Georges Feydeau (1862 - 1921)

« On s'accorde à trouver mes pièces réjouissantes... »

Paul Nadar, Georges Feydeau (Collection Félix Potin), vers 1900, Paris, musée d'Orsay.Vlan ! Chez Feydeau, les comédiens doivent faire du bruit ! Disparu il y a tout juste un siècle, le maître du « théâtre des portes qui claquent » n'a cessé de séduire avec ses histoires d'amants dans le placard, donnant au vaudeville ses lettres de noblesse et offrant à un public avide de distraction de quoi profiter des joies du théâtre-roi.

Allons à la rencontre de ce maître du rire qui vécut entouré de dizaines de personnages en pleine scène de ménage.

Isabelle Grégor

Armande Cassive, Marcel Simon et Suzanne Carlix dans Occupe-toi d'Amélie de Georges Feydeau, Théâtre des Nouveautés, 1908, Paris, BnF.  Agrandissement : Photographie de la scène 2 d'Occupe-toi d'Amélie de Georges Feydeau au théâtre des Nouveautés, 1908, coll. part.

Ciel ! Mon mari !
Retrouvez à travers ces quelques répliques le fameux sens de la formule de Feydeau...
- «  Je ne te connaissais pas ; et crac, du jour au lendemain, parce qu'il y avait un gros monsieur en ceinture tricolore devant nous à qui on avait dit “oui“, c'était admis ! Tu me voyais toute nue. Eh ! Bien, ça, c'est indécent » (Mais n'te promène donc pas toute nue !).
- « Dans n’importe quel ménage, quand il y a deux hommes, c’est toujours le mari qui est le plus laid » (Un Fil à la patte).
- « Je suis très embêtée, je crois que je suis grosse... Comme tu es imprudent ! Je vais être obligée de te tromper avec mon mari ! » (Je ne Trompe pas mon mari).
- « Si les maris pouvaient laisser leurs femmes avoir un ou deux amants pour leur permettre de comparer, il y aurait plus de femmes fidèles ! » (La Main passe).
- « Les maris des femmes qui nous plaisent sont toujours des imbéciles ! » (Le Dindon).
- « Qu’est-ce que ça prouve, le mari ! Tout le monde peut être mari ! Il suffit d’être agréé par la famille... et d’avoir été admis au conseil de révision ! On ne demande que des aptitudes comme pour être employé de ministère, chef de contentieux. Tandis que pour l’amant, il faut l’au-delà. Il faut la flamme ! C’est l’artiste de l’amour. Le mari n’en est que le rond-de-cuir » (Le Dindon).
- « Quel dommage qu'on ne puisse pas avoir un amant sans tromper son mari ! » (La Main passe).

 

Atelier de Nadar, représentation d'Un Fil à la patte de Georges Feydeau, 1894, Charenton-le-Pont, Médiathèque de l'Architecture et du Patrimoine.

Le mari, la femme, l'amant....

Un véritable coup de foudre : c'est ainsi qu'on peut qualifier la rencontre d'Ernest Feydeau, spécialiste de la bourse et apprenti écrivain de son état, et de la séduisante et peu farouche Polonaise Léocadie Buguslawa, en novembre 1860.

Nadar, Portrait d'Ernest-Aimé Feydeau, 1859, Paris, BnF. Agrandissement : Émile-Auguste Carolus-Duran, Portrait de madame Ernest Feydeau dit La Dame au chien, 1870, Lille, musée des Beaux-Arts.Quelques jours plus tard, les voici mariés puis, le 8 décembre 1862, parents d'un petit Georges. Une belle histoire d'amour... sauf que tout semble indiquer que le cher enfant n'est en rien le fils de son père officiel. Les mauvaises langues vont même jusqu'à désigner un géniteur, et pas n'importe lequel : le duc de Morny, voire son demi-frère, l'empereur Napoléon III lui-même...

Qu'importe ! « Bébé » grandit au milieu des relations de son père, Flaubert, Gautier et les Goncourt qui le trouvent « toujours plus beau ». C'est donc tout naturellement qu'à neuf ans seulement, il écrit sa première pièce tout en jouant à martyriser sa petite sœur. Mais l'époque dorée de l'enfance s'arrête en 1869 lorsque son père est victime d'une hémiplégie avant de mourir, en 1873.

Désormais dépourvu du soutien paternel, Georges va vite trouver un nouvel allié en la personne d'Henry Fouquier, journaliste, amant puis nouveau mari de Léocadie.

Émile-Auguste Carolus-Duran, Madame Feydeau et ses enfants, 1897, Paris, musée d'Orsay. Agrandissement : Émile-Auguste Carolus-Duran, Portrait de Georges Feydeau, auteur dramatique, s. d., Musée des Beaux-Arts de Lille. Plongé dans des études médiocres, le jeune garçon n'a qu'une passion : le théâtre. Il est à la plume, mais aussi sur scène où il se fait remarquer en déclamant ses propres monologues, genre alors à la mode : Un Coup de tête, J'ai mal aux dents, Un monsieur qui n’aime pas les monologues...

Autant d'œuvres qui lui permettent de s'entraîner à l'écriture avant la création de sa première pièce en un acte et deux personnages, Par la fenêtre (1882). C'est un joli succès pour un jeune homme de 19 ans ! Il faut maintenant élargir le public : ce sera fait en janvier 1883 au théâtre de l'Athénée-Comique avec Amour et piano, un vaudeville, bien sûr, qualifié par la presse de « bluette qui promet ».

Mais l'administration ne l'entendait pas de cette oreille : en novembre 1884, Feydeau tire un « mauvais numéro » et se voit incorporé dans l'infanterie, à Rouen.

Jean Béraud, Le Boulevard Montmartre, devant le théâtre des Variétés, l'après-midi, 1885, Paris, musée Carnavalet.

Chers insouciants...

C'est une véritable frénésie pour le théâtre que vit le Paris du XIXe siècle. Depuis leur réouverture sous la Restauration, les salles peinent à accueillir un public passionné, issu de toutes les classes de la société.

Jean Béraud, La baignoire, au théâtre des Variétés, 1883, col. part., Paris, musée carnavalet.Après la destruction d'une partie du boulevard du Temple par les travaux d'Haussmann, le public populaire a laissé place à la bourgeoisie du Second Empire. Fini, le boulevard du Crime, surnom hérité des atrocités sans fin qui avaient lieu sur scène : « En vingt ans, Tautin a été poignardé 16 302 fois, Mademoiselle Dupuis a été 75000 fois séduite, enlevée ou noyée... » (Almanach des spectacles).

Désormais le beau monde ne jure plus que par le plaisir et fait un triomphe au vaudeville qui lui tend un miroir. Dans la salle comme sur scène, ce sont les mêmes bourgeois, les mêmes faux-semblants, les mêmes tromperies dont la cruauté est dissimulée derrière quiproquos et grivoiserie légère. Mais surtout, pas de politique !

À ce jeu-là, les plus forts sont Eugène Labiche (Un Chapeau de paille d'Italie, 1851), Georges Courteline (Messieurs les ronds-de-cuir, 1893) et bien sûr Georges Feydeau. À travers les dizaines de pièces de ce trio magique, c'est une certaine réalité de la société du XIXe siècle qui nous est livrée, avec ses couples mal assortis et ses fêtes hypocrites. Le vaudeville est un genre moins frivole qu'il n'y paraît !

Sem, Réveillon au café de Paris (Georges Feydeau, Maurice Donnay, Alfred Capus et Lucien Guitry), 1904, Paris, musée Carnavalet.

La méthode Feydeau

« Une pièce ne se fait pas comme une paire de souliers » aimait à répéter le maître. Il faut du temps et de la technique ! Il s'agit d'abord de trouver des sources d'inspiration : pour cela, rien de tel que de s'asseoir dans un coin de restaurant ou à une table de la bonne société. Cela explique que Feydeau, dit-on, n'aurait qu'à de très rares occasions dîné chez lui !
Yves Marevéry, Georges Feydeau, auteur de La puce à l'oreille aux Nouveautés, 1907, Paris, BnF. Agrandissement : Yves Marevéry, Léon Gautier dans Le Bourgeon de Georges Feydeau, 1906, Paris, BnF.D'ailleurs l'écriture le faisait souffrir, disait-il, « comme une femme qui accouche ». Aidé à l'occasion par un peu de cocaïne, il parvenait pourtant à créer des œuvres au cordeau, poussant la minutie à détailler les décors au centimètre près, comme dans Occupe-toi d'Amélie : « dans le décor, sous le lit, à gauche (dans l'angle formé par le pied et le cadre du lit), percer deux trous horizontalement parallèles, distants de cinq ou six centimètres [...] ».
Ainsi sont nés des chefs-d'oeuvre de la comédie sous la plume d'un homme qui disait pourtant faire partie des rabat-joie : « Ne vous étonnez pas si je suis triste. Telle est, en effet, ma disposition habituelle. Je ne ressemble point à mes pièces, que l'on s'accorde à trouver réjouissantes. Je suis mauvais juge en ces matières, je ne ris jamais au théâtre » (interview au Figaro, 1900) !

Décor de Jacques Marillier pour Mais n'te promène donc pas toute nue ! de Georges Feydeau, mis en scène par Jean-Laurent Cochet à la Comédie-Française, 1971, Paris, Bibliothèque de la Comédie-Française.

Pièces à vendre

Notre nouveau militaire est incorporé comme infirmier, mais ses modestes compétences en la matière ne lui permettent que de devenir « technicien des brancards ».

Affiches pour Tailleur pour dames, entre 1886 et 1892, Paris, BnF et musée Carnavalet.Cette mission lui laissant beaucoup de loisir, il en profite pour s'encanailler à Paris et pour travailler sur sa nouvelle pièce, une histoire d'adultère qui deviendra Tailleur pour dames (1886).

Rendu à la vie civile, il devient chroniqueur théâtral puis secrétaire du théâtre de la Renaissance, deux emplois qui lui permettent de se faire connaître dans le milieu. On commence à parler des bons mots de ce jeune homme qui écrit pièce sur pièce, même si toutes ne rencontrent pas le succès à l'exemple de L'Affaire Édouard (1889) qualifiée par les critiques de « gentille pochade, trop facilement écrite ».

La période est difficile pour Feydeau qui peine à maintenir un niveau de vie bourgeois pour sa femme Marie-Anne et sa petite fille, Germaine. Mais pas question, pour ce peintre amateur, de revendre les Sisley et Boudin acquis grâce aux retombées de Tailleur pour dames. Mieux vaut tenter sa chance au casino ! Mauvaise idée, bien sûr...

Gravure illustrant une scène du Système Ribadier de Georges Feydeau, parue dans Le Monde illustre, 1892, col. part.

Un Fil à la patte : l'entrée de Bouzin

Cet extrait nous permet de faire connaissance avec le personnage de Bouzin (joué par Christian Hecq), compositeur raté plus que maladroit. Une occasion d'admirer la richesse des dialogues de Feydeau et de la mise en scène de Jérôme Deschamps pour la Comédie française (2012).

À la queue leu leu

Affiche du Dindon de Georges Feydeau, 1896. Agrandissement : Pierre Péan, affiche pour l'Hôtel du libre-échange de Georges Feydeau, 1903, Paris, BnF.En cette année 1892, la situation est grave pour Feydeau : 11 de ses comédies sur 12 ont échoué, et il vient d'avoir un second enfant, Jacques. C'est donc son va-tout qu'il joue avec Monsieur chasse !

Bingo ! La pièce ouvre pour l'auteur et ses collaborateurs en écriture (Maurice Hennequin et Maurice Desvallières) une parenthèse enchantée avec, dans les années suivantes, une joyeuse cavalcade de comédies à succès : Le Système Ribadier en 1892, L'Hôtel du Libre Échange et Un Fil à la patte en 1894, Le Dindon en 1896.

Il y gagne une Légion d'honneur, quelques maîtresses supplémentaires et de nouveaux amis comme les comédiens Marcel Simon et Lucien Guitry qui sont là pour applaudir le triomphe, en 1899, de La Dame de chez Maxim's et de sa cocotte, la Môme Crevette, rapidement célèbre jusqu'aux États-Unis.

À Paris, la pièce accumule 524 représentations, un chiffre énorme pour l'époque ! La Puce à l'oreille, créée en 1907, ne pourra faire mieux, victime de la mort d'un de ses comédiens.

Yves Marevéry, Eve Lavallière, Félix Galipaux et Marie Magnier dans La Dame de chez Maxim's de Georges Feydeau, 1913, Paris, BnF. Agrandissement : Daniel Cande, photographie de La Dame de chez Maxim's de Georges Feydeau, Théâtre Marigny, 1991, Paris, BnF.

Sacrées Zébrides !

Toto, le fils de Follavoine, vient de poser une question : « Papa, où c’est les Hébrides ? »... Dans cet extrait d'Onans On Purge Bébé (1910), Feydeau montre son habilité à jouer non seulement avec les mots mais aussi à se moquer, à la façon d'un Molière, des caractères...

Follavoine, son dictionnaire ouvert devant lui sur la table : Voyons : « Îles Hébrides ?… Îles Hébrides ?… Îles Hébrides ?… » (On frappe à la porte. — Sans relever la tête et avec humeur.) Zut ! entrez ! (À Rose qui paraît.) Quoi ? Qu’est-ce que vous voulez ?
Rose, arrivant du pan coupé de gauche : C’est Madame qui demande Monsieur. […]
Follavoine : Au fait, dites donc, vous…
Rose, redescendant : Monsieur ?
Follavoine : Par hasard, les… les Hébrides… ?
Rose, qui ne comprend pas : Comment ?
Follavoine : Les Hébrides ?… Vous ne savez pas où c’est ?
Rose, ahurie : Les Hébrides ?
Follavoine : Oui ?
Rose : Ah ! non !… non !… (Comme pour se justifier.) C’est pas moi qui range ici !… c’est Madame.
Follavoine, se redressant en refermant son dictionnaire sur son index de façon à ne pas perdre la page : Quoi ! quoi, « qui range »  ! les Hébrides !… des îles ! bougre d’ignare !… de la terre entourée d’eau… vous ne savez pas ce que c’est ?
Rose, ouvrant de grands yeux : De la terre entourée d’eau ?
Follavoine : Oui ! de la terre entourée d’eau, comment ça s’appelle ?
Rose : De la boue ?
Follavoine, haussant les épaules : Mais non, pas de la boue ? C’est de la boue quand il n’y a pas beaucoup de terre et pas beaucoup d’eau ; mais, quand il y a beaucoup de terre et beaucoup d’eau, ça s’appelle des îles !
Rose, abrutie : Ah ?
Follavoine : Eh ! bien, les Hébrides, c’est ça ! c’est des îles ! par conséquent, c’est pas dans l’appartement.
Rose, voulant avoir compris : Ah ! oui !… c’est dehors !
Follavoine, haussant les épaules : Naturellement ! c’est dehors.
Rose : Ah ! ben, non ! non je les ai pas vues. […] Elle sort.
Follavoine : Elle ne sait rien cette fille ! Rien ! qu’est-ce qu’on lui a appris à l’école ? (Redescendant jusque devant la table contre laquelle il s’adosse.) « C’est pas elle qui a rangé les Hébrides »  ! Je te crois, parbleu ! (Se replongeant dans son dictionnaire.) « Z’Hébrides… Z’Hébrides… » (Au public.) C’est extraordinaire ! je trouve zèbre, zébré, zébrure, zébu !… Mais de Zhébrides, pas plus que dans mon œil ! Si ça y était, ce serait entre zébré et zébrure. On ne trouve rien dans ce dictionnaire !

Maurice Lourdey, Cassive, Simon et Germain dans On purge bébé de Grorges Feydeau, 1910, Pais, Bnf.

Bibliographie

Olivier Barrot et Raymond Chirat, Le Théâtre de boulevard. Ciel mon mari !, éd. Gallimard (Découvertes), 1998,
Christophe Barbier, Le Monde selon Feydeau, éd. Tallandier, 2021,
Henry Gidel, Feydeau, éd. Flammarion (Grandes biographies), 1991.

Publié ou mis à jour le : 2021-10-04 11:12:17

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