Léonard de Vinci fut parfois qualifié de polymathe (du grec πολὺς, « beaucoup », et μαθεῖν, « savoir »), tant il avait accumulé de connaissances approfondies dans de nombreux domaines. Derrière l’artiste exceptionnel se cachait aussi un scientifique rigoureux, passionné entre autres choses par l'anatomie et le fonctionnement du corps humain...
L’exposition « Léonard de Vinci et l’anatomie, la mécanique de la vie », au manoir du Clos Lucé jusqu’au 17 septembre 2023, offre un aperçu captivant de la passion de Léonard de Vinci pour le fonctionnement du corps humain. Les dessins et « maquettes » réalisées grâce à des dissections sont saisissants de précision et de réalisme. En fin de parcours, une vidéo 3D animée et une installation d’œuvre contemporaine se concentrent sur l’œuvre de La Cène (1495-1498) dans le but de nous faire voir le travail et les recherches préparatoires de Léonard pour ce chef d’œuvre qui marque une innovation majeure dans l’histoire de la peinture occidentale... [Lire la suite]
Léonard de Vinci et la dissection
Né en 1452 à Vinci, en Toscane, Léonard meurt en 1519 au château du Clos Lucé. Fils d’une paysanne et d’un notaire, il se disait « homme libre et sans lettres » car en effet il n’écrivait ni ne parlait le latin.
Pourtant, en devenant à la fois artiste, ingénieur et anatomiste, il incarne à merveille l’esprit de la Renaissance, une époque où la connaissance de l’être humain devient le centre du savoir ainsi que le thème privilégié de la peinture et de la sculpture en Europe. C’est bien d’ailleurs son dessin de L’Homme de Vitruve (vers 1490) qui, en plaçant l’homme au centre de l’univers, deviendra plus tard le symbole de l’humanisme.
Léonard se passionne pour l’anatomie, car pour représenter avec réalisme le corps humain et sa structure, il sait qu’il doit d’abord comprendre son fonctionnement et donc étudier les proportions, le squelette, les membres et les muscles, les os et les tendons. Or, pour Léonard, « la science est la fille de l’expérience », et c’est ainsi qu’il commence à pratiquer la dissection alors que l’étude du corps humain est encore paralysée par des croyances et des tabous. Mais… lui ne craint pas d’affronter directement la mort pour percer le secret du vivant.
En l’espace de trente ans, entre 1487 et 1516, il réalise ses dissections anatomiques sur pas moins de trente cadavres. Pour ce faire, il entre en contact avec différents médecins et dissèque dans plusieurs hôpitaux, notamment à Florence entre 1500 et 1507, à Pavie en 1508, ainsi qu’au Grand Hôpital de Milan avec l’anatomiste Marcantonio della Torre (1481-1511). Enfin, vers 1515, il va à Rome et fréquente le médecin du pape, Francesco Dantini.
Les cadavres que Léonard utilise pour ses dissections sont ceux d’hommes, de femmes (certaines enceintes), d’enfants et de vieillards, et comme on peut l’imaginer, surtout de pauvres et de condamnés à mort, pendus ou décapités. À cette époque une dissection dure environ quatre jours et se pratique bien sûr en hiver, quand la température est plus propice à la conservation du corps.
Par ailleurs, il est important de rappeler que, contrairement à une idée répandue, Léonard ne pratiquait nullement ses dissections en secret et ne s’opposait en rien à l’Église et aux institutions médicales. En réalité c’est bien plus tard qu’il rencontre certaines difficultés en se mettant en porte-à-faux avec les opinions pontificales, à propos de ses idées sur la reproduction et notamment sur la nature de la vie dans le fœtus. Sinon, il agit au vu et au su de tous, et reçoit même la visite au Clos Lucé du cardinal Louis d’Aragon et de son secrétaire Antonio de Béatis en 1517.
Bien sûr, Léonard doit beaucoup aux nombreux savants qui l’avaient précédé dans l’étude de l’anatomie. Ainsi il s’inspire surtout de l’œuvre du médecin romain Claude Galien (vers 131-201) qui domine d’ailleurs la pensée médicale dans la chrétienté mais aussi dans le monde musulman jusqu’à la Renaissance.
Mais comme ce dernier ne disséquait que des corps de singes et non des corps humains ! Léonard, pour trouver des modèles, va plutôt s’appuyer sur le Fasciculus medicinae (Venise 1491) de Johaness de Ketham, dans lequel sont compilés plusieurs textes sur l’anatomie écrits par divers auteurs médiévaux comme Guy de Chauliac (XIVe siècle) ou encore Mondino de’ Liuzzi (XIIIe siècle).
Néanmoins Léonard reste un autodidacte et se différencie de ses prédécesseurs en inventant une nouvelle méthode de dissection d’une extrême originalité : la dissection par couches (il différencie 10 couches dans le corps humain), mais aussi la dissection en coupes, et la dissection en perspective.
Dans ses dessins il offrait ainsi de multiples angles de vue sur le sujet avant d’établir la synthèse de toutes les parties du corps disséqué. Selon le professeur Le Nen, « Léonard invente avec cinq siècles d’avance sur son temps, le principe de visualisation du scanner et de l’imagerie par résonance magnétique (IRM). »
Le manuscrit de Windsor
En même temps qu’il pratiquait la dissection, Léonard expliquait dans des carnets la façon dont il s’y prenait mais aussi ce qu’il observait. Ces notes s’accompagnent de dessins d’une précision remarquable qui étonnent encore aujourd’hui les spécialistes de l’anatomie humaine.
Certains le qualifient même de précurseur incontesté de la connaissance anatomique descriptive et fonctionnelle. Dominique Le Nen affirme notamment qu’on peut le compter « parmi les meilleurs artistes ayant reproduit des organes comme la main, pourtant si difficile à recréer. »
Le manuscrit de Léonard de Vinci est constitué de 228 planches anatomiques recto verso, qui ont été rassemblées à sa mort par Francesco Melzi, son disciple préféré et héritier testamentaire. Lorsque ce dernier meurt à son tour en 1570, une grande partie des dessins est vendue au sculpteur Pompeo Leoni (1531-1608) qui en fait l’acquisition vers 1580.
Les carnets de Léonard tombent ensuite dans l’oubli, mais certains, dont la collection de dessins anatomiques, sont rachetés en 1690 par la Royal Library de Windsor de Londres. Aujourd’hui, ces planches appartiennent toujours à la Couronne d’Angleterre. Il faut attendre la toute fin du XIXe siècle pour que l’on voie apparaître une édition complète en fac-similé de la collection conservée à Windsor, soit quatre cents ans après la mort du maître toscan.
Ces dessins sont non seulement d’une très grande beauté, mais aussi d’une vérité inégalée, contribuant à l’émergence de nouveaux savoirs. Léonard est ainsi le premier à découvrir le sinus en sectionnant un crâne ; mais aussi le premier à dessiner de façon précise et détaillée la colonne vertébrale et ses courbes en identifiant précisément chacune des vertèbres cervicales, thoraciques et lombaires. Cette dernière planche d’ailleurs illustre bien cette idée d’un corps humain démontable et remontable, mais aussi ce respect et cette éthique qu’il avait du cadavre.
Il est aussi le premier à diagnostiquer l’artériosclérose lors d’une dissection de vieillard centenaire ; à identifier dans le cœur quatre cavités cardiaques alors qu’André Vésale (1514-1564), le « père de l’anatomie moderne », aussi bien que René Descartes (1596-1650), ne décriront que deux cavités. Enfin Léonard est aussi le premier à découvrir l’anatomie abdominale et thoracique, et surtout à étudier l’embryologie et figurer l’anatomie d’un fœtus dans l’utérus.
Elucider la nature même de la vie
Cette exploration scientifique amène Léonard à développer des théories philosophiques sur la nature même de la vie dont beaucoup lui sont inspirées par ses lectures.
Ses influences et ses sources sont multiples : Aristote, Vitruve, Ptolémée, Galien, Avicenne, Mondino, Guy de Chauliac, et Jean de Ketham entre autres.
Léonard avait notamment le sentiment profond de l’existence d’une harmonie du monde et la conviction que le microcosme du corps humain entretenait des relations de ressemblance avec le macrocosme du corps de la Terre. Par exemple il établit des analogies entre les vaisseaux sanguins et les branches des arbres ou la circulation de l’onde d’une rivière, et compare le cœur à l’océan. Quoi qu’il en soit pour l’artiste, l’Homme est bel et bien « le modèle du monde ».
Il emprunte aussi beaucoup à Aristote - notamment sa conception de l’âme développée dans son De Anima - pour établir un parallèle, une anatomie comparative entre l’homme et les animaux qu’il dissèque également. S’appuyant sur l’idée qu’il y a de l’âme animal dans l’homme, il va comparer les membres du corps humain avec ceux du cheval, du singe, de la grenouille ou des oiseaux. Dans l’un de ses dessins il compare même une patte d’ours avec le pied d’un homme.
Ces lectures peuvent aussi expliquer son intérêt pour la physiognomonie. Celle-ci consiste à étudier les caractères physiques de l’homme, comme les traits du visage ou la forme du crâne, et de les comparer avec certains animaux afin de comprendre la personnalité humaine. Cette volonté de reconnaître l’animal dans la physionomie humaine lui fera produire des dessins représentant des têtes grotesques dont les gravures originales sont présentées dans l’exposition du Clos Lucé.
Enfin, Léonard l’ingénieur ne peut s’empêcher d’étudier le corps humain comme une science mécanique. Pour lui c’est avant tout une « merveilleuse machine » dont les organes sont comme des engrenages. Il rapproche, par exemple, le mouvement des muscles au mécanisme des cordes et des poulies allant même jusqu’à dessiner un hauban de bateau pour représenter les tendons du cou.
Situé tout près du château royal d’Amboise qui surplombe la Loire, le manoir du Clos Lucé fut construit en 1471 sous le règne de Louis XI. Aisément reconnaissable avec son architecture de briques roses et de pierres de tuffeau, cette demeure qu’on appelait jadis le « manoir du Cloux » était également protégée à cette époque par des fortifications.
Léonard de Vinci s’y installa en 1516 quand François Ier, quelques mois après sa victoire à Marignan, l’invita à séjourner en France avec le titre de « Premier peintre, ingénieur et architecte » du roi. Le peintre toscan apporta avec lui ses manuscrits mais aussi trois tableaux dont la célèbre Joconde, la Sainte Anne et le Saint Jean Baptiste, aujourd’hui exposés au Louvre. Il reçut du roi une pension de 1000 écus d’or par an, ce qui lui permettait de travailler sur ses œuvres d’artistes ainsi que ses divers projets d’ingénieur et d’architecte... [Lire la suite]
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