L'historien Thucydide a montré comment Athènes, puissance hégémonique, a été conduite à faire la guerre aux cités rivales, conduites par Sparte et qu'inquiètaient son hubris (démesure).
Son récit s'interrompt au milieu de la vingt-unième année. La suite nous est connue par le récit complémentaire d'un témoin indirect, non moins illustre, Xénophon. Celui-ci, après avoir conduit l'expédition des Dix Mille au coeur de la Perse, a écrit différents ouvrages dont les Helléiniques qui relatent l'histoire grecque durant le demi-siècle qui suit le récit de Thucydide, de 411 à 362 av. J.-C.
Athènes : abus de pouvoir
C'est à Thucydide que les événements qui ont agité le monde grec à la fin du Ve siècle av. J.-C. doivent d'être considérés comme un seul et même conflit : la guerre du Péloponnèse. Aucun de ses contemporains n'a perçu ces événements dans leur globalité. On distingue plus précisément trois périodes :
• En 459-446, Sparte et Thèbes s'inquiètent de ce qu'Athènes accentue sa mainmise sur la Ligue de Délos, une alliance à l'origine dirigée contre les Perses. Sur une idée de Thémistocle, Athènes renforce qui plus est sa flotte de guerre et construit les Longs Murs (7 kilomètres de long), destinés à relier la cité à son port du Pirée. Il s'ensuit une première guerre entre la Ligue de Délos et la Ligue du Péloponnèse, dirigée par Sparte. Elle s'achève sur un compromis, la Paix de Trente Ans. C'est durant cette période que Périclès, élu stratège en 461, va donner toute sa mesure.
• En 431 survient une nouvelle guerre que les contemporains appellent Guerre de Dix Ans ou Guerre d'Archidamos. Elle débute par un conflit entre Corinthe et sa colonie Corcyre. Celle-ci appelle Athènes à l'aide. Corinthe réplique en incitant Potidée, alliée d'Athènes, à se révolter contre celle-ci. De son côté, Athènes menace Mégare.
Sparte intervient au secours de Corinthe, Mégare et leurs alliées. Tandis qu'Athènes reste sans rivale sur les flots, Sparte est assuré de la supériorité terrestre et peut sans coup férir ravager l'Attique. Obligée d'accueillir un flot de réfugiés, la cité d'Athènes est victime de l'épidémie de typhus qui va emporter Périclès mais aussi un tiers de la population. Périclès mort, Athènes passe sous la direction du stratège Cléon, que Thucydide présente comme « le plus violent des citoyens et fort écouté du peuple ».
La cité de Mytilène, sur l'île de Lesbos, s'insurge à la suite d'une augmentation du tribut réclamé par Athènes. C'est un premier craquement au sein de la Ligue de Délos. Il est brutalement réprimé par Cléon.
En 425, les Athéniens remportent une victoire inattendue à Sphactérie, dans le golfe de Pylos (Navarin), au sud-ouest du Péloponnèse. Pour la première fois, des Spartiates acceptent même de se rendre ! Mais le Spartiate Brasidas s'empare l'année suivante de la cité d'Amphipolis (Macédoine) que Thucydide ne peut protéger (c'est ce qui lui vaudra d'être exilé). Après la mort de Cléon et son remplacement par le pacifique Nicias, la guerre se conclut en 421 par la Paix de Nicias : Sparte et Athènes conviennent d'un retour au statu quo ante. Cela dit, la trêve, prévue pour durer cinquante ans, sera très précaire, les alliés de Sparte continuant à guerroyer pour leur propre compte et Sparte elle-même rétablissant son autorité sur l'ensemble du Péloponnèse.
• Là-dessus, en 415, le bel Alcibiade, cousin de Périclès, ami de Socrate et orateur habile, convainc ses concitoyens de lancer une expédition contre Syracuse, en vue de mettre la main sur le grenier à blé de la Sicile (415-413). Une idée saugrenue alors que Sparte renforce sa puissance. Qu'importe. Alcibiade lui-même obtient le commandement de l'expédition avec le vieux Nicias et Lamachos, malgré l'accusation qui plane sur lui d'avoir fait mutiler les hermès, bornes sacrées qui jalonnent les chemins. D'aucuns y voient un mauvais augure.
De fait, en Sicile, Alcibiade, par ses querelles avec ses associés, réduit l'armée à l'impuissance. Il finit par déserter et se réfugie à Sparte, encourageant la cité lacédémonienne à reprendre la guerre contre Athènes ! Du coup, Nicias, qui mène le siège de Syracuse, voit des Spartiates venir au secours de celle-ci. Il demande à Athènes soit de renoncer à l'expédition, soit de lui envoyer des renforts. En 413, une armée de secours arrive en Sicile sous le commandement de Démosthène (rien à voir avec son homonyme du siècle suivant). L'expédition de Sicile s'achève malgré tout sur un désastre : Démosthène et Nicias sont exécutés et l'armée entière entière capturée, soit dix mille hommes enfermés dans les carrières des Latomies. Les deux-tiers de la flotte sont anéantis, soit 200 trirèmes sur 300.
• Très affaiblie et souffrant d'énormes pertes humaines, sans doute la moitié de ses cinquante mille citoyens, Athènes tombe à la merci de Sparte. C'est le début d'une troisième et dernière guerre péloponnésienne, la Guerre de Décélie. Dès 413, à l'instigation d'Alcibiade, les Spartiates occupent le fort de Décélie, en Attique, à 20 kilomètres d'Athènes. Celle-ci est étranglée et, qui plus est, ne peut plus compter sur les revenus de ses mines du Laurion.
Sparte met tous les atouts de son côté en concluant en 412 la paix de Milet avec l'ennemi héréditaire, la Perse. Le chah Darius II accorde dès lors à Sparte de très importants subsides. Alcibiade s'est entre-temps brouillé avec les Lacédémoniens et craint la vengeance du roi dont il aurait séduit la femme ! Il s'enfuit auprès du satrape perse de Lydie Tissapherne et le convainc de dissuader Darius II d'attaquer Athènes : la Perse a tout à gagner, explique-t-il judicieusement, à laisser se prolonger le conflit entre Sparte et Athènes !
Dans le même temps, Alcibiade cherche à rentrer à Athènes. Il prend langue avec les équipages stationnés sur l'île de Samos (Ionie) et suggère que la Perse pourrait s'allier à Athènes si celle-ci renonçait à la démocratie ! Le 9 juin 411 av. J.-C., l'assemblée de l'Ecclésia, qui réunit tous les citoyens, se lève convaincre de voter à main levée un décret qui abolit de fait la démocratie et confie le pouvoir à un conseil de quatre cents notables (dix par tribu). C'est le « régime des Quatre-Cents ». Mais il se divise très vite et dès la fin de l'année, l'oligarchie est renversé par les équipages et stratèges de Samos, conduits par le général Thrasybule qui rétablit la démocratie et fait voter le retour d'Alcibiade.
Le fringant quadragénaire, nommé stratège, va enfin pouvoir mettre ses talents au service de sa patrie. Avec le concours de Thrasybule, il remporte les batailles navales d'Abydos et Cytize dans l'Hellespont (les Dardanelles et la mer de Marmara).
Mais en 406, comme Thrasybule fait le siège d'Éphèse, il le rejoint en laissant sa flotte à son pilote. Ce dernier prend l'initiative d'attaquer le port d'Éphèse, ce qui lui vaut d'être battu par le général lacédémonien Lysandre. Cela vaut à Alcibiade d'être révoqué ! Les citoyens athéniens ne s'en tiennent pas là. La même année, les généraux qui ont remplacé Alcibiade remportent encore une victoire navale devant les îles Arginuses. Mais en raison d'une tempête, ils renoncent à récupérer et ramener les dépouilles des soldats et marins morts au combat. Cela leur vaut d'être proprement exécutés !
L'année suivante, en 405, la flotte athénienne est détruite par Lysandre à Agios Potamos, dans les Dardanelles, et les Spartiates peuvent dès lors entreprendre le siège d'Athènes. La guerre s'achève sur leur victoire totale : Athènes capitule en 404 ; la cité perd ses remparts, les Longs Murs, qui reliaient Le Pirée à la cité, et doit se joindre à la Ligue du Péloponnèse, sous la férule de Sparte.
Le général Lysandre impose à l'Ecclésia un nouveau changement de régime. Le nombre de citoyens est ramené à 3000 et le pouvoir confié à un conseil de trente notables, parmi lesquels un aristocrate du nom de Critias qui s'illustrera par sa cruauté. C'est la « Tyrannie des Trente », qui gouverne effectivement de façon tyrannique en s'appuyant sur la garnison lacédémonienne. Comme la précédente oligarchie, elle ne va durer que quelques mois. Thrasybule, encore lui, rassemble à Thèbes les démocrates bannis et renverse les Trente. Ceux-ci se réfugient dans la cité voisine d'Éleusis dont ils massacrent la population. Athènes ayant perdu beaucoup de citoyens, Thrasybule propose d'accorder la citoyenneté aux combattants, y compris à des marins et des esclaves. Mais son décret est rejeté. Sparte retire sa garnison cependant qu'Athènes solde ses dettes envers le vainqueur. C'est le début d'une nouvelle forme de démocratie très altérée, qui condamnera Socrate pour impiété en 399 av. J.-C..
Quoi qu'il en soit de la complexité de ces événements, l'interprétation de Thucydide garde toute sa pertinence. Les considérer comme un tout, c'est comme assimiler les deux guerres mondiales du XXe siècle à une guerre de Trente Ans, ce à quoi s'est risqué le général de Gaulle. Le parallèle est d'autant plus justifié que la guerre du Péloponnèse, en épuisant les vainqueurs aussi bien que les vaincus, « a joué dans l'histoire hellénique un rôle aussi funeste que les deux dernières guerres mondiales dans l'histoire de l'Europe moderne » (Michel Mourre).
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