Charles-Maurice de Talleyrand est entré dans les ordres faute de pouvoir entamer une carrière militaire. Évêque, il est excommunié pour son rôle pendant la Révolution. Mais la négociation du Concordat lui vaut d'être relevé de ses vœux par le pape.
Le voilà au service du Premier Consul, futur Napoléon Ier.
Talleyrand reste le plus précieux des diplomates. Il conseille de rendre l'Empire héréditaire. Belle idée ! Du coup, le voilà promu grand chambellan (juillet 1804) et grand cordon de la Légion d'honneur créée par Napoléon (1805).
Le 2 décembre 1804, Talleyrand assiste au sacre, drapé dans son manteau rouge de grand chambellan, bien en vue sur la fresque de David immortalisant la scène.
Napoléon vole la vedette au pape, en se couronnant lui-même ! Le même jour, il dévoile son ambition à Pie VII : « Je n'ai pas succédé à Louis XVI, mais à Charlemagne. » Il vise le titre d'empereur d'Occident à la tête du Grand Empire.
Mais Talleyrand l'a compris, le temps n'est plus à ce genre d'Empire ! La Révolution a parlé de Liberté aux peuples et l'équilibre européen est le seul garant de la paix.
« Insupportable, indispensable et irremplaçable »
En attendant, pendant trois ans encore, Talleyrand est réduit à négocier contre ses convictions et signer des traités à contrecœur, à cautionner une politique guerrière qui impose la loi du plus fort et la « diplomatie de l'épée ».
Le bilan diplomatique, fierté de l'empereur, navre Talleyrand !
21 novembre 1806, le Blocus décrété contre l'Angleterre est le commencement du pire. Napoléon sera condamné à « intervenir », autrement dit envahir les pays récalcitrants, Espagne, Russie...
25 juin 1807, deux empereurs se rencontrent sur un radeau, au milieu du Niémen : « Sire, je hais les Anglais autant que vous, assure le jeune tsar Alexandre. - En ce cas, la paix est faite », répond Napoléon.
C'est la fin de la quatrième coalition. Après ses victoires (Austerlitz, Eylau, Friedland), il veut s'assurer que la Russie respectera le Blocus contre l'Angleterre, dernier pays invaincu.
7 juillet 1807, la paix est signée. C'est le traité de Tilsit, négocié directement par Napoléon. Dans l'élan, la Prusse est démembrée.
10 août, Talleyrand démissionne, au motif qu'il est devenu « un ministre des Relations extérieures sans emploi ». En lot de consolation, il sera fait prince de Bénévent, Vice-grand Électeur de l'Empire.
Napoléon lui demandera bientôt de reprendre son poste, en vain. Il restera son conseiller.
Le double jeu du diable
27 septembre 1808 : Erfurt. Napoléon a chargé son ex-ministre de préparer le terrain avec son nouvel allié russe, sans ignorer qu'il préférerait l'Autriche. Sachant sa duplicité, faut-il qu'il soit attaché au « diable boiteux » !
Dans un entretien secret, Talleyrand conseille au tsar de prendre ses distances avec l'empereur : « Sire, c'est à vous de sauver l'Europe et vous n'y parviendrez qu'en tenant tête à Napoléon. Le peuple français est civilisé, son souverain ne l'est pas. Le souverain de Russie est civilisé, son peuple ne l'est pas : c'est donc au souverain de Russie d'être l'allié du peuple français. »
Alexandre a compris le message : le peuple français peut, un jour prochain, ne plus soutenir Napoléon.
Trois mois plus tard, d'Espagne où il tente d'affermir le trône de son frère Joseph, Napoléon apprend que Talleyrand complote avec Fouché pour préparer sa succession.
Il rentre aussitôt. 28 janvier 1809, aux Tuileries, devant le Conseil des ministres restreint, colère historique : « Vous êtes un voleur, un lâche, un homme sans foi. Vous ne croyez pas à Dieu ; vous avez toute votre vie manqué à tous vos devoirs, vous avez trompé, trahi tout le monde […] Tenez, Monsieur, vous n'êtes que de la merde dans un bas de soie. »
L'Empereur sort en claquant la porte. « Quel dommage, Messieurs, qu'un si grand homme soit si mal élevé ! » lâcheTalleyrand, impassible.
À la demande de Napoléon, l'ex-évêque travaille à son divorce avec Joséphine, répudiée pour stérilité à 46 ans. Et il lui suggère le mariage autrichien, accepté avec un enthousiasme qui bouscule tous les protocoles.
La noce a lieu le 2 avril 1810. L'Aiglon naîtra en mars 1811.
Talleyrand prédit la chute de l’Empire
Décembre 1812 : « Voilà le commencement de la fin », dit Talleyrand. Il vient d'apprendre la retraite de Russie, sans savoir encore l'ampleur de la débâcle.
3 janvier 1813, Napoléon réunit un Conseil. « Négociez ! » lui répète Talleyrand. Il refuse. Plus dure sera la chute. Une restauration devient probable. Talleyrand pense toujours à une monarchie constitutionnelle à l'anglaise, le meilleur régime pour la France. Il entre en correspondance avec Louis XVIII, émigré sous la Révolution.
Janvier 1814 : dernière entrevue avec Napoléon. Celui-ci nomme Talleyrand au Conseil de régence, avant de partir pour une campagne sans espoir.
La France est vaincue par les Alliés, envahie, occupée. Talleyrand convainc le tsar de favoriser une restauration des Bourbons. Il négocie la convention d'armistice et une paix honorable. C'est le premier traité de Paris.
Le grand œuvre de Talleyrand
Déçu dans ses idées libérales et ses ambitions politiques, le diplomate est quand même fait prince de Talleyrand, pair de France. Il va s'illustrer comme ambassadeur au Congrès de Vienne.
Sa table, réputée la meilleure de Paris, y fait merveille, avec son cuisinier Antoine Carême, « le roi des chefs et le chef des rois ».
Sa nièce, 21 ans, Dorothée de Courlande, bientôt duchesse de Dino, séduit tout le monde par son esprit et sa beauté - elle sera la dernière présence féminine auprès de Talleyrand, par ailleurs l'amant de sa mère.
4 janvier 1815 : « Maintenant, Sire, la coalition est dissoute, et elle l'est pour toujours […] la France n'est plus isolée en Europe. » Lettre de Talleyrand à Louis XVIII en forme de bulletin de victoire.
Authentique exploit diplomatique. C'est l'équilibre européen tel qu'il le souhaitait depuis toujours ! Le retour de Napoléon compromet un temps ses efforts...
Un génie politique enfin reconnu
Seconde Restauration, été 1815 : le roi renvoie son ministre. Le régime se durcit. Disgrâce passagère. Redevenu grand chambellan, ayant accès à la chambre du roi, il se trouve très proche de Louis XVIII.
Après Louis XVI et Napoléon, il assiste aussi à un troisième sacre - le dernier de l'Histoire de France, 29 mai 1825.
Charles X, chef des ultras, tient à ressusciter cette cérémonie anachronique. Difficile pour Talleyrand de dialoguer avec cet homme borné. Il se rapproche de la maison d'Orléans, branche cadette des Bourbons.
Révolution de Juillet 1830 : rallié au « roi des Français » Louis-Philippe, Talleyrand (75 ans) est nommé ambassadeur extraordinaire à Londres, où il prépare l'Entente cordiale.
Il se retire en 1834 dans son château de Valençay, puis revient à Paris. Il meurt le 17 mai 1838 dans son hôtel de Saint-Florentin.
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Voir les 4 commentaires sur cet article
Anonyme (02-12-2016 22:44:00)
Pour connaître Taleyrand il faut lire ... Taleyrand.modele de cynisme et de pragmatisme il devrait être pris en exemple par les incultes du quai D'Orsay .A la différence des idiots qui s'occupent d... Lire la suite
Nicolas Thubert (01-11-2016 21:03:52)
On peut rajouter la biographie écrite au début des années 1980 par Jean Orieux qui est excellente et pose bien les problématiques du personnage qui fut un grand homme d'état.
Pierre Henri DREVON (10-10-2016 09:41:14)
Excellent article ! Merci.