Une diversité ethnique sans pareille
Le Caucase est une barrière montagneuse d’une formidable richesse linguistique qui constitue à la fois un bastion pour les peuples anciens et un point d’arrêt pour les grandes migrations. Son point culminant, le mont Elbrouz, en Russie, est aussi le plus haut sommet d'Europe (5643 mètres).
Aujourd’hui le Caucase se partage entre quatre États : le Caucase du sud ou Transcaucasie est constitué de la Géorgie, l'Arménie et l’Azerbaïdjan ; le Caucase du nord est constitué de plusieurs républiques constitutives de la Fédération de Russie, à majorité musulmane (de l'ouest vers l'est : Tcherkessie, Balkarie, Ossétie du nord, Ingouchie, Tchétchénie et Daghestan).
Les Caucasiens forment un vaste groupe linguistique qui déborde de part et d’autre de la chaîne. Ils s’étendaient peut-être jusqu’en Arménie vers 1000 av. J.-C., avec les Hourrites puis les Urartéens. Mais l’arrivée des Indo-Européens va modifier la donne : les Mèdes mettent fin à l’Urartu en 590 av. J.-C. et contribuent à dépeupler toute la région. Ils s’installent massivement dans le secteur où ils évolueront jusqu’à former le peuple kurde. En parallèle, d’autres Indo-Européens venus d’Anatolie, les Arméniens, contribuent à repeupler les plateaux plus au nord.
C’est à la même époque que les Grecs fondent des premières colonies en Colchide, c’est-à-dire dans l’actuelle Géorgie Occidentale. Ça correspond à la légende des Argonautes où Jason vient chercher la toison d’or. Peu après, l’empire perse achéménide s’empare de toute la région et place sa frontière au niveau du Caucase.
En 331 av. J.-C., les conquêtes d’Alexandre le Grand provoquent l’effondrement de l’empire perse, ce qui permet à la région de retrouver son indépendance. C’est vers 290 av. J.-C. que Pharnabaze Ier fonde le royaume d’Ibérie en allant conquérir tous les petits États voisins. Sa capitale est située non loin de l’actuelle Tbilissi en Géorgie Orientale. Le royaume d’Albanie est fondé vers la même époque plus à l’est dans l’actuel Azerbaïdjan (ces deux royaumes n’ont rien à voir avec l’Ibérie et l’Albanie européennes).
Plus au sud, l’Arménie s’érige en royaume indépendant et commence à grignoter sur le territoire de l’Ibérie et de l’Abanie. La Colchide reprend son indépendance plus à l’ouest. En 93 av. J.-C., la Colchide passe sous la domination du roi du Pont Mithridate VI, puis tombe dans l’orbite romaine en 65 av. J.-C. L’Ibérie, l’Albanie et l’Arménie deviennent également vassales de Rome vers la même époque.
A partir de l’an 244 de notre ère, ces trois royaumes basculent dans l’orbite de l’empire perse sassanide. En réaction, cela favorise leur christianisation depuis l’empire romain à partir du IVe siècle. Les alphabets arménien, géorgien et albanien ont sans doute été inventés à peu près en même temps autour de l’an 400. Ces royaumes finissent par être annexés à l’empire perse tandis que la Colchide, devenue le royaume de Lazique, est incorporé dans l’empire byzantin.
À cette époque, le nord du Caucase est encore habité par des Indo-Européens nomades qui correspondent successivement aux Scythes, aux Sarmates et aux Alains. Mais des vagues de migration turco-mongole commencent à se manifester d’est en ouest : celle des Huns d’abord, puis celle des Avars, et enfin des Khazars vers l’an 600. Cela conduit certains Alains à se réfugier dans le Caucase, où ils deviennent les Ossètes. Par ailleurs, certains nouveaux arrivants turcophones s’implantent au nord-est du Caucase où ils deviendront les Koumyks.
A cette époque, tout le sud du Caucase tombe sous domination du califat arabe des Omeyyades, puis des Abbassides. L’islam gagne surtout la partie orientale qui est moins christianisée.
C'est à cette époque aussi que les califes et leurs courtisans découvrent la beauté des femmes circassiennes. Enlevées à leur famille, celles-ci vont dès lors peuplées en masse les harems orientaux et nourrir jusqu'à nos jours les fantasmes masculins (illustration ci-contre).
L’affaiblissement des empires favorise ensuite la résurgence des anciens royaumes : d’abord le Lazique qui devient le royaume d’Abkhazie en 786, puis l’Arménie en 895. Une révolte en Ibérie finit par renverser la dynastie d’Abkhazie en 1010, ce qui marque la fondation du royaume de Géorgie centré sur Tbilissi.
Cependant, les vagues de peuples turcophones païens se succèdent en Eurasie avec l’arrivée des Petchenègues, puis des Coumans au XIe siècle. Certains finissent par s’implanter près du Caucase où ils deviendront les Karatchaïs et les Balkars.
Au même moment, d’autres peuples turcs entament des conquêtes par le sud de la Caspienne. Ceux-là ont été islamisés au contact du califat et ils fondent le sultanat seldjoukide. Les Turcomans qui s’installent en Azerbaïdjan deviendront les Azéris.
Le sultanat seldjoukide tente de s’emparer de la Géorgie, en vain : ce royaume connaît son âge d’Or au XIIe siècle. Ce sont finalement les Mongols qui lui portent un coup décisif en 1243. La Géorgie passe sous suzeraineté mongole et va connaître deux siècles de dévastations qui finiront par fragmenter le royaume.
Au XVe siècle, les Turcomans créent la fédération des Qara Koyunlu en Azerbaïdjan qui s’étend très vite sur l’Arménie. Puis les Aq Koyunlu prennent la relève et s’étendent vers la Perse. Finalement, la dynastie séfévide récupère le tout en 1501 au moment même où l’empire ottoman est en pleine phase d’expansion.
L’Arménie et la Géorgie se retrouvent partagées entre les deux empires. Elle vont connaître encore trois siècles de dévastations suite aux guerres entre Séfévides et Ottomans. Pendant ce temps là, l’islam poursuit lentement sa diffusion au nord du Caucase, en particulier chez les Tchétchènes qui se convertissent au XVIe siècle.
L’arrivée des Russes à la fin du XVIIIe siècle va complètement changer la donne : l’empire russe annexe la Géorgie Orientale en 1801, puis l’Azerbaïdjan et l’Arménie en 1827, et enfin la Géorgie Occidentale en 1829. La résistance reste farouche chez les Tchétchènes et les Avars, notamment sous l’impulsion de Chamyl qui prêche une guerre sainte islamiste : la région ne se rend qu’en 1859.
Après les tentatives d’indépendance de 1917, la région est rapidement reprise en main par les Russes : en 1922, ils fondent la République de Transcaucasie qui est intégrée à l’URSS. Elle éclate en trois parties en 1936 : la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan, cependant que le Caucase du nord reste inclus dans la République fédérative de Russie. Les trois républiques obtiennent leur indépendance en 1991 suite à la dislocation de l’URSS.
Dans le Caucase du nord, à Groznyi, le général Doudaev en profite pour proclamer aussi l’indépendance de la Tchétchénie, un « sujet » de la Fédération de Russie. La répression des Russes est impitoyable : Groznyi est pratiquement rasée en 1994, mais la résistance se poursuit. En 1999, les Russes relancent la guerre et parviennent à entrer dans Groznyi 4 mois plus tard, mettant un terme à la sécession.
Pendant ce temps-là, la Géorgie doit faire face à ses propres poussées sécessionnistes encouragées par Moscou : celle de l’Abkhazie qui obtient une indépendance de facto en 1993, et celle de l’Ossétie du sud. Enfin en Azerbaïdjan, les Arméniens du Haut Karabagh s’érigent en république en 1991, ce qui entraîne un conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan en 2020 : il se solde par une réduction de ¾ de ce territoire.
Aujourd’hui, la région reste encore largement instable : le Caucase est un carrefour de langues et de cultures qui s’entremêlent entre les différents États. Son Histoire belliqueuse est loin d’être terminée.
Vie et mort du Haut-Karabagh
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