À Kiev, capitale de l'Ukraine, la révolution de Maidan chasse en 2014 un président jugé trop proche de Moscou et porte au pouvoir un homme nouveau, Petro Porochenko, industriel du chocolat. Mais dans le même temps, le président russe Vladimir Poutine annexe la Crimée, province traditionnellement russe devenue ukrainienne par accident.
Une rébellion meurtrière éclate aussi dans le Donbass russophone, avec le soutien actif de l'armée russe. Le territoire devient le lieu d'une guerre endémique qui va faire 14000 morts en 7 ans.
Incapable de sortir son pays de l’ornière et à juste titre soupçonné de corruption et népotisme, le président Porochenko est évincé lors de l'élection présidentielle du 21 avril 2019 par un improbable candidat, Volodymyr Zelensky (41 ans).
L'heureux élu, qui entre en fonction le 20 mai suivant, est un acteur comique d’origine juive et russophone. En 2003, il a créé une société de production et s'est placé dans le sillage d'un oligarque Ihor Kolomoïsky, très influent dans les médias. En 2015, il devient immensément populaire à la faveur d’une série télé, Serviteur du Peuple, où il joue le rôle d’un professeur d'histoire devenu… président !
C'est ainsi que la réalité va rejoindre la fiction. Mais dans celle-ci, c'est grâce à un financement participatif que le professeur d'histoire accédait à la présidence. Dans la réalité, c'est avec l'argent sale de Kolomoïsky que Zelensky va mener campagne. Son triomphe n'en sera pas moins éclatant ! Écoeurés par leur classe politique, les Ukrainiens, avides de changement, l'élisent avec près de 3/4 de suffrages contre 1/4 pour son adversaire.
De la recherche du compromis à la guerre à tout prix
Europhile, Zelensky est cependant soucieux avant tout de mettre un terme à la guerre dans le Donbass qui a déjà fait plus de 13.000 morts dans les deux camps en cinq ans.
Le nouveau président consent avec Vladimir Poutine à un premier échange de 70 prisonniers le 7 septembre 2019.
En ce même mois de septembre, le jeune président se voit embarqué dans une affaire intérieure américaine quand est révélée une vidéo dans laquelle le président Donald Trump exige de Zelensky qu'il engage une procédure judiciaire contre le fils de son rival Joe Biden au motif de trafic d'influence. À défaut, le président américain menace son homologue ukrainien de le priver d'une livraison d'armement...
Par ailleurs, sous la supervision de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), la Russie et l’Ukraine s'accordent sur un agenda prévoyant des élections et l’octroi d’un statut spécial aux territoires occupés du Donbass. Ce calendrier, connu comme la « formule Steinmeier », du nom d'un ancien ministre des affaires étrangères allemand, se veut une version simplifiée du volet politique des accords de Minsk, signés en 2015, mais jamais totalement appliqués.
Sitôt annoncé, le 1er octobre 2019, il entraîne les habitants de Kiev à manifester bruyamment leur opposition à toute forme de compromis avec le Kremlin. Ils dénoncent la « trahison » de Zelensky et sa soumission tant au président américain qu'au président russe. « Volodymyr Zelensky est-il à même de porter fermement les revendications de l’Ukraine sur la scène internationale ? » s'interroge le quotidien français Le Monde (8 octobre 2019).
Zelensky rencontre aussi à Paris son homologue russe Vladimir Poutine le 9 décembre 2019 et il s’ensuit un nouvel échange de 200 prisonniers le 29 décembre 2019. Celui-ci lui vaut une vague de protestations car figurent parmi les personnes relaxées cinq policiers accusés de meurtres lors de la révolution de Maidan et non encore jugés.
La popularité du président est aussi atteinte quand on apprend qu'il a transféré à l'étranger les gains tirés de sa société de production.
Tout cela va être instantanément oublié à la suite de l'invasion de son pays par la Russie, le 24 février 2022. Inexpérimenté à ses débuts, le président Zelensky n'avait pas pris au sérieux les avertissements des services secrets américains. Trompé dans son appréciation du danger, il va sitôt après révéler un courage et un sang-froid indéniables, doublés d'une parfaite maîtrise de la guerre sur les réseaux sociaux. Au président Joe Biden qui lui propose de l'exfiltrer et le mettre à l'abri d'un probable attentat, Volodymyr Zelensky répond avec panache : « J'ai besoin de munitions, pas d'un taxi ». Cette formule va illustrer mieux que tout sa détermination et raviver la résistance de son peuple à l'agression.
C'est le moment fatal où bascule l'Histoire. L'Amérique souhaitait depuis l'origine brider la Russie en la coupant de sa marche ukrainienne et en l'isolant de l'Europe, de façon à éviter la constitution d'un « Axe » Berlin-Moscou susceptible de devenir un concurrent majeur des entrepreneurs américains par la complémentarité des hydrocarbures russes et de l'industrie allemande.
Mais, refroidie par ses mésaventures moyen-orientales et afghanes et de plus en plus impliquée dans son face-à-face avec la Chine, elle n'envisageait pas pour autant d'en venir à un affrontement militaire avec la Russie. L'effondrement rapide de l'Ukraine eut satisfait tous les camps en isolant la Russie et en consacrant sa rupture avec Berlin et l'Occident. La résistance du peuple ukrainien, aidé en cela par les livraisons de missiles sous la présidence Trump, allait obliger Joe Biden à s'engager dans cette guerre de trop.
Vos réactions à cet article
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Doc 7438 (12-05-2024 10:35:53)
Un axe Berlin-Moscou? Merkel parlait russe, OK? Mais à ce point? On a parlé aussi d'une dangereuse avancée de l'Otan vers l'Est, non?
GARNAUD (12-05-2024 10:33:37)
Sur la fin du commentaire : toute guerre est de trop, mais pourquoi celle-ci le serait-elle plus ?