1er décembre 2024. Pétrifié par l'ampleur de la dette publique (3200 milliards d'euros), le gouvernement français prépare le pays à une austérité sans précédent. Mais pas plus que ses prédécesseurs, il ne veut ou ne sait identifier la racine du mal : un déficit commercial qui résulte de la monnaie unique !
Comme bien d'autres économistes (y compris des Prix Nobel), le Grec Yanis Varoufakis met en garde sur une erreur de diagnostic qui pourrait conduire la France (et l'Union européenne) dans l'abîme...
Depuis la dissolution de l'Assemblée nationale et la désignation au forceps d'un nouveau gouvernement, la France s'inquiète à juste titre des négociations autour du budget de l'an prochain. Le gouvernement de Michel Barnier cherche 60 milliards d'économies. C'est la condition nécessaire pour rassurer les créanciers de l'État et les convaincre de continuer à prêter sans trop augmenter les taux.
Il est normal et même sain qu'un État soit endetté ; le contraire signifierait qu'il prélève plus d'impôts que nécessaire. Mais ce déficit doit rester modéré. C'était le cas en France jusqu'au début de ce siècle avec un taux d'endettement inférieur à 60% du PIB (produit intérieur brut). Mais nous en sommes aujourd'hui à un endettement public de 110% du PIB et rien ne permet de croire à une rémission prochaine...
Le graphique ci-dessous montre clairement trois périodes :
• Années 1980 : accroissement de la dette de 20 à 40% du PIB du fait des secousses du premier mandat de François Mitterrand,
• Années 1990 : accroissement de la dette de 40 à 60% du PIB du fait de l'adaptation douloureuse de la France aux critères de Maastricht, en vue de l'introduction de la monnaie unique en 1999,
• Années 2000 : accélération soudaine de l'endettement à partir de 2008.
L'explication par le solde commercial
Dans les débats autour de la dette publique, la classe politique s'en tient à la sempiternelle alternative : faire payer les riches à gauche, réduire les aides sociales à droite (et mettre les Français au travail, ajoutent les retraités !). Est-ce bêtise ? cynisme ? Plutôt le refus d'enquêter sur les causes véritables du problème dans la crainte de devoir remettre en cause les orientations politiques de ces dernières décennies.
« Vous n'avez pas de dette en France. Ce qui vous cause du tort, c'est que la France ne contrôle plus sa monnaie. En tant que pays déficitaire au sein de la zone euro, la France n'est plus économiquement viable, » dit Yanis Varoufakis dans un entretien à La Tribune (3 octobre 2024). Son analyse rejoint celle de l'économiste américain Joseph Stiglitz tout comme celle que j'ai développée en 2015 : Comment la monnaie unique tue l'Europe.
Ces analyses reportent l'attention sur le grand absent des débats actuels : le solde commercial, autrement dit la différence de valeur entre les exportations et les importations de la France. Dans un État normal, ce solde commercial doit être à peu près équilibré sur le moyen terme (les États-Unis, qui ne sont pas un État « normal », se sont affranchis de cette norme depuis les accords de Bretton Woods en 1944).
La France avait dans les années 1950 et 1960 une balance commerciale à l'équilibre. Elle s'était légèrement dégradée dans les années 1970 et 1980 sous l'effet des chocs pétroliers et des secousses politiques.
Quoi qu'il en fut de la gestion des comptes publics (dépenses massives en 1981 par exemple), le retour à l'équilibre s'effectuait assez naturellement par un réajustement des taux de change entre les monnaies. De 1949 à 1989, le cours du franc par rapport au mark a été divisé par 3 sans affecter la solidité de l'économie française...
Dans les années 1990, la balance commerciale s'est soudain améliorée, en partie tirée par les exportations vers l'Allemagne en plein effort de réunification. Mais une fois l'Allemagne remise sur pied après 2005, elle s'est à nouveau dégradée et depuis lors, le déficit commercial ne cesse de se creuser.
Ce déficit commercial se traduit par de l'argent qui part à l'étranger et, de ce fait, fait défaut aux circuits d'échanges nationaux. Du fait de la monnaie unique, il n'y a plus de correction possible par les taux de change monétaires.
C'est ainsi que, rassuré par l'attitude bienveillante des créanciers, l'État français a fait le choix d'emprunter à l'étranger et de multiplier les aides sociales et les emplois publics pour compenser les pertes d'emplois dans les secteurs ouverts à la concurrence internationale. « La dette française est le symptôme d'un problème plus profond et non sa cause, » en déduit Varoufakis.
Dans les autres États européens du « Club Med », tels la Grèce, l'Italie, l'Espagne et le Portugal, la monnaie unique a permis de la même façon un relâchement des politiques publiques : dépenses de prestige (JO d'Athènes, Expo de Lisbonne...), achats d'armement, infrastructures lourdes, etc. Mais ces États, qui ne bénéficiaient pas de la même indulgence des créanciers et des agences de notation, ont dû se soumettre avec plus ou moins de succès à des cures d'austérité drastiques (réduction des dépenses publiques, compression des salaires, etc.).
Les responsables français devront peut-être aussi en passer par une cure d'austérité. Toutefois, celle-ci sera vaine si elle ne s'accompagne pas d'une réduction du déficit commercial (note).
Pour rééquilibrer enfin de façon pérenne les échanges au sein de l'Union européenne, on peut souhaiter la conversion de la monnaie unique en monnaie commune selon les modalités détaillées dans Comment la monnaie unique tue l'Europe.
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Voir les 14 commentaires sur cet article
josé (11-12-2024 21:50:47)
Je trouve cet article intéressant, mais certains commentaires qu'il suscite sont navrants. Pour Bernard, les coupables de la mauvaise situation économique de la France seraient (1) les étrangers; (... Lire la suite
kircher (10-12-2024 09:06:02)
Dans les années 80-90 j'étais toujours été surpris de constater que la poste allemande ne roulait qu'en voitures allemandes alors que la poste française roulait "étranger". De même les motos d... Lire la suite
Philippe (06-12-2024 12:55:13)
Plusieurs remarques sur la dette : - la dette française est détenue à 50% (ça fluctue depuis 20 ans entre 45 et 55%). Mais dans le dette détenue par des non-résidents, 20% sont détenus par la ... Lire la suite