La Prusse, capitale Berlin, s’est imposée au XIXe siècle comme l’embryon de l’Allemagne moderne. Ce fut l’aboutissement d’une ascension improbable depuis la naissance de cette entité au milieu du Moyen Âge dans les confins orientaux de la chrétienté.
Remontons en 1226. Tandis que s’épanouissent en France l’art gothique et en Italie le capitalisme marchand, il existe encore une dernière frange païenne en Europe à l’est de la Baltique, en Pologne et dans les pays baltes actuels.
Pour accélérer la conversion de ces populations, l’empereur germanique Frédéric II accorde aux moines-chevaliers de l’Ordre teutonique tous les territoires qu’ils sont susceptibles de conquérir dans la région de la Prusse, ainsi dénommée d’après les tribus slaves qui la peuplent.
En parallèle, les moines-chevaliers Porte-Glaives s’implantent plus au nord en Livonie dont ils engagent la christianisation. Entre les deux, la Lituanie échappe à ces conquêtes.
Dès 1237, les chevaliers Porte-Glaives sont rattachés à l’Ordre teutonique, mais l’isolement de la Livonie leur permettra de conserver une grande autonomie vis-à-vis de la Prusse. Teutoniques et Porte-Glaives voient leurs ambitions vers l’Est stoppées net par leur défaite face au Russe Alexandre Nevski sur les glaces du lac Peïpous en 1242.
Naissance de l’État prussien
Centrée sur Marienbourg qui en devient la capitale, l’État teutonique connaît une grande prospérité. Il s’étend progressivement pendant tout le XIVe siècle, notamment aux dépens de la Pologne et de la Lituanie.
Mais en 1386, le grand-duc de Lituanie Ladislas II Jagellon se convertit opportunément au christianisme tout en épousant l’héritière du roi de Pologne.
L’union de ces deux pays entraîne une bascule : en 1410, le roi de Pologne-Lituanie attaque l’Ordre teutonique et lui inflige une défaite sévère à la bataille de Tannenberg (ou Grunwald). Les Teutoniques doivent alors abandonner une bonne partie des territoires conquis.
Peu après, la capitale de la Prusse est déplacée à Königsberg. La ville deviendra surtout célèbre pour donner naissance au philosophe Emmanuel Kant. Après avoir été rasée pendant la Seconde Guerre mondiale, la ville est aujourd’hui, sous le nom de Kaliningrad, une cité de garnison russe enclavée entre la Lettonie et la Lituanie.
Les hostilités contre la Pologne-Lituanie reprennent en 1520. Au même moment, la Réforme luthérienne commence à se diffuser en Prusse.
Finalement l’année 1525 est décisive : le grand-maître teutonique Albert de Prusse adopte le protestantisme et décide de séculariser son État qui est transformé en un duché héréditaire, ce qui marque l’avènement de la dynastie des Hohenzollern en Prusse.
Mais en contrepartie, il doit accepter la suzeraineté polonaise cependant que la confédération livonienne, plus au nord, déjà largement autonome, devient formellement indépendante. Attaquée par la Russie, celle-ci finira par disparaître en 1561 et son territoire sera dépecé par les puissances voisines.
L’autre étape décisive survient en 1618 lorsque le duc de Prusse meurt sans descendance mâle : le duché revient alors à l’électeur de Brandebourg qui est également de la dynastie des Hohenzollern. A partir de cet instant, le centre du pouvoir se retrouve à Berlin et la Prusse va subir les soubresauts du Saint Empire romain germanique (dico) tout en restant vassale de la Pologne-Lituanie.
Cette même année, le Brandebourg-Prusse s’engage dans la guerre de Trente Ans en rejoignant naturellement le camp des protestants auquel appartient notamment la Suède. En 1648, le conflit se termine par les traités de Westphalie qui permettent au pays de s’agrandir vers la Poméranie Orientale tandis que la Suède récupère la Poméranie Occidentale.
Par la suite, la Suède poursuit son expansion sur les bords de la Baltique tant et si bien que le duc-électeur Frédéric-Guillaume y voit une menace : en 1657, il renverse les alliances en rejoignant la Pologne-Lituanie contre la Suède. En échange, il obtient la fin de la suzeraineté polonaise sur le duché de Prusse.
Son successeur Frédéric Ier conforte cette évolution en érigeant le duché en royaume en 1701, ce qu’il peut faire parce que ce territoire se trouve hors de l’Empire. Il se fait couronner à Königsberg et, par une subtilité sémantique, se proclame roi en Prusse et non roi de Prusse (à l’exclusion du Brandebourg, qui est inclus dans le Saint Empire et relève donc en théorie de l’empereur).
Dans les faits, à compter de cet instant, le Brandebourg-Prusse devient simplement le royaume de Prusse, même si la capitale est maintenue à Berlin où le palais royal est érigé. Le roi favorise les arts et les sciences, et il fait notamment réaliser la chambre d’ambre qui sera plus tard offerte à la Russie.
Frédéric-Guillaume Ier lui succède en 1713 et se détourne du mécénat artistique pour tout miser sur le développement de l’armée. Surnommé le « Roi-Sergent », il laisse à sa mort le 31 mai 1740 un petit État de 2 millions d'habitants mais aussi une armée parfaitement équipée et bien encadrée de 80 000 hommes, encore jamais employée.
Dès son accession au trône, Son fils et successeur Frédéric II prend le contrepied du « Roi-Sergent ». Amateur d’art et de philosophie, il est le modèle des « despotes éclairés » selon Voltaire !
Mais c’est aussi un homme d’État habile et visionnaire qui profite sans attendre de l’armée léguée par son père pour annexer la Silésie lors de la guerre de la Succession d’Autriche (1740-1748).
Cette politique agressive pousse l’Autriche à former une grande alliance aux côtés de la France et de la Russie, tandis que la Prusse se rapproche de la Grande-Bretagne. Pour prendre de vitesse l’Autriche qui s’apprête à envahir la Silésie, Frédéric II attaque la Saxe en 1756, plongeant l’Europe et le monde dans la guerre de Sept Ans (1756-1763).
Frédéric II remporte des victoires contre la France et l’Autriche mais menace de ployer face aux Russes. Finalement, la guerre s’achève avec le traité de Hubertsbourg sur un statu quo favorable à la Prusse.
À partir de 1768, la Pologne-Lituanie sombre dans une insurrection nobiliaire qui s’oppose au roi imposé par la Russie.
En 1772, la Prusse, l’Autriche et la Russie en profitent pour rogner ce vaste pays par le biais d’un premier traité de partage. Grâce à quoi, à cette date, la Prusse Orientale forme enfin une continuité territoriale avec le reste du royaume. Cette ascension est incarnée par l’érection de la porte de Brandebourg à Berlin en 1791.
Par la suite, la Pologne engage des réformes en faveur de la bourgeoisie et de la paysannerie, ce qui pousse l’aristocratie à appeler de nouveau la Russie et la Prusse à l’aide. Mauvaise idée. Elle aboutit à un deuxième partage du pays en 1793 qui entraîne un nouvel agrandissement de la Prusse, sans que la France, plongée dans la Révolution, y puisse quoi que ce soit.
Il s’ensuit une insurrection en Pologne qui ne fait qu’accélérer le dépeçage complet du pays : en 1795, la Pologne n’existe plus et la Prusse s’étend jusqu’à Varsovie. Elle va toutefois devoir faire face à une nouvelle épreuve venue cette fois de l’ouest : la France de Napoléon. Elle en sortira plus grande que jamais avec une extension territoriale en Rhénanie et en Saxe. Devenue l’État prépondérant de l’Allemagne du nord, la voilà confrontée à un face à face avec l’empire d’Autriche.
L'Allemagne, d'un Reich à l'autre
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