de la sphère politique et de la sphère religieuse. Se prévalant de la liberté d'interprétation propre au chiisme, une majorité d'ayatollahs contestent d'ailleurs la théorie de la prédominance du religieux sur le politique professée par leur illustre (et tout-puissant) collègue...

Le 1er avril 1979 la création d'une République islamique est approuvée à 98% par référendum. La phase d'ouverture et de plus grande liberté intellectuelle initiée pendant l'été 1978 se poursuit cependant jusqu'au début de 1980.

Des répercussions majeures au Moyen-Orient

Le nouveau régime s'affiche tiers-mondiste et islamique mais aussi antiaméricain. Il ne veut plus jouer le rôle de gendarme du Golfe au service des intérêts américains. Le 4 novembre 1979, des étudiants extrémistes occupent de force l'ambassade américaine à Téhéran et prennent en otage son personnel. Impuissant, le Premier ministre Mehdi Bazargan démissionne dès le lendemain avec tous les ministres libéraux de son gouvernement.

Le régime se durcit jusqu'à provoquer la rupture des relations diplomatiques avec Washington en avril 1980. Il manifeste aussi une claire volonté d'exporter la révolution. Des remous secouent les pays musulmans : à Bahreïn, des groupes chiites organisent une tentative de soulèvement ; des attentats ont lieu au Koweït ; à La Mecque, des affrontements opposent des agents iraniens aux forces de police saoudiennes. L'Iran soutient aussi les mouvements chiites hostiles à Saddam Hussein en Irak et les mouvements chiites qui combattent les Soviétiques en Afghanistan. La République islamique finance également l'OLP et le Hamas. Au Liban, elle encourage la constitution d'un État islamique sous l'égide de la minorité chiite. Il s'ensuivra la création du Hezbollah en 1982.

Mais la République islamique se heurte à la résistance de l'Arabie séoudite, puissance sunnite qu'elle ne parvient pas à déstabiliser. En septembre 1980, les monarchies du Golfe et les Occidentaux encouragent Saddam Hussein à attaquer l'Iran. Le dictateur irakien envahit la province arabophone du Khouzistan (Khuzestân). C'est le début de l'interminable guerre Irak-Iran (1980-1988, un million de morts).

Cette guerre sans merci va ressouder les Iraniens autour du gouvernement et renforcer le poids des religieux. Entre 1981 et 1983 fait rage une véritable guerre civile, au cours de laquelle les militants de gauche ayant participé à la Révolution sont exécutés. Avec l'élimination du parti communiste, le Toudeh, l'année 1983 marque la victoire définitive du clergé conservateur, qui accapare le pouvoir. Engagée au nom des droits de l'homme, la Révolution islamique débouche au final sur une théocratie réactionnaire. 

Vers l'apaisement ?

Toutefois, au Parlement comme à tous les échelons de la société iranienne, pouvoirs et contre-pouvoirs contrebalancent l'autorité des religieux. Les conservateurs du Conseil de surveillance de la Constitution et les Gardiens de la Révolution, les redoutés Pasdaran, sont en permanence tiraillés entre des aspirations divergentes : économie libérale ou centralisée, ordre moral ou tolérance, relations apaisées ou conflictuelles avec l'Occident...

Ali Khamenei (17 juillet 1939, Mashhad, Iran)À la mort du Guide Khomeyni, en 1989, c'est un religieux de second rang qui lui succède à la tête de l'État, Ali Khamenei. Né en 1939 à Machad (ou Mashhad), il a participé activement au renversement du chah et on le soupçonne même d'avoir instigué un attentat dans un cinéma de Téhéran.

En 1981, victime d'un attentat dans lequel il perd une main, il gagne une réputation de « martyr ». Il est à la suite de cela élu à la présidence de la République islamique. Quand meurt Khomeyni, il est aussitôt hissé à la dignité d'ayatollah en dépit de connaissances théologiques médiocres et hérite de la fonction de « Guide suprême ». 

Avec une habileté déconcertante, en s'appuyant sur les Pasdaran, il va renforcer le pouvoir du clergé sur la société iranienne et s'imposer aux présidents successifs, tant au libéral Rafsandjani (1989-1997) qu'au conservateur Khatami (1997-2005) et au réactionnaire Ahmadinejad (2005-2013). Il ne va pas pouvoir empêcher toutefois l'élection d'un modéré à la présidence, le 14 juin 2013, Hassan Rohani.

En dépit des crises successives et du hiatus croissant entre la théocratie religieuse et la population citadine, largement ouverte à la modernité, la Révolution islamique a hissé l'Iran parmi les puissances avec lesquelles il faut compter, au Moyen-Orient et sur la planète.

Publié ou mis à jour le : 2023-09-05 22:48:42

Voir les 4 commentaires sur cet article

PHD52 (21-09-2018 20:17:21)

Les occidentaux se mordent les doigts depuis 40 ans d'avoir lâché le Shah et d'avoir soutenu les Ayatollahs !...

piesti (19-05-2017 15:20:40)

"Pas une année de plus !" dix ans en prison pour n'avoir rien fait, ça suffit !…

https://www.youtube.com/watch?v=CvsrzbvG62c

Seyam (24-10-2013 14:45:06)

Khatami n'est pas conservateur mais reformateur. A corriger

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