La guerre d'Espagne (1936-1939)

1936 : le choc des extrêmes

En 1936 éclate en Espagne une guerre entre factions politiques comme le pays en a connu de nombreuses au cours du siècle précédent. Mais elle survient dans une Europe en crise, où la démocratie parlementaire est presque partout menacée par la montée des totalitarismes : communisme, fascisme et nazisme.

Avec l'intervention des puissances étrangères, la guerre civile espagnole va s'internationaliser et s'étirer dans le temps, prenant une tournure très violente. C'est un prélude aux horreurs de la Seconde Guerre mondiale. Celle-ci éclate quelques mois seulement après la cessation des combats en Espagne et l'accession au pouvoir suprême du général Franco.

André Larané

Civils armés du côté républicain pendant la bataille d'Irun, 1936. Agrandissement : Femmes implorant les rebelles pour la vie des prisonniers, Constantina, Séville, 1936, Madrid, musée national centre d'art Reina Sofía.

Haines politiques et sociales

La guerre d'Espagne est l'aboutissement d'une interminable crise sociale, politique et religieuse qui remonte à la fin du siècle précédent.

Le 15 février 1936, veille des élections qui donneront la victoire au Front populaire, le grand-père conseille à son petit-fils de ne pas se tromper demain, comme il l'a fait aux élections du 14 avril 1931. Agrandissement : Manuel Azaña et son gouvernement.En 1923, le général Primo de Rivera a tenté de mettre de l'ordre dans le royaume à l'image de ses contemporains, l'Italien Mussolini ou encore le Turc Moustafa Kémal. Mais le dictateur doit quitter le pouvoir en 1930 et l'année suivante, le roi lui-même est renversé. La Deuxième République est proclamée mais la situation politique reste très tendue dans le pays.

Les élections législatives du 16 février 1936 consacrent la victoire d'une coalition des partis de gauche, le Front Populaire (Frente Popular), qui réunit pour la première fois les communistes aux ordres de Staline, les socialistes et les radicaux, comme en France à la même époque. Le leader du Front Populaire, Manuel Azaña (56 ans), est élu président de la République le 10 mai 1936.

Le député monarchiste José Calvo Sotelo assassiné (13 juillet 1936)Le journal officiel du PSOE (Partido Socialista Obrero Español) promet : « Nous ferons la même chose qu'en Russie », ce qui n'est pas pour rassurer les opposants !

Le pays connaît une nouvelle flambée de violences qui se soldent par plusieurs centaines de morts et débouchent sur l'assassinat du député monarchiste José Calvo Sotelo (43 ans) le 13 juillet de la même année, peu après qu'il ait été menacé par la Pasionaria.

La situation paraît sans issue et chacun s'attend à un soulèvement militaire (en espagnol, « pronunciamiento ») comme le pays en a déjà connu une cinquantaine en un peu plus d'un siècle. Autant dire qu'il s'agit d'une tradition nationale qui vise à tempérer les excès du pouvoir.

Le président Manuel Azaña laisse venir le soulèvement, espérant ainsi crever l'abcès. Mais ce qu'il ignore, c'est que ce soulèvement-ci va déboucher sur l'une des plus impitoyables guerres civiles que l'on ait jamais connue.

Le président Manuel Azaña en meeting dans les arènes de Bilbao

Le « pronunciamiento »

Le soulèvement, qualifié par ses auteurs de « glorioso Movimiento » (le glorieux Mouvement) survient le 17 juillet 1936 dans la garnison de Melilla, une enclave espagnole en territoire marocain, conformément à un plan préparé de longue date.

Emilio Mola y Vidal, 1ᵉʳ duc de Mola et Grand d'Espagne (Placetas, 9 juillet 1887 ; Alcocero, 3 juin 1937).L'inspirateur principal en est le général de brigade Emilio Mola. Cet ancien chef de la police est devenu gouverneur militaire de Pampelune, dans une région de petits paysans carlistes et catholiques, farouchement hostiles à la République : la Navarre.

Il s'est allié au général José Sanjurjo « héros du Rif », en exil à Lisbonne, ainsi qu'au général Francisco Franco y Bahamonde, gouverneur militaire des Canaries.

Dès le lendemain, le général Franco quitte son poste dans les îles Canaries. Il se rend en secret à Melilla et prépare le débarquement de ses troupes en Andalousie. Il s'agit essentiellement de musulmans marocains ou « maures » (« los Regulares ») et de soldats de la Légion étrangère (ou « tercio », par allusion aux glorieuses armées du Grand Siècle espagnol, fin du XVIe- début du XVIIe).

Dans le même temps se soulèvent les garnisons de la plupart des grandes villes espagnoles. Mais une bonne partie de l'armée, la moitié environ, reste fidèle au gouvernement républicain. Sur certains navires de guerre, il arrive que les marins s'emparent de leur officiers rebelles et les exécutent dans les formes. Sur d'autres navires, les officiers rebelles ont le dessus et font pendre aux vergues les marins qui refusent de les suivre.

ECombattants marocains (tabors) au service du général Franco et de sa croisaden trois jours, les rebelles nacionales (« nationaux » ou « nationalistes ») s'emparent de la Galice et de la Vieille-Castille, près de la frontière avec le Portugal, ainsi que d'une partie de la Navarre, du Léon et des Asturies. En Navarre et Aragon, les insurgés bénéficient du soutien de milices carlistes, les requetes. Ce sont des paysans-soldats bien entraînés, catholiques fervents et monarchistes enthousiastes.

Les « nationalistes » s'implantent aussi en Andalousie, à Cordoue, Grenade et Cadix, avec l'aide de bataillons ou « tabors » maures et d'unités ou « banderas » de la Légion. Mais à Barcelone, ils sont repoussés par les milices ouvrières. Ils échouent aussi à Valence et dans le Levant méditerranéen.

Le général Mola compte s'emparer de Madrid en faisant converger sur la capitale quatre colonnes de troupes et en combinant leur action avec le soulèvement de civils madrilènes favorables au Mouvement. C'est ce qu'il appelle la « cinquième colonne » (l'expression fera florès).

Mais la manœuvre échoue devant la mobilisation impromptue des habitants. La capitale reste aux mains des troupes légalistes commandées par le général Miaja. Au terme des « trois jours de juillet » (18, 19 et 20 juillet), l'Espagne apparaît divisée en deux, avec un léger avantage au gouvernement, qui garde le contrôle des principales zones industrielles, de la capitale ainsi que de 14 millions d'habitants contre 10,5 aux insurgés.

Marina Ginestá, milicienne de 17 ans, sur le toit de l'hôtel Colon, à Barcelone, en 1936

L'armée est divisée. Les officiers intermédiaires, au nombre d'environ 16 000, issus de la moyenne bourgeoisie, ont rejoint massivement le Mouvement et ils vont cruellement manquer au gouvernement. Mais la plus grande partie des officiers d'état-major sont restés fidèles à la République. Pour ne rien arranger, le général Sanjurjo, pressenti pour prendre la tête du Mouvement, périt à Estoril (Portugal) le 20 juillet 1936, dans le crash de l'avion qui devait le ramener à Madrid.

À première vue, on peut croire au bout de trois jours que le pronunciamiento a échoué.

Le général Franco à Burgos en août 1936. Le général Emilio Mola marche derrière lui, à sa gauche.

Vers une guerre longue

La guerre est relancée par le général Franco, qui a obtenu l'aide logistique des Allemands et des Italiens pour accélérer le transfert de ses troupes vers la péninsule par avion et par bateau. Le 5 août 1936, un « convoi de la victoire » traverse le détroit de Gibraltar avec 2 500 hommes.

Le général Francisco Franco Bahamonde (4 décembre 1892, Ferrol ; 20 novembre 1975, Madrid)Le 14 août 1936, alors que s'éloigne l'espoir d'une résolution rapide du conflit, les troupes maures et les légionnaires s'emparent de Badajoz, au sud. Leur victoire se conclut par un massacre atroce de la population. D'un point de vue stratégique, elle permet de relier les zones nacionales du sud et du nord. Elle permet aussi à la rébellion de tenir les régions frontalières du Portugal, ce qui facilite son ravitaillement en armes et munitions.

Les « nationalistes » arrivent aux portes de Madrid mais, de façon inattendue, diffèrent l'assaut sur la capitale le temps de secourir les défenseurs de l'Alcazar de Tolède, une forteresse où 1 600 personnes supportent le siège de l'armée régulière.

L'Alcazar de Tolède après le siège par l'armée gouvernementale en 1936

C'est chose faite le 26 septembre 1936. La propagande nationaliste ne manque pas d'exalter alors les hauts faits des « héros de l'Alcazar ».

Le colonel José Moscardó devient mondialement célèbre pour avoir refusé de rendre la forteresse quand les assiégeants l'ont menacé au téléphone d'exécuter son fils Luis, 24 ans, qu'ils détenaient en otage (« Crie Vive l'Espagne ! et recommande ton âme à Dieu », aurait-il simplement dit à celui-ci).

Le général Franco sort de son rôle subalterne et acquiert aussi une notoriété mondiale. Faute d'autre postulant, c'est naturellement lui qui prend la tête du Mouvement à la fin septembre.

Mais entre-temps,  le président Azaña a pris la mesure du danger. Le 4 septembre 1936, il nomme à la tête du gouvernement et au ministère de la Guerre Francisco Largo Caballero, un socialiste proche des communistes à la réputation d'inflexibilité.

Les républicains consolident la défense de la capitale avec pas moins de 30 kilomètres de tranchées et le soutien des volontaires étrangers des premières brigades internationales, équipées de matériel soviétique. En novembre, ils peuvent ainsi repousser les assauts franquistes.

Le conflit va dès lors se prolonger pendant deux ans et demi, opposant des armées de plus de 800 000 hommes chacune, avec un soutien actif de l'étranger. Il se double d'une révolution sociale et anticléricale où les anarchistes de la CNT (Confederación Nacional del Trabajo) et de la FAI (Federación anarchista iberica) jouent le premier rôle avec les communistes antistaliniens du POUM (Partido Obrero de Unificaciòn Marxista).

Exécution d'un combattant anonyme pendant la guerre d'Espagne (1936-1939)

Cette « révolution » se solde par des atrocités sans nom dont les prêtres et les religieuses sont les premières victimes. 7 000 au total sont assassinés, principalement en Catalogne. Dans les campagnes du nord, de simples paysans et manouvriers sont exécutés sans façon sur un soupçon de sympathie nationaliste.

Le siège de Madrid par les armées nationalistes en 1936À Madrid, pendant le siège de la capitale, à l'automne 1936, les communistes traquent et exécutent des milliers de suspects sous la direction de conseillers soviétiques. Dix mille autres suspects échappent à la mort en se réfugiant dans les ambassades étrangères. Ces massacres et exactions surviennent principalement pendant les trois premiers mois du conflit. Ils ont pour effet de pousser l'Église du côté des nacionales.

Et le général Franco, qui ne manifestait à l'origine aucune attache pour la religion catholique, saute sur l'occasion pour transformer son soulèvement en « croisade » contre le communisme athée et criminel ! Il fait fi de ce que son armée est constituée de plusieurs dizaines de milliers de Marocains musulmans et de légionnaires « impies »... Lui aussi organise sans état d'âme le massacre des suspects et des ennemis potentiels.

L'année suivante, la guerre civile va s'internationaliser avec l'entrée en scène des Allemands de Hitler, des Italiens de Mussolini, des Soviétiques de Staline ainsi que des Brigades internationales. Elle va de la sorte redoubler de violence...

Publié ou mis à jour le : 2023-06-03 21:10:13
Jean Louis Taxil (19-09-2016 22:02:22)

Article et liens magistraux. A lire à partir de 16 ans avec une question: comment une telle violence a pu se déchaîner? Une réponse: 1905,le traité Taft-Katsura et 1931, début de l'agression ... Lire la suite

Gilbert Grellet (16-08-2016 10:36:20)

Pas mal de petites inexactitudes à corriger dans cet article sur la guerre d'Espagne. Dans l'ordre: 1/Azaña n'a pas nommé Largo Caballero à la tête du gouvernement quand il est devenu préside... Lire la suite

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