Le roi de Prusse Frédéric II de Hohenzollern n'a encore qu'une trentaine d'années quand il décide en 1743 de construire une résidence d'été à Potsdam, à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest de sa capitale, Berlin.
Plus intéressé par la flûte et la poésie que par la chasse, amoureux des Lumières et francophile, le roi n'est pas encore qualifié de Grand. Il n'est pas moins apprécié des « philosophes » français tel Voltaire, qui voient en lui un « despote éclairé ».
La ville de Potsdam et ses environs étaient appréciés dès le milieu du XVIIe siècle par le Grand Électeur Frédéric-Guillaume, arrière-grand-père de Frédéric II, avant de connaître leur heure de gloire avec ce dernier.
Potsdam a vu naître le grand cinéma allemand dans les studios du quartier de Babelsberg. C'est là, dans les années 1920, qu'a par exemple été tourné le film Metropolis.
Située dans une région de forêts et de lacs, sur un méandre du fleuve Havel, la ville est séparée de Berlin par le lac de Wannsee et ses belles villas au bord de l'eau. Dans l'une d'elles s'est tenue une rencontre de sinistre mémoire en 1942.
Relativement épargnée par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale, Potsdam a accueilli trois ans plus tard la conférence des vainqueurs, au château de Cecilienhof, en fait un grand manoir de style anglais construit de 1913 à 1917. C'est aujourd'hui une ville résidentielle de près de 200 000 habitants, capitale du Land de Brandebourg.
Sanssouci, le Trianon du Grand Frédéric
À Potsdam, le jeune roi fait donc construire un petit palais sans prétention dans un style proche du Trianon de Versailles. Il lui donne un nom français : Sanssouci (on écrit aussi Sans-Souci).
Il fait appel à l'architecte Georg von Knobelsdorff, qui est aussi à l'origine du château berlinois de Charlottenburg et avec lequel il partage la passion du rococo, version tardive de l'art baroque.
Le palais est construit de 1745 à 1747, pendant la guerre de la Succession d'Autriche. Il est d'un seul niveau, en forme de demi-cercle, limité à une dizaine de pièces. Sa couleur dominante, tant en façade qu'à l'intérieur, est le jaune, plus proche du citron que de l'ocre ou l'or.
Sur l'aile orientale se tient l'appartement du roi ; sur l'aile occidentale, les appartements des invités et, au milieu, une salle de marbre circulaire destinée aux « tables rondes » philosophiques et aux concerts qui réunissent le roi et ses invités (Frédéric II, qui vit séparé de sa femme, n'a pas prévu d'appartement pour celle-ci).
Dans la chambre à coucher du roi, on peut voir son portrait à l'âge de 50 ans.
Plus loin, le salon de musique montre une attrayante composition autour des Métamorphoses d'Ovide.
La dernière chambre du palais, qui aurait été occupée par Voltaire, offre une décoration surprenante de cygnes, perroquets, singes, fleurs et fruits en bois de tilleul, en ronde-bosse et en couleurs naturelles, sur une dominante de couleur jaune.
Le palais domine le vaste parc de Potsdam et, de sa terrasse, l'on accède à celui-ci par un escalier de 120 marches entre deux vignobles en cascade.
Promenade dans le parc
Sansssouci ne se résume pas au petit palais rococo de Frédéric II, loin s'en faut.
Après l'érection de celui-ci, le grand parc à la française et son bassin central ont vu peu à peu leur pourtour s'enrichir de nouveaux édifices aux dimensions variables. Leur découverte assure une belle et pleine journée de ravissement
À droite de la résidence d'été, l'architecte Knobelsdorff construit en 1747 une orangerie, plus tard transformée en Nouvelles chambres pour les hôtes du roi.
Dans les années suivantes, une Maison de thé à la chinoise vient agrémenter le fond du parc.
Cette « chinoiserie » rappelle la passion de l'aristocratie européenne, au milieu du XVIIIe siècle, pour les artefacts d'Extrême-Orient.
Puis, au terme de la guerre de Sept Ans, qui a définitivement assis le surnom de Frédéric le Grand, le roi fait ériger à l'extrémité occidentale du parc le Nouveau Palais de Sanssouci (Neues Palais en allemand), en marbre de Silésie.
Le château, sur deux niveaux, avec appartements royaux, salle des fêtes, galeries... sert de résidence d'apparat. Le roi, qui le qualifie de « fanfaronnade » (en français dans le texte) y séjourne très occasionnellement, seulement pour affirmer sa nouvelle puissance.
On peut voir dans le Nouveau Palais une curieuse « salle de la Grotte », avec coquillages et coraux incrustés dans le mur, de belles galeries de peinture mais aussi des porcelaines réalisées par la manufacture royale de Berlin.
Celle-ci avait été fondée par le roi en 1763, en souvenir de son voyage à Dresde, en 1728, au cours duquel il avait découvert les prospères manufactures fondées par l'Électeur de Saxe Auguste le Fort.
Dans la chambre à coucher royale l'empereur Frédéric III, meurt le 15 juin 1888 d'un cancer du larynx, trois mois après son accession au trône. Il laisse hélas le trône à son fils Guillaume II, un homme quelque peu déséquilibré qui contribuera au déclenchement de la Grande Guerre. C'est dans la salle de concert du Nouveau Palais que ledit Guillaume II signe le 1er août 1914 l'ordre de mobilisation fatal.
Le site de Sanssouci comptait une quarantaine de moulins à vent avant que le roi ne les fasse abattre. La chronique raconte qu'il renonça toutefois à abattre l'un d'eux, qui gâchait sa vue, le meunier Arnold ayant menacé de faire appel aux juges de Berlin !
Le moulin que l'on voit aujourd'hui à quelques mètres de la résidence d'été a été construit en 1787, l'année qui suit la mort de Frédéric II.
Incendié en 1945 et reconstruit en 1993, ce « moulin historique » (historische Mühle en allemand) offre une curieuse touche bucolique à l'endroit, qui évoque l'association, à Versailles, du petit Trianon et du Hameau de la Reine.
Les successeurs de Frédéric II à l'oeuvre
À la Noël 1825, le roi Frédéric-Guillaume III, petit-neveu de Frédéric II, offre à son fils, le futur Frédéric-Guillaume IV, une délicieuse villa en style néo-classique, tout droit sortie de Pompéi et entourée d'un jardin à l'anglaise, Schloss Charlottenhof.
Les architectes Karl Friedrich Schinkel et Ludwig Persius en dessinent les plans. Ils érigent aussi, à proximité, une villa à l'italienne à vocation décorative, avec la maison du jardinier, une galerie à arcades et des bains romains : Römische Bäder.
Au milieu du XIXe siècle, Frédéric-Guillaume IV fait construire, à gauche de la résidence d'été, le château de l'Orangerie (OrangerieSchloss en allemand) par les architectes Friedrich August Stüler et Ludwig Ferdinand Hesse, dans une ultime variation du style rococo.
Il a vocation à ravir les esthètes plutôt qu'à les héberger, avec son belvédère et sa salle Raphaël, pleine de copies des oeuvres du peintre italien.
Le même souverain construit à l'entrée orientale du Park Sanssouci l'église de la paix (Friedenskirche en allemand), dans un curieux style évocateur de la Renaissance italienne et inspiré de la basilique San Clemente de Rome.
Sa crypte accueille les dépouilles du roi Frédéric-Guillaume IV et de son épouse Élisabeth ainsi que de l'empereur Frédéric III.
Bien conservé dans un écrin naturel parfait, le parc de Sanssouci rappelle aux visiteurs l'époque où l'Allemagne morcelée des traités de Westphalie cultivait un art de vivre des plus raffinés qui soient. On ne sera pas surpris d'apprendre que le site a été inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO en 1990.
L'Allemagne, d'un Reich à l'autre
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