Des récits pleins de vie, des illustrations d’une beauté et d’une finesse rare… Associant leurs talents et leur soif de découverte, deux amis un peu fous se lancent en 1839 dans la jungle de l’Amérique centrale. Leur but ? Faire découvrir au public la grande civilisation maya, dissimulée jusqu’alors sous les lianes de la forêt vierge.
C'est un projet de voyage que pourraient faire n'importe quels amis : partir dans une région exotique pour voir du pays. Mais les deux hommes qui partagent leurs rêves, en cette année 1836, n'ont pas l'intention de faire du tourisme. L'Américain John Lloyd Stephens a déjà accumulé les étiquettes sur ses valises, parcourant l'Europe pour sa santé, puis le Proche-Orient pour assouvir sa passion des vieilles pierres. Après un séjour à Pétra, c'est à Londres qu'il rencontre l'Anglais Frederick Catherwood, architecte, ingénieur et dessinateur polyglotte. La fine équipe n'a plus qu'à poser son doigt sur une région méconnue du globe : le Yucatan, au Mexique.
Ce n'est pas un hasard : Stephens a découvert des documents évoquant la présence sur place de monuments anciens bien conservés, mais surtout bien mystérieux. Pour s'ouvrir les portes, il parvient à se faire nommer ambassadeur des États-Unis en République fédérale d'Amérique centrale, une fédération éphémère. Les poches lestées de l'argent tiré de la publication de ses récits de voyage, il engage Catherwood pour 1500 dollars et met le cap en sa compagnie pour le Honduras.
L'accueil fut quelque peu glacial : voici dès leur arrivée nos explorateurs jetés derrière les barreaux ! Il faut dire qu'ils viennent de tomber en pleine révolution. Heureusement, quelques pièces et beaucoup d'audace ont raison des mousquets et de la mauvaise humeur du maire du village. La petite troupe peut repartir et s'enfoncer dans la forêt vierge.
Marécages, moustiques, chaleur étouffante... Les voyageurs sont à bout de force lorsque la jungle s'ouvre enfin devant eux. Quel spectacle ! Quelques coups de machette et voilà qu'apparaît sous leurs yeux une stèle entièrement couverte de motifs sculptés d'où se détache un visage. Ni une ni deux, Stephens sort son costume d'ambassadeur, son panama, sa bourse et achète le site pour « l'incroyable somme de 50 dollars ». Stevens peut dès lors s'atteler aux fouilles de l'ancienne cité de Copán tandis que Catherwood commence à tracer des esquisses des monuments avec une grande précision grâce à l'utilisation d'une chambre claire qui projette l'image sur papier pour mieux la décalquer.
L'étape suivante est encore plus grandiose puisqu'il s'agit de Palenque où le duo arrive en 1840 après avoir franchi, à pied plusieurs centaines de kilomètres. Malgré l'interdiction qui leur a été faite par le président du Mexique, c’est dans le Grand Palais qu’ils installent leur campement. Mais comment passer son chemin après tant de souffrances ? Stephens décide non seulement de déblayer et de faire des relevés, mais également d'acheter le site pour avoir les mains plus libres. Cette fois-ci, l'affaire est loin d'être simple : un étranger doit être marié à une Mexicaine s'il veut devenir propriétaire. Las ! En célibataire endurci, Stephens préfère abandonner et aller tenter l'aventure plus loin, cédant peut-être aussi aux attaques de moustiques, de serpents et de scorpions qui pullulent sur place. L’étape suivante sera Uxmal qu'ils ajoutent à un palmarès déjà impressionnant, avant de devoir rentrer à New York en 1840 pour soigner Catherwood, victime du paludisme.
Nouvelle publication pour Stephens, nouveau succès : Aventures de voyage en pays maya (1841), au style enlevé et fort plaisant, leur permet de lancer rapidement un second périple au cœur du Yucatan, secondés par le naturaliste Samuel Cabot. Chichen Itzà, Itzamal, Tulum... Les 120 illustrations pleines de charme qui agrémentent leurs Aventures au Yucatan prouvent toute la richesse et la finesse de leur étude. Ce sont en effet pas moins de 44 sites datant du VIe au XIe siècle qu’ils ont arpentés, mesurés, catalogués. La fin de l’aventure fut tragique puisque la mort des deux aventuriers fut comme leur vie : hors du commun. Catherwood disparut en mer en 1854 dans le naufrage du transatlantique l'Artic. Quant à Stephens, on dit qu'il serait mort quelques années plus tôt au Panama, allongé sous un ceiba, l'arbre sacré des Mayas. A moins qu'il ne soit décédé des suites d'une mauvaise chute de mule. Ce dont on est sûr, c'est que leurs expéditions au cœur de la jungle ont permis de lever le voile sur une civilisation à la richesse jusqu'alors insoupçonnée qui, pensait-on, ne pouvait en rien rivaliser avec celles de l’Ancien Monde. Mais tout restait à faire, comme en fut bien conscient Stephens : « Assis parmi les ruines, nous avons en vain essayé de pénétrer le mystère : qui étaient ceux qui bâtirent ces villes ? »
Frederick Catherwood, Les Cités mayas. Un monde perdu et retrouvé, Bibliothèque de l’image, 1993.
Histoire et civilisations n°57, janvier 2020.
C. W. Ceram, Des Dieux, des tombeaux, des savants. Le roman vrai de l’archéologie, éd. Le Rocher, 1956.
Archéologie sous-marine
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