La guerre d’Algérie (1954-1962) a été suivie d'une politique de « l’oubli » jusqu'en 1982. Depuis lors, sous le double effet de l'immigration algérienne en France et du ressentiment entretenu par les gouvernants algériens, on assiste à une violente « guerre des mémoires »...
Le président Macron a tenté de cicatriser cette « blessure mémorielle » en demandant à Benjamin Stora, historien engagé, un Rapport sur les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie » (20 janvier 2021). La tentative a fait long feu comme le démontrent les propos adressés le 30 septembre 2021 par le président de la République à des descendants de combattants des deux bords. Lors de cette discussion relatée dans Le Monde, il a déclaré que l’Algérie indépendante s’est construite sur « une rente mémorielle » entretenue par « le système politico-militaire ». Il a évoqué aussi « une histoire officielle » selon lui « totalement réécrite », qui « ne s’appuie pas sur des vérités » mais sur « un discours qui repose sur une haine de la France ».
Sur un ton ironique, il s’est dit « fasciné de voir la capacité qu’a la Turquie à faire totalement oublier le rôle qu’elle a joué en Algérie et la domination qu’elle a exercée », en allusion à l’Empire ottoman. « Et d’expliquer qu’on [les Français] est les seuls colonisateurs, c’est génial. » Des propos que l'on entendait jusqu'ici seulement à la droite de la droite et qui faisaient bondir la « gauche morale »...
La guerre d’Algérie, une « guerre sans nom »
- L’État français n’a reconnu que très tardivement la situation de guerre sur le territoire algérien. L’Algérie était en effet une colonie au statut très particulier, elle faisait partie intégrante de la France puisque composée de trois départements : Oran, Alger et Constantine. Parler de guerre à propos des attentats qui sont déclenchés le 1er novembre 1954, c’était reconnaître une situation de guerre civile sur le sol français. Au lendemain de la « Toussaint rouge », le ministre de l’Intérieur de l’époque, François Mitterrand qui s’exprime dans les journaux est très clair : « L’Algérie c’est la France ! »
- Les gouvernements qui se succèdent parlent donc d’ « événements », d’ « opérations de pacification », même si certains médias osent évoquer dès 1955 la « sale guerre », au risque d’être censurés et saisis. Mais face à quelques journalistes courageux, c’est le discours officiel qui prévaut largement, l’objectif étant d’abord de ne pas inquiéter les populations.
- La guerre s’achève en 1962 par la signature des accords d’Évian, le 19 mars. S’ouvre alors une période où les deux États vont devoir gérer les mémoires de cet épisode de leur histoire nationale.
- Côté français, les dirigeants qui sont en place, Charles de Gaulle est président de la République depuis 1958, souhaitent rapidement tourner la page du drame algérien. L’oubli est ainsi organisé par toute une série de lois qui entre 1962 et 1982 amnistient les auteurs d’exactions, d’actes de torture et même les généraux qui firent le coup d’État avorté de 1961 sont amnistiés en 1968. Il y a là une volonté claire d’occulter une période durant laquelle les Français furent largement divisés. Entre les partisans de l’Algérie française qui vont jusqu’à l’action violente comme l’O.A.S. (Organisation armée secrète) qui attente à la vie du général de Gaulle en 1961, les défenseurs d’une Algérie algérienne, l’unité nationale avait été largement mise à mal. Ne pas parler de cette guerre pouvait sembler un moyen d’évacuer des traumatismes dont les acteurs restaient encore très présents, y compris dans les sphères politiques.
- En Algérie même, le discours officiel sur ce qu’il s’est passé fait l’objet d’une véritable confiscation par le pouvoir. L’expression de « guerre de Libération » est employée comme celle de « révolution nationale » pour forger un mythe unitaire. Le FLN (Front de Libération Nationale) avec son bras armé, l’ALN (Armée de libération nationale) apparaît comme la source unique du nationalisme algérien. C’est une façon de masquer les divisions qui existaient au sein des mouvements nationalistes algériens.
Les mouvements rivaux du FLN comme celui de Messali Hadj, le Mouvement Nationaliste Algérien (MNA) sont « oubliés », les horreurs des attentats du FLN sont tues, le nombre des victimes algériennes souvent surévaluées de manière à rejeter toutes les fautes sur les Français. Même des héros de la guerre d’indépendance, comme Ben Bella, chef historique du FLN et premier président de l’Algérie, vont être jetés en prison après s’être montré hostile au nouveau pouvoir de Boumediene qui s’installe dès 1963 après un coup d’État. De même, la part active de la Kabylie dans cette guerre d’indépendance est largement occultée par l’État, pire, elle est reléguée au rang d’ « ennemi interne » face au discours officiel qui vante les mérites d’un peuple algérien uniquement arabo-musulman.
Ces façons de procéder traduisent très mal la complexité de la réalité du drame algérien, celle-ci transparaît d’abord à travers la multiplicité des victimes.
- Les pieds-noirs : entre mars et juillet 1962, presque un million de Français quittent l’Algérie, laissant derrière eux leurs biens – la formule « la valise ou le cercueil ? » résume brutalement quels étaient pour eux au sortir de la guerre les enjeux- - pour venir s’installer en France, en Corse, dans le sud-ouest et sur la côte d’Azur notamment. Cette population diversement accueillie réclame des indemnisations pour leurs pertes et la reconnaissance de leur statut de victimes. Surtout, elle représente une forme de culture soucieuse d’entretenir le souvenir de la terre perdue, une « nostalgérie » que l’on retrouve dans quelques chansons de Gaston Ghrenassia.
Chanteur français né à Constantine en 1938, il quitte l’Algérie en 1961 et devient rapidement une célébrité sous le nom d’Enrico Macias. Il est aussi un des représentants de la condition pied-noire en France.
Extrait de « Adieu mon pays », chanson d’Enrico Macias de 1962 :
« J’ai quitté mon paysJ’ai quitté ma maison
Ma vie, ma triste vie
Se traîne sans raison
J’ai quitté mon soleil
J’ai quitté ma mer bleue
Leurs souvenirs se réveillent
Bien après mon adieu
Soleil ! Soleil de mon pays perdu
Des villes blanches que j’aimais
Des filles que j’ai jadis connues
(…) Mais du bord du bateau
Qui m’éloignait du quai
Une chaîne dans l’eau
A claqué comme un fouet. »
- Les harkis constituent les anciens combattants algériens pour la cause française. À l’issue de la guerre, seule une minorité, 40 000 environ sur 300 000 réussissent à gagner le territoire métropolitain français. Ceux qui restent, abandonnés par l’armée et les autorités françaises, connaissent un sort tragique, ils sont le plus souvent massacrés. Considérés comme des « collaborateurs » par les nationalistes algériens, oubliés voire méprisés par les pouvoirs publics français lorsqu’ils arrivent en métropole, ils n’ont eu aucune place pendant très longtemps dans les cérémonies de commémorations en France. Ils rejettent la date du 19 mars 1962 comme commémoration de la fin de la guerre d’Algérie, car pour eux cette date marque le début de massacres sanglants (...).
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Voir les 11 commentaires sur cet article
Jean Pierre(25-12-2021) (25-12-2021 09:07:08)
Jean Pierre, cette histoire mémorielle ne prend pas en compte ce qui s' est passé de 1830 et avant, à 1962 . C'est comme si on écrivait l' histoire de France au travers des guerres de 14-18 et 39... Lire la suite
PETERS (04-10-2021 16:36:28)
A l'époque, j'ai lu avec grand intérêt "La Guerre d'Algérie" d'Yves Courrière (Fayard).
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Bernard (03-10-2021 18:51:46)
Quelques observations : 1/ La haine contre la France entretenue artificiellement par le régime algérien sert de ciment dans un pays miné par l'incurie, les inégalités sociales et la corruption. ... Lire la suite