Le 21 février 1944, les murs de Paris se couvrent de grandes affiches rouges. Placardées à 15 000 exemplaires, elles font état de l'exécution au mont Valérien de 23 « terroristes » membres d'un groupe de FTP (francs-tireurs partisans), qualifiés d'« armée du crime ».
Le chef de ce groupe de résistants s'appelle Missak (Michel) Manouchian. Il est né en Arménie 36 ans plus tôt et a perdu son père dans le génocide arménien.
Quand il arrive en France, en 1924, il apprend le métier de menuisier et adhère au syndicat communiste, la CGTU. Il écrit par ailleurs des poèmes et se consacre à la littérature et à l'étude. Au Parti communiste, il fait partie du groupe MOI (Main-d'Oeuvre Immigrée). Pendant l'occupation allemande, il rejoint un petit réseau de résistants communistes, les FTP-MOI (Francs-Tireurs et Partisans-Main-d'Oeuvre Immigrée).
La propagande nazie daube sur l'origine étrangère de Manouchian et de ses compagnons d'infortune (pour la plupart Arméniens comme lui ou juifs d'Europe de l'Est). Mais il n'est pas sûr que cette argumentation ait eu l'effet attendu sur l'opinion française si l'on en croit le beau poème de Louis Aragon chanté par Léo Ferré...
Ma Chère Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée,
Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. Nous allons être fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m’arrive comme un accident dans ma vie, je n’y crois pas mais pourtant je sais que je ne te verrai plus jamais.
Que puis-je t’écrire ? Tout est confus en moi et bien clair en même temps.
Je m’étais engagé dans l’Armée de Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la Victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu’il méritera comme châtiment et comme récompense. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous… J’ai un regret profond de ne t’avoir pas rendue heureuse, j’aurais bien voulu avoir un enfant de toi, comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre, sans faute, et d’avoir un enfant pour mon bonheur, et pour accomplir ma dernière volonté, marie-toi avec quelqu’un qui puisse te rendre heureuse. Tous mes biens et toutes mes affaires je les lègue à toi à ta sœur et à mes neveux. Après la guerre tu pourras faire valoir ton droit de pension de guerre en tant que ma femme, car je meurs en soldat régulier de l’armée française de la libération.
Avec l’aide des amis qui voudront bien m’honorer, tu feras éditer mes poèmes et mes écrits qui valent d’être lus. Tu apporteras mes souvenirs si possible à mes parents en Arménie. Je mourrai avec mes 23 camarades tout à l’heure avec le courage et la sérénité d’un homme qui a la conscience bien tranquille, car personnellement, je n’ai fait de mal à personne et si je l’ai fait, je l’ai fait sans haine. Aujourd’hui, il y a du soleil. C’est en regardant le soleil et la belle nature que j’ai tant aimée que je dirai adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes bien chers amis. Je pardonne à tous ceux qui m’ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus. Je t’embrasse bien fort ainsi que ta sœur et tous les amis qui me connaissent de loin ou de près, je vous serre tous sur mon cœur. Adieu. Ton ami, ton camarade, ton mari.
Manouchian Missak
Un réseau très recherché
Le réseau des FTP-MOI a été fondé en mars 1942 par Boris Holban (34 ans), de son vrai nom Bruhman. Issu d'une famille juive qui a fui la Russie pour la Bessarabie puis la France, Boris Holban s'engage en 1939 dans un régiment de volontaires étrangers. Fait prisonnier, il réussit à s'évader grâce au réseau d'une religieuse de Metz, Soeur Hélène (François Mitterrand bénéficiera du même réseau).
En mars 1942, Boris Holban met sur pied les FTP-MOI parisiens avec des équipes de Roumains, de juifs polonais et d'Italiens sans compter un détachement spécialisé dans les déraillements et des services de renseignement, de liaison et de soins médicaux. Ce sont au total 30 combattants et une quarantaine de militants. Ils sont affiliés au mouvement des FTP, créé par le parti communiste à la fin de l'année précédente.
Les FTP-MOI commettent à Paris 229 actions contre les Allemands, de juin 1942 à leur démantèlement en novembre 1943 par la Brigade Spéciale N°2 des Renseignements généraux (BS2), un organe de la préfecture de police de Paris chargé de la traque des communistes.
La plus retentissante de leurs actions est l'assassinat, le 28 septembre 1943, du général SS Julius Ritter, qui supervise le Service du Travail Obligatoire (STO), responsable de l'envoi en Allemagne de centaines de milliers de jeunes travailleurs français.
En août 1942, la direction nationale des FTP enlève la direction des FTP-MOI à Boris Holban car celui-ci refuse d'intensifier le rythme de ses actions. Il juge non sans raison que le réseau est au bord de la rupture. Il est remplacé à la tête du groupe par Missak Manouchian.
Suite à une trahison, celui-ci est arrêté par la police française avec plusieurs de ses amis le 16 novembre 1943, à Évry Petit-Bourg, sur les berges de la Seine. Sa compagne Mélinée réussit à échapper à la police.
Livrés à la police militaire allemande, Manoukian et 23 de ses camarades sont jugés devant la presse collaborationniste qui s'appesantit sur leurs origines et leur « cynisme ». Vingt-deux sont exécutés le 21 février 1944. C'en est fini des FTP-MOI.

Rappelé par les FTP en décembre 1943, Holban retrouve et exécute le traître qui a livré le groupe.
Après la Libération, il s'en retourne en Roumanie où il devient colonel puis général. Mais le dictateur Ceaucescu le déchoit de son grade et l'envoie travailler dans une usine jusqu'à sa retraite. Revenu en France, il sera décoré de la Légion d'Honneur le 8 mai 1994 sous l'Arc de Triomphe de l'Étoile par le président Francois Mitterrand.
Le dernier survivant du groupe Manouchian, Arsène Tchakarian, est mort le 6 août 2018, après avoir survécu au génocide arménien et à la répression nazie.
Isabelle Grégor propose aux collégiens et à leurs enseignants un document bref et synthétique pour décrypter l'Affiche rouge :
Vous n'avez réclamé la gloire ni les larmes
Ni l'orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servi simplement de vos armes
La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans.
Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L'affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants
Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l'heure du couvre feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents.
Tout avait la couleur uniforme du givre
A la fin février pour vos derniers moments
Et c'est alors que l'un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand.
Adieu la peine et le plaisir adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan
Un grand soleil d'hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le coeur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant
Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant.

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Voir les 6 commentaires sur cet article
Jmk011 (06-07-2023 08:52:06)
Qu’ajouter de plus à ce très bel article et à cette magnifique lettre d’adieu et en même temps d’espoir écrite par un résistant d’origine étrangère à son épouse ? Rien si ce n’est qu’il faudrait lire ... Lire la suite
Emeraude (05-07-2023 16:58:09)
La dernière lettre de Missak (Michel) Manouchian à sa femme Cette lettre est émouvante, son rédacteur qui ne sera plus de ce monde quelques heures après l'avoir écrite est un saint qui nous quitte et... Lire la suite
Champain Christine (20-02-2022 11:26:08)
Sur le texte d’Isabelle Grégor, il est fait mention d’un tirage de l’affiche rouge à 150 000 exemplaires, alors qu’ il s’agit de 15 000 exemplaires. Il serait bon de rectifier.