Pendant trois millénaires, toutes les grandes civilisations du monde occidental se sont épanouies sur les bords de la Méditerranée ou à proximité immédiate.
À la fin du XXe siècle, le centre de gravité de la planète a basculé vers l’océan Pacifique et l’on peut se demander quel sera l’avenir de « Notre Mer », entre le retour aux conflits tribaux et religieux et l’invasion désinvolte de touristes grisonnants…
Jean-Paul Gourévitch est consultant international sur l'Afrique et les migrations.
Il est aussi spécialiste de la littérature de jeunesse et a publié chez Herodote.net une biographie de l'éditeur Hetzel et une synthèse sur la littérature de jeunesse.
Épris du monde méditerranéen, il nous convie dans cet essai à un périple de la haute Antiquité à notre siècle, truffé de menaces, d'espérances et d'exploits.
Le tournant de l’année 1956
L’année 1956 inaugure une nouvelle ère géopolitique, en Méditerranée comme dans le reste du monde.
L’Union soviétique entame la « déstalinisation », les pays « non-alignés » du tiers-monde (à l’écart de la rivalité américano-soviétique) s’organisent autour de Tito, Nasser et Nehru. Une insurrection démocratique est écrasée à Budapest sous les chars soviétiques et une autre insurrection réprimée au Tibet par les brigades maoïstes. Le Pakistan devient la première république islamique de l’histoire. Enfin se met en place le Club de Paris pour le rééchelonnement des créances sur les pays endettés.
En Méditerranée, au-delà de la poursuite de la guerre d’Algérie et de l’indépendance proclamée du Maroc, c’est la crise de Suez qui retient l’attention du monde entier.
Tout commence dans la chaleur de juin. Alors que les derniers soldats britanniques évacuent comme convenu la zone du canal de Suez, Nasser, seul candidat, est élu président de la République d’Égypte. Devant le refus des Occidentaux de financer le barrage d’Assouan, il annonce devant une foule enthousiaste la nationalisation du canal. Une véritable déclaration de guerre.
Tandis que l’ONU est paralysée par le veto russe, les troupes israéliennes avancent dans le Sinaï et vers le canal, pour s’emparer de Gaza. L’Égypte rompt alors ses relations diplomatiques avec la France et la Grande-Bretagne, autorise l’expropriation des propriétés des résidents français, britanniques et des juifs égyptiens et expulse tous les juifs de son territoire. En représailles, un corps de parachutistes franco-britanniques saute sur Port-Saïd.
Va-t-on vers l’implosion du monde méditerranéen ? Non. L’ONU, les États-Unis et l’URSS, pour une fois d’accord, exigent et obtiennent le retrait des Français et des Britanniques. Les premiers « Casques bleus », s’installent sur les rives du canal de Suez.
Le retentissement est immense dans tous les pays de la Méditerranée et bien au-delà. Même si Israël a profité de la situation pour consolider ses frontières, les franco-britanniques ont dû battre en retraite sous la pression de l’opinion internationale. Nasser et avec lui le monde arabe ont transformé leur défaite militaire en victoire stratégique. Une dynamique nationaliste est enclenchée dans les pays arabophones et le tiers-monde.
En 1957, le leader nationaliste Habib Bouguiba devient le premier président de la République tunisienne. L’Organisation de la Conférence islamiste est fondée en 1960 pour soutenir les pays musulmans, affirmer leurs droits et ceux du peuple palestinien. Les pays de l’Afrique subsaharienne accèdent les uns après les autres à l’indépendance. Puis c’est l’Algérie, au terme d’une guerre fratricide dont les cicatrices sont encore visibles aujourd’hui.
Les dirigeants arabes professent que les richesses de leur pays doivent servir les intérêts du monde arabe. Nasser fonde en 1958 la République Arabe Unie (RAU) en fusionnant l’Égypte et la Syrie. Sa vision d’un panarabisme laïc et vaguement socialiste séduit les dirigeants et la population des pays voisins, où se constituent des partis nassériens.
En Turquie le parti de la justice de Süleyman Demirel au pouvoir depuis 1965 prône le retour à l’islam. Seule la République libanaise semble favorable aux Occidentaux mais l’afflux des réfugiés palestiniens et les tensions communautaires la feront basculer dans la guerre civile en 1975.
La fin du rêve arabe
Le président Nasser meurt d’épuisement en 1970, peu après son échec dans la guerre des Six Jours contre Israël. Sa disparition prive le monde arabe d’une figure charismatique. L’Égypte, qui s’est séparée de la Syrie dès 1961 et n’a pu durablement intégrer le Yémen, reprend son nom initial en 1971.
Une coalition conduite par l’Égypte et la Syrie attaque Israël le 6 octobre 1973, en mettant à profit le jeûne hébraïque de Yom Kippour.
Dans cette guerre du Kippour, la coalition remporte de premiers succès qui font trembler l’État hébreu. Les raids d’aviation menés par Hosni Moubarak frappent les aéroports et les postes de commandement israéliens. Les forts de la ligne de défense Bar-Lev sont détruits ou pris d’assaut. Les Égyptiens traversent le canal de Suez sous la protection de leurs batteries de missiles sol-air. Leurs missiles Sagger détruisent les blindés adverses.
Mais, passé l’effet de surprise, les forces israéliennes se ressaisissent, bloquent la poussée syrienne sur le Golan et, profitant d’une erreur de Sadate qui ordonne de lancer contre eux des blindés sans soutien aérien, ils en détruisent plus de la moitié, traversent à leur tour le canal et prennent à revers le dispositif de défense égyptien. Les Nations Unies obtiennent des belligérants un cessez-le-feu le 22 octobre 1973 dont l’importance stratégique est décisive.
Pour la première fois, Égyptiens et Israéliens négocient directement et sur un pied d’égalité. Auréolé par sa demi-victoire, le président égyptien ose se rendre en Israël en novembre 1977. Il reconnaît de facto l’existence de cet État et prononce à Jérusalem, devant la Knesset (le Parlement israélien) un discours remarqué sur la paix.
Les crises gouvernementales en Israël, où l’on cherche des responsables de l’impréparation des troupes armées, ont entraîné la démission de Golda Meir et par contrecoup de son ministre de la Guerre Moshe Dayan. Yitzak Rabin prend la présidence et aux élections suivantes, Menahem Begin, leader du Likoud (extrême-droite), devient Premier ministre.
Israël, malgré le soutien américain, est de plus en plus isolé sur le plan international. Il retrouvera une crédibilité grâce aux accords de Camp David en 1978 négociés entre Menahem Begin et Anouar el-Sadate et favorisés par la médiation du président américain Jimmy Carter. Ils aboutiront au retrait des troupes israéliennes de la péninsule du Sinaï en échange d’une paix à peu près respectée depuis.
Begin et Sadate reçoivent conjointement le Prix Nobel de la paix. Mais l’opinion publique arabe est scandalisée. La Ligue Arabe vote des sanctions contre l’Égypte que, privée de l’apport financier de ce pays, elle sera obligée d’annuler en 1990. Sadate est assassiné en 1981 par des éléments de son armée hostiles à l’accord.
L’embargo sur le pétrole à destination des Occidentaux décidé par les pays arabes conduit au premier choc pétrolier (1973-1974), avec des conséquences surtout éprouvantes pour les populations des pays non-producteurs, notamment en Afrique subsaharienne, où les pays contractent des prêts à des conditions de plus en plus drastiques pour financer leurs investissements.
Au-delà des faits de guerre, le rêve d’une Méditerranée arabe s’est aussi effondré pour des raisons structurelles...
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