18 février 2014 : le président de l'Ukraine Viktor Ianoukovitch a interrompu brutalement les négociations d'adhésion avec l'Union européenne le 21 novembre 2013, après que son homologue russe Vladimir Poutine l'eut menacé de représailles économiques s'il les menait à terme...
L'Ukraine était encore en 2014 très dépendante de la Russie, avec un commerce qui se développait entre les deux pays bien plus vite qu'avec l'Union européenne asthénique. Mais ses habitants étaient aussi comme beaucoup d'autres fascinés par les lumières scintillantes de l'Ouest. Ils voyaient dans l'Union européenne la perspective d'importantes aides financières ainsi que de facilités migratoires. Or, les Européens n'acceptaient pas de compromis et mettaient en demeure Kiev de choisir entre Moscou et Bruxelles.
Par pragmatisme, le président Ianoukovitch choisit Moscou. Pour beaucoup de ses concitoyens, cette reculade fait l'effet d'une douche froide en éloignant la perspective d'une modernisation du pays et de ses institutions. Elle révolte aussi les ultranationalistes, inquiets du retour de l'Ukraine dans le giron de Moscou. La capitale ukrainienne entre donc en ébullition neuf ans jour pour jour après la « révolution orange ».
Cette nouvelle révolution, dite « EuroMaïdan », a bénéficié comme la précédente du soutien des États-Unis. Dans l'allocution ci-après, le 13 décembre 2013, la Secrétaire d'État adjointe Victoria Nuland déclare ainsi que son pays a dépensé 5 milliards de dollars depuis 1991 pour soutenir la démocratie en Ukraine et rapprocher ce pays de l'Union européenne et de l'OTAN (vidéo : 7'35") avec l'objectif inavoué de la détacher de son grand voisin historique, la Russie :
Mariés pour le meilleur et le pire
Aussi appelé « Petite-Russie », l'Ukraine, plus vaste que la France et à peine moins peuplée (45 millions d'habitants), est une partie centrale du monde russe. Kiev est la « mère de toutes les villes russes », selon une formule de son fondateur. Les événements dramatiques de cet hiver 2013-2014 montrent que l'Histoire est en train de rattraper la réalité. Elle re-unit dans la douleur des communautés qui n'auraient jamais dû être dissociées.
Mettons-nous un instant dans la peau d'un Russe de Moscou ou Vladivostok. Il n'est pas concevable pour lui que se dresse un « rideau de fer » entre son pays et l'Ukraine, entre la « Grande-Russie » et la « Petite-Russie ». Cela reviendrait à l'isoler complètement entre des mondes plus ou moins hostiles : l'Extrême-Orient chinois, l'Asie centrale turque, l'Europe atlantique. On n'imagine pas davantage qu'il accepte un « rideau de fer » au sein même de l'Ukraine, entre une partie russophone qui reviendrait dans le giron russe et une partie occidentale, sans réalité historique, qui chercherait sa voie aux côtés d'une Union européenne désargentée et sans leadership.
Quoi que pensent les Russes de leur président Poutine, de sa brutalité et de son autoritarisme, ne doutons pas qu'ils partagent sa volonté de conserver l'Ukraine - et la Biélorussie, ou « Russie blanche » - dans la sphère d'influence de Moscou. Si certains grands pays comme le Japon peuvent se délecter d'une solitude hautaine, il n'en va pas ainsi de la Russie qui, comme les autres États européens, a besoin d'être entourée d'amis et d'alliés.
Dans ces conditions, il était pour le moins maladroit que les Européens aient pu laisser croire aux Ukrainiens qu'ils pouvaient nouer avec eux un accord d'association tout en multipliant les attaques verbales contre la Russie post-démocratique de Poutine.
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L'Ukraine s'étend de part et d'autre du Dniepr et au nord de la mer Noire. Elle est un peu plus vaste que la France (600 000 km2) mais moins peuplée avec 45 millions d'habitants en 2013, Crimée comprise (cette population est en rapide décroissance et ne devrait plus s'élever qu'à 34 millions en 2050 dans les mêmes frontières). Le pays, qui n'a pas eu d'existence nationale avant la Première Guerre mondiale, est composé de quatre entités très différentes. D'une part la péninsule de Crimée, enlevée aux Turcs au XVIIIe siècle et russifiée depuis lors ; l'Ukraine de l'Est et du Sud, jusqu'à la rive gauche du Dniepr, longtemps désignée sous l'appellation de « Petite-Russie » (Malorussia) du fait de sa parenté étroite avec la Russie ; les bords de la mer Noire appelés « Nouvelle-Russie » (Novorussia) ; enfin l'Ukraine du Nord-Ouest (Galicie, Volhynie, Podolie), proche de la Pologne-Lituanie ou des États habsbourgeois, qualifiée de « Ruthénie ».
C'est autour de Kiev, capitale actuelle de l'Ukraine, sur le Dniepr, que la future nation russe est née, aux alentours de l'An Mil. Mille ans plus tard, elle a été divisée en trois États : Russie proprement dite, Ukraine et Biélorussie, avec des langues nationales qui ont lentement dérivé par rapport à l'ancienne langue commune.
Incompréhension occidentale
L'Occident a presque toujours cultivé une grande méfiance à l'égard de la Russie, mi-européenne, mi-asiate. Il est vrai que la seule fois où des relations cordiales se sont établies entre la France et la Russie, elles ont conduit à la Grande Guerre de 1914-1918 ! Faut-il en rester là ? En 1990, les nations riches du G7 ont fait la sourde oreille aux appels à l'aide de Mikhaïl Gorbatchev, avec pour résultat l'implosion de l'URSS et le chaos actuel.
Aujourd'hui, Vladimir Poutine, soucieux de désenclaver son pays, tente de reconstituer autour de Moscou une « Union eurasiatique » douanière, économique... et plus si affinités. L'Ukraine, la Biélorussie (ou Bélarus), la Géorgie, l'Arménie, la Moldavie, l'Azerbaïdjan et le Kazakhstan sont invités à y adhérer.
Le nouveau « tsar de toutes les Russies » dispose de moyens de pression importants avec les réserves de gaz naturel grâce auxquelles il tient à sa merci l'Ukraine, la Biélorussie... mais aussi l'Europe occidentale et plus particulièrement l'Allemagne.
L'Union européenne, qui a perdu beaucoup de sa morgue dans la crise actuelle, a moins que jamais intérêt à se détacher de cette autre Europe. On voudrait que ses dirigeants fassent pour une fois preuve d'esprit visionnaire et d'audace, qu'ils nouent enfin des relations de bon voisinage avec la Russie et s'abstiennent de toute stigmatisation inutile, qu'ils aident au rapprochement entre Kiev et Moscou et encouragent les deux partenaires à se démocratiser et assainir leur économie en leur offrant la perspective d'un partenariat Est-Ouest profitable à tous.
À défaut, l'Ukraine risque de sombrer, à la façon de la Biélorussie voisine, vers une dictature personnelle sous protectorat russe. C'est le sens de la sanglante répression des manifestants de la place de la Liberté (Maïdan Nezalejnosti), à Kiev, en ce mois de février 2014.
L'Union européenne peut éviter la tragédie non pas en menaçant Kiev de « sanctions » illusoires et contre-productives mais en se rapprochant de la Russie comme de l'Ukraine et pourquoi pas? de la Biélorussie en vue de les apprivoiser toutes ensemble et les rallier à elle. Rien d'autre, en somme, que le rêve de De Gaulle d'une Europe qui s'étendrait « de l'Atlantique à l'Oural »...
Lire la suite : Gare à ne pas désespérer la Russie.
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Voir les 10 commentaires sur cet article
Michel Carriere (19-11-2023 15:30:02)
Une présentation plutôt russophile qui oublie les tragédies que l’Ukraine a vécues tant sous l’empire russe que soviétique puis de nouveau russe. Ne pas oublier les persécutions commises p... Lire la suite
Pat21 (19-11-2023 11:07:16)
Cet article manque d'objectivité... L'expression "l'UE a perdu de sa morgue ..." est absurde. C'est au peuple ukrainien de décider quel avenir il souhaite et pas à un dictateur mafieux colonialiste... Lire la suite
riussi (06-03-2014 18:53:54)
l'implosion de l'urss n'est que marginalement liée au dédain de l'UE pour Gorbatchev. L'article est par ailleurs bien utile mais il ne faudrait pas introduire l'idée de fatalité historique -après... Lire la suite