Août 2005. Survol de deux religions et de deux cultures, christianisme et islam, que l'actualité et l'Histoire mettent régulièrement en opposition.
Le penseur Alexis de Tocqueville (1805-1859) écrit en 1840 dans La Démocratie en Amérique (tome II) : « Mahomet a fait descendre du ciel, et a placé dans le Coran, non seulement des doctrines religieuses, mais des maximes politiques, des lois civiles et criminelles, des théories scientifiques. L'Évangile ne parle, au contraire, que des rapports généraux des hommes avec Dieu et entre eux. Hors de là, il n'enseigne rien et n'oblige à rien croire. Cela seul, entre mille autres raisons, suffit pour montrer que la première de ces deux religions ne saurait dominer longtemps dans des temps de lumières et de démocratie, tandis que la seconde est destinée à régner dans ces siècles comme dans tous les autres ».
Ce jugement vieux de 170 ans semble paradoxal en ce début de XXIe siècle. Tocqueville dont on loue en général la prescience, semble ici s'être mépris en prédisant le déclin de l'islam et le triomphe du christianisme. À l'opposé, en effet, il semblerait que les adeptes de l'islam progressent en nombre cependant que le christianisme rétrécit comme peau de chagrin, en Europe du moins.
L'analyse de Tocqueville n'en reste pas moins pertinente. On la retrouve dans cette phrase du théologien iranien Abdolkarim Soroush, contemporain de l'imam Khomeyni : « Une des plus grandes plaies du monde islamique est que les gens en sont venus à comprendre l'islam comme une identité plutôt que comme une vérité » (in Rachid Benzine, Les nouveaux penseurs de l'islam, Albin Michel 2007).
Les racines de l'islam
L'islam surgit au VIIe siècle dans la Méditerranée méridionale et le Moyen-Orient, deux régions de grande civilisation vouées depuis plusieurs siècles au christianisme. Mahomet, qui a fréquenté dans sa jeunesse des juifs et des chrétiens, fait d'ailleurs fréquemment allusion dans le Coran aux prophètes de l'Ancien et du Nouveau Testament... mais ce n'est pas pour autant une « religion du Livre », le livre en question étant la Bible.
Le christianisme ayant combattu et finalement vaincu le polythéisme antique, l'islam s'établit dans le monde méditerranéen avec une relative facilité, d'autant qu'il est d'abord perçu comme une énième variante du monothéisme chrétien.
La nouvelle religion développe une théologie déiste, simplement fondée sur la croyance en un Dieu transcendant, miséricordieux et bien entendu unique, et il ne faut pas s'étonner qu'elle ait séduit les philosophes des Lumières, tel Voltaire. Mais elle ne s'en tient pas là et inscrit cette théologie dans un cadre social rigide, avec des codes en bonne partie inspirés par la culture arabe du temps de Mahomet. D'où le fossé qui va se creuser autour de la Méditerranée entre la romanité restée chrétienne et celle devenue musulmane, chacune suivant des routes opposées et la société islamique se différençiant de plus en plus par ses codes et ses moeurs des sociétés restées chrétiennes.
Christianisme et société
« On ne naît pas chrétien, on le devient », écrit Tertullien (IIe siècle). Par le baptême, le chrétien sincère entame un parcours d'obstacles versla sainteté. Le salut (la vie éternelle après la mort) ne lui est en rien garanti. Il est tenu à un dépassement de soi permanent pour monter vers Dieu. Ainsi doit-il témoigner de l'amour non seulement pour ses proches et ses coreligionnaires, ce qui n'a rien d'exceptionnel, mais aussi pour les étrangers, fussent-ils païens, à l'image du Samaritain de l'Évangile.
Des trois vertus théologales propres aux religions monothéistes (foi, espérance, amour), le christianisme privilégie la troisième, l'amour. Cet amour se veut fraternel et absolu, orienté vers tous les humains sans distinction. Saint Paul a écrit là-dessus des textes sublimes, en particulier la Ière Épître aux Corinthiens (« s'il me manque l'amour, je ne suis rien »).
La quête de la sainteté par le dépassement de soi a conduit le christianisme à valoriser le travail, y compris le travail manuel. Saint Benoît a fait du travail l'une des bases de sa règle monastique. Le christianisme valorise aussi la chasteté dans le célibat et la fidélité à son conjoint dans le mariage :
• L'assiduité à l'école et l'épanouissement par le métier sont des principes moraux qui ne vont pas de soi mais doivent à l'Église leur enracinement dans la culture européenne.
• Le célibat auquel sont astreints les prêtres catholiques depuis l'An Mil (ainsi que les moines orthodoxes) veut être un témoignage de l'engagement total de la personne au service de Dieu.
L'accès aux fonctions cléricales dans la religion catholique est réservé aux hommes. Malgré cela, le christianisme a pu être qualifié par les historiens de « religion de femmes » car celles-ci bénéficient en son sein d'une place plus importante que dans n'importe quelle autre religion. Depuis l'origine, les femmes sont à l'avant-garde de la transmission de la foi et nombreuses sont dans la chrétienté les grandes figures féminines qui ont secondé les puissants et parfois exercé elles-mêmes le pouvoir (Hélène, Monique, Geneviève, Blanche de Castille, Jeanne d'Arc, Catherine de Sienne, etc.).
En imposant dès le Moyen Âge l'égalité juridique de l'homme et de la femme, y compris et surtout dans le mariage (interdiction de la répudiation, consentement obligatoire des deux époux), le christianisme a préparé le terrain aux féministes contemporaines. Soulignons qu'il n'a jamais stigmatisé l'amour charnel, si ce n'est au XIXe siècle, sous l'influence de théories hygiénistes et pseudo-scientifiques d'inspiration laïque (dangers de la masturbation, du gaspillage de sperme, etc) !
Le christianisme met l'accent sur l'unicité de l'espèce humaine et le droit de tous au salut, sans distinction de statut ni de sexe. Au nom de l'amour fraternel, il promeut l'ouverture aux autres cultures et s'honore de grandes figures qui, à l'instar de saint Vincent de Paul, de Las Casas, de Mère Teresa, du docteur Schweitzer ou encore de l'abbé Perre, se dévouent pour les hommes du bout du monde.
Réprouvant le meurtre sous toutes ses formes, le christianisme a attendu saint Augustin, au Ve siècle, pour que soit formulé le droit de tuer pour se défendre (il va sans dire que les guerriers et les chefs de tout poil ne l'ont pas attendu pour user et abuser de ce droit).
Le christianisme se montre bienveillant en matière de choix individuels et de rituels. Ainsi n'affiche-t-il aucun interdit alimentaire et, à l'image du Christ lui-même, prône-t-il l'amour raisonné des belles et bonnes choses (vins, parfums, nourritures...).
L'Homme étant créé à l'image de Dieu, la religion encourage la représentation du corps humain, le chant, la musique et les fêtes, expressions de la divinité... L'art occidental exprime cette joie de vivre, des cathédrales à la musique de Bach, de la gastronomie à la haute couture.
NB : ces principes se reflètent aujourd'hui dans les fonds éthiques d'inspiration chrétienne qui rejettent les placements dans le commerce et la fabrication des armes.
Islam et société
L'enseignement de l'islam se fonde sur le Coran et, pour les points qui prêtent à contestation, sur les hadith (faits et gestes du Prophète). La théologie, simple et accessible à tout un chacun, n'a pas besoin d'être soutenue par un clergé spécialisé. Des guides de prière (les imams) et des savants religieux sans fonction officielle (les oulémas) en tiennent lieu.
Des trois vertus théologales (foi, espérance,charité), l'islam privilégie et de loin la première. La profession de foi en un seul Dieu et en son prophète Mahomet suffit à se déclarer musulman.
L'islam prône la soumission des fidèles à Dieu (c'est le sens du mot islam lui-même). Cette soumission s'exprime par l'observance scrupuleuse des cinq Piliers de l'islam : profession de foi, accomplissement quotidien des prières, pèlerinage, jeûne annuel, aumône légale. Elle est une condition nécessaire et suffisante à l'obtention du salut. Les croyants qui contreviennent à ces préceptes peuvent toutefois espérer en la miséricorde divine car Dieu (le Miséricordieux) pardonne qui il veut.
L'aspect communautaire de l'islam se retrouve dans les recommandations concernant l'attitude à l'égard d'autrui. Quand le Coran requiert d'aimer son prochain, celui-ci est entendu au sens premier : c'est le proche et le coreligionnaire (le croyant). L'aumône prescrite par le Coran, la zakat, résulte du devoir de solidarité entre tous les croyants (et entre eux seulement).
Le Coran représente l'humanité en cercles concentriques : au centre la communauté des croyants, l'« oumma », puis les adeptes des autres religions monothéistes, enfin les polythéistes. Dieu, dans le Coran, exalte le combat des croyants pour leur foi. La guerre est, notons-le, un élément permanent de la vie de Mahomet. Le Prophète a combattu ses ennemis pour le triomphe de sa foi. Il a lui-même manié les armes et a été blessé.
L'islam est une religion d'hommes. Dieu, dans le Coran, déclare sa préférence pour ceux-ci et sa description du paradis et de ses houris est toute à leur avantage (les houris sont des femmes sensées retrouver leur virginité après chaque acte sexuel). La femme n'est pas considérée comme une personne de plein droit, égale de l'homme. Elle est cantonnée dans son double rôle d'outil de reproduction et d'objet sexuel, au service de la sexualité masculine (d'où la formule quelque peu abusive : « l'islam aime l'amour et les femmes ! »).
En plaçant les femmes dans un statut de subordination, la religion a privé les communautés musulmanes d'une moitié de leur potentiel humain: il est symptomatique qu'aucune figure féminine n'émerge de 13 siècles d'histoire musulmane si l'on met à part les épouses et les filles du Prophète.
Dieu, à travers le Coran, régit de façon précise la société et la vie quotidienne de chacun. Ainsi interdit-il les jeux de hasard et certaines consommations alimentaires (viande de porc, bête morte et non saignées, vins et alcools...), impose-t-il le jeûne annuel, etc. Ainsi encadre-t-il aussi très sévèrement les manifestations artistiques et culturelles (interdiction des représentations humaines, sobriété de la mode...). Ces règles de vie font qu'une communauté musulmane se distingue au premier coup d'oeil de tout autre groupe humain et qu'il est difficile à un individu de s'en abstraire.
Ces principes islamiques se reflètent aujourd'hui dans les fonds de placement coraniques qui rejettent les placements dans le commerce et la production de charcuterie et d'alcools ainsi que de films érotiques ou considérés comme tels.
Les interdits alimentaires dans l'islam procèdent de la même démarche que les interdits matrimoniaux. Ils établissent une barrière étanche entre les croyants et les autres en limitant les contacts au minimum. Du fait de ces interdits, même une rencontre à table ou autour d'un verre devient compliquée. Comment un chrétien et un musulman pieux peuvent-ils trinquer ensemble ? Et que de difficultés à concevoir un menu qui convienne à tous !
La circoncision est reconnue par les hommes comme une marque d'allégeance à l'islam alors qu'elle n'est évoquée nulle part dans le Coran ! De fait, ce rituel, qui existait déjà chez les Égyptiens de l'époque pharaonique selon Hérodote, relève d'une tradition régionale qui s'est imposée aux Arabes puis à tous les musulmans. Notons que, à l'opposé, elle est évoquée dans le Nouveau Testament qui rappelle que Jésus lui-même a été circoncis selon la Loi juive, et néanmoins, le christianisme l'a rejetée sur une idée de saint Paul qui n'a pas voulu qu'elle puisse dissuader les non-juifs d'adhérer à la foi nouvelle...
Il est une règle très importante, propre à l'islam et lui seul, c'est l'obligation pour tout croyant d'ancrer ses enfants dans la foi musulmane. Rien de tel chez les chrétiens comme chez les juifs, les hindouistes ou encore les bouddhistes : les uns et les autres tolèrent les unions mixtes à défaut de les encenser et supportent l'éventualité que leur descendance s'éloigne de leur foi ou la renie.
Un croyant peut épouser une infidèle sans difficulté dès lors que leurs enfants seront reconnus comme musulmans : c'est autant de gagné pour la communauté des croyants, l'« oumma ». Par contre, un infidèle qui veut épouser une musulmane doit au préalable se convertir. Et aucune musulmane ne peut épouser un infidèle sauf à se couper de sa famille et courir même le risque d'être tuée (note).
Les sociétés musulmanes apparaissent de ce fait comme cadenassées de l'intérieur et protégées contre les intrusions susceptibles de les pervertir. C'est ce qui fait leur force apparente et a pu séduire certains propagandistes de régimes totalitaires qui, tel le communiste Roger Garaudy, sont allés jusqu'à la conversion. Mais c'est aussi ce qui pourrait faire leur faiblesse dans un avenir où primeraient la liberté individuelle et la confiance en la personne.
Cette intolérance à l'égard des mariages mixtes est sans doute, dans nos sociétés multiculturelles, le principal facteur de ressentiment à l'égard de l'islam car elle établit une relation asymétrique entre les communautés : on peut entrer dans l'islam mais jamais en sortir (sauf par le conflit).
Imaginons l'humeur d'un jeune homme de culture chrétienne mais sans religion, obligé de se convertir à une croyance qu'il réprouve s'il veut épouser la femme de sa vie. Considérons aussi le sort des musulmanes diplômées et occidentalisées, massivement condamnées au célibat parce qu'elles peinent à rencontrer quelqu'un qui accepte la conversion. Est-ce ainsi que l'on construit une société ouverte et tolérante ?...
Sans doute la seule réforme qui vaille pour débarrasser l'islam de la mauvaise réputation qui l'entache serait-elle dans l'acceptation des mariages mixtes, sans conversion obligée pour le conjoint et les enfants.
Il est de bon ton aujourd'hui de mettre l'accent sur les dérapages et les crimes commis au nom de la religion, du massacre de la population de Jérusalem par les croisés (1099) aux attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center et le Pentagone en passant par l'Inquisition.
Chrétiens et musulmans sincères désapprouvent ces excès... Avec une nuance que remarque le journaliste Éric Conan : « Les religions chrétiennes furent sanglantes en s'éloignant de leurs textes tandis que l'islam le fut en se rapprochant des siens. C'est pourquoi les partisans d'un islam pacifique proposent de réformer le Coran en le purgeant de ses versets violents contre les infidèles » (L'Express, 27 avril 2006).
En dépit de leurs différences, les deux principales cultures religieuses du monde méditerranéen et occidental demeurent des vecteurs de paix essentiels et sans doute indispensables à l'équilibre spirituel et moral de nos sociétés !
Contre l'individualisme et la solitude, les musulmans préservent des formes de vie familiales et communautaires apaisantes, mais c'est au prix d'une restriction des libertés. Le plus à craindre est la perte de vitalité du christianisme en Europe. Ses conséquences pourraint être fâcheuses pour l'avenir du Vieux Continent.
La plupart des évêques catholiques ainsi que beaucoup de curés et de pasteurs tiennent le même discours compassionnel que les élites politiques :
– Ils réduisent l'appartenance à l'Église au seul fait de signer de temps en temps un chèque pour une œuvre de bienfaisance et de donner un peu de son temps à ces mêmes œuvres.
– Ils dédaignent les rites qui réchauffent le cœur des fidèles et cachent mal leur agacement à l'égard des manifestations de masse (Journées Mondiales de la Jeunesse, pèlerinages...).
Orphelins de la foi, beaucoup de jeunes Européens sont désorientés par un environnement matérialiste et vide où la compassion bêlante remplace la justice, où la consommation remplace l'affection, où l'exaltation du plaisir se substitue à l'exigence de l'amour. Ils se mettent en quête d'une spiritualité qui les réconforte et donne du sens à leurs inquiétudes. C'est ainsi que fleurissent les sectes, que prospèrent les Églises évangéliques en marge du christianisme institutionnel, ou que se multiplient les conversions à un islam perçu comme un ultime refuge.
À l'encontre des lieux communs qui ont cours en Europe, notons que les religions n'ont pas de responsabilité directe dans la plupart des grandes tragédies qui ont ensanglanté la planète jusqu'à l'aube du IIIe millénaire.
Quant à l'intégrisme islamiste, qui cristallise aujourd'hui notre attention, il tue principalement des musulmans par centaines de milliers (Algérie, Syrie, Irak...) et n'a encore fait « que » 4 000 morts parmi les Occidentaux. Cette idéologie nauséeuse instrumentalise la religion mais se nourrit principalement des frustrations du monde arabe, en peine de s'adapter à la modernité.
Vos réactions à cet article
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Marie (23-03-2014 19:21:26)
Je trouve que cet article n'est pas très objectif.