La crise des années 2000 est la conséquence d'une succession de choix politiques qui remontent à l'enterrement des « Trente Glorieuses », dans les années 1970.
Après le timide sursaut des années 1980 survient le relâchement des années 1990 : débarrassés de la guerre froide, les dirigeants européens se prennent à rêver d'un Vieux Continent enfin uni. Ils décident de frapper un grand coup en créant ex-nihilo une monnaie unique, avec l'espoir que l'unification monétaire obligera les États européens à unifier aussi leur politique.
La monnaie européenne a été voulue par François Mitterrand et Helmut Kohl pour des raisons avant tout politiques. C'était afin de resserrer les liens au sein de l’Union européenne à un moment où la réunification de l’Allemagne pouvait inciter celle-ci à s’en éloigner.
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Pour convaincre les Allemands de sacrifier leur mark, symbole de leur prospérité d’après-guerre, on leur a promis une monnaie tout aussi stable, protégée de l’inflation envers et contre tout par une Banque Centrale Européenne (BCE) indépendante, installée à Francfort. On a donc institué une monnaie unique calquée sur le mark allemand, propre à séduire les emprunteurs et conserver un cours élevé par rapport aux autres devises.
Les économistes proches du pouvoir et les banquiers l'ont plébiscitée pour des raisons diverses : d'une part la perspective d'imposer une monnaie « forte » garante de la stabilité des prix et de la sécurité des placements financiers, d'autre part la conviction que toute nation se caractérisant par une monnaie unique, la création d'une monnaie unique conduirait ipso facto à la naissance de la nation européenne tant attendue... On s'apercevra très vite de ce qu'il s'agit d'un contresens idéologique dû à une méconnaissance de la nature de la monnaie.
Lancé par le traité de Maastricht (1992), le projet ne manque pas d'allure. Certes, il est aussitôt critiqué par d'éminents économistes, au premier rang desquels les Prix Nobel Joseph Stiglitz, Maurice Allais, Paul Krugman et même Milton Friedmann, l'un des inspirateurs du néolibéralisme contemporain. Mais à la naissance de l'euro (1999-2002), les critiques s'estompent et chacun se prend à sourire en se penchant sur le berceau (note). C’est en effet la première fois dans l’Histoire humaine qu’une monnaie n’est pas soutenue par une autorité politique mais seulement par une banque supranationale.
Tandis que l’Allemagne se dépense sans compter pour remettre à niveau l’ex-Allemagne de l’Est, les autres pays de l’Union s’imposent une stricte rigueur budgétaire en vue de mettre en place la monnaie unique à l’échéance de 1999.
Au tournant de l'An 2000, les principaux pays européens, dont la France, présentent une situation relativement saine : chômage en recul, balance commerciale peu ou prou équilibrée, endettement modéré (note)...
L'industrie et le commerce sont alors portés par la croissance mondiale et l'ouverture des marchés chinois et asiatiques. La France produit autant de voitures que l'Allemagne et exporte sur tous les marchés mondiaux les produits industriels qui font sa réputation ; ses entreprises rachètent à tout va leurs concurrents étrangers. Le petit Portugal prospère dans les industries du cuir ou encore le moulage plastique etc.
Relisons les journaux de l'époque : ils sont éloquents. Personne, en France, en Irlande ou dans les pays méditerranéens, ne formule de critique majeure sur l'état des finances publiques, l'industrie ou le commerce extérieur. Personne.
Dans le même temps se met en place l'euro. Selon ses promoteurs, autrement dit la quasi-totalité de la classe politique (gouvernants, élus, journalistes), il doit entraîner une convergence des économies de la zone euro et, grâce à la transparence des coûts et à la libre circulation des marchandises et des capitaux, les pays les plus pauvres (Grèce, Espagne, Portugal...) devraient voir leur niveau de vie se rapprocher à grandes enjambées des pays les plus riches.
Hélas, on va le voir, c'est tout le contraire qui s'est produit (note).
La monnaie unique a déséquilibré les échanges au sein de l'Europe
L'euro s'est révélé un « pousse-au-crime » pour les pays fragiles, séduits par la possibilité d'emprunter à des taux très bas sur les marchés étrangers. Cette facilité les a dissuadés de faire les efforts requis pour maintenir l'équilibre de leur balance commerciale.
À l'instigation de grandes entreprises étrangères - en particulier allemandes et françaises -, la Grèce et le Portugal se sont lancés à corps perdu dans des investissements de prestige : Jeux Olympiques d'Athènes, Exposition de Lisbonne, modernisation des armées. L'Espagne et l'Irlande ont investi à tout va dans des placements immobiliers. Les gouvernements français se sont abandonnés à leurs mauvais penchants en multipliant à tout va les cadeaux électoraux et les emplois administratifs.
Dans tous ces pays, la conséquence fut un déséquilibre de la balance commerciale croissant d'année en année au bénéfice du pays le plus dynamique de la zone euro, l'Allemagne.
L'illusion de prospérité s'est brisée en 2008 sur la « crise des subprimes » venue des États-Unis. Les banques ont surmonté la crise des deux côtés de l'Atlantique et réparé leurs erreurs de jugement grâce à l'aide des contribuables. Mais tandis que les États-Unis ont retrouvé peu à peu le chemin de la croissance, rien de tel de ce côté-ci de l'océan !
En effet, cette crise a mis à jour les faiblesses structurelles de la zone euro et révélé que ses économies divergeaient au lieu de se rapprocher : les pays industriels traditionnellement exportateurs ont accumulé les excédents ; les autres ont accumulé les déficits commerciaux et les dettes sans pouvoir enrayer leur déclin. Pire que tout, la monnaie unique a exacerbé les conflits entre les États. Sur tous les aspects qui fondent une communauté politique, jamais l’Union européenne n’a paru aussi divisée ni impuissante que depuis la mise en place de l’euro : diplomatie et armement, solidarité sociale, fiscalité et dumping fiscal, droit du travail, etc.
Faut-il s'en étonner ? Tous les pays ont agi selon leurs penchants habituels, après comme avant l'introduction de l'euro.
Ce n'est pas faire injure aux Grecs que de constater qu'ils fraudent massivement l'impôt et que leur État multiplie depuis toujours les « éléphants blancs » (des investissements surdimensionnés) en engraissant au passage les intermédiaires et quelques fonctionnaires et hommes politiques bien placés.
Dans les temps anciens, leur monnaie nationale agissait comme un garde-fou pour corriger ces travers : quand l'État grec s'endettait de trop ou que les charges publiques pesaient à l'excès sur les activités productives, les taux d'intérêt s'envolaient, les capitaux fuyaient et la monnaie, irrésistiblement, se voyait dévaluée. Dans le pire des cas, le gouvernement était acculé à la banqueroute et les citoyens placés devant leurs responsabilités (ce fut le cas deux fois, en 1893 et en 1934).
Lors de la mise en place de l'euro, les Européens ont cru que des injonctions politiques et des codes de bonne conduite comme le « pacte de stabilité » pourraient se substituer à la drachme dans son rôle modérateur. Dès lors, pour remettre les gouvernants grecs dans le droit chemin, on s'est reposé sur des indicateurs arbitraires tels que le déficit budgétaire, en confiant leur surveillance à des conseillers de Lehman Brothers ! Mais ceux-ci n'ont rien voulu voir des dérives de la Grèce et même les ont encouragées (achats massifs d'armements à la France et l'Allemagne, investissements dans le génie civil, petits arrangements entre amis fortunés...). La monnaie unique, en définitive, a libéré et amplifié la « phobie fiscale » des Grecs et engendré une crise humanitaire dont il est illusoire de croire qu'elle pourrait être simplement résolue par une plus grande pression fiscale sur l'Église, les armateurs ou encore les retraités (note).
La Lettonie est l'un des derniers pays à avoir adopté la monnaie unique et s'en satisfait. Comme les autres pays baltes, ce petit pays a été exploité au Moyen Âge par la Hanse, une puissante association de marchands allemands. Elle a ensuite connu une succession d'occupations par ses puissants voisins : Prusse, Russie, Suède, Allemagne, URSS.
Quand elle a recouvré son indépendance en 1991, la Lettonie présentait l'image d'un pays stable, avec une population d'un haut niveau d'éducation, forte d'un riche patrimoine mais très pauvre au regard des critères occidentaux. Aujourd'hui, le coût horaire d'un employé ou d'un ouvrier letton est de l'ordre de cinq ou six euros, soit environ quatre fois moins qu'en Europe de l'Ouest. Autant dire que la Lettonie constitue un excellent vivier d'emplois pour les industriels allemands en quête de sous-traitants bon marché.
Les Lettons eux-mêmes s'accommodent de cette situation et s'en trouvent bien car ils n'ont nul espoir d'atteindre un jour l'opulence allemande... C'est ce qui les distingue des Français qui ont pendant de nombreux siècles été à la pointe de la civilisation occidentale et supportent mal une subordination qui les renvoie aux mauvais souvenirs de l'Occupation, quand leurs gouvernants se satisfaisaient d'être les brillants seconds du IIIe Reich !
À l'arrivée de l'euro, la France, comme les autres, a cédé plus que jamais à ses penchants. Sous la pression d'une classe politique particulièrement timorée, elle a délaissé son industrie et sa classe ouvrière pour mieux aider les nécessiteux à coup d'allocations et d'emplois dans les secteurs publics et parapublics (note).
Rien de nouveau en cela. Selon une tradition nationale qui remonte à... Henri IV, le pouvoir chérit ses fonctionnaires et secourt les infortunés avec plus ou moins de bonheur, à la différence par exemple des gouvernants anglo-saxons qui s'accommodent de grandes inégalités sociales.
Mais jusqu'à la fin du XXe siècle, cette générosité, qui faisait honneur à la France, était tempérée par la contrainte monétaire. Toute dépense excessive se soldait par des importations en surnombre et une moindre compétitivité des entreprises exportatrices du fait des charges fiscales qui pesaient sur elles. Il en résultait un déficit commercial qui entraînait automatiquement une perte de valeur de la monnaie. Les réajustements monétaires (dévaluations) remettaient les entreprises d'aplomb et leur permettaient de se relancer. Ainsi le mark gagna-t-il 30% en valeur par rapport au franc à chaque décennie de 1949 à 1989 sans que cela empêche les Français et leurs entreprises de prospérer pendant toute cette longue période.
Avec la monnaie unique, rien n’est plus venu freiner la folie dépensière des élus, sinon les exhortations de Bruxelles et Berlin. Privée du correcteur monétaire, l'industrie nationale s’est vue prise en étau entre la pression fiscale et l'offensive frontale des concurrents allemands.
Dans les années 1990, les Allemands ont dû réunifier leurs deux États au prix d'un énorme effort financier qui a fait douter de leur santé. Mais aussitôt après, au début des années 2000, ils se sont remis en ordre de bataille en tirant parti de leur puissance industrielle et de la cohésion de leurs entreprises, toujours intactes.
Ils ont retroussé leurs manches, fait vœu d'austérité, réduit leurs dépenses (main-d’œuvre étrangère corvéable à merci) et découragé les importations (hausse de la TVA). Ils ont aussi réduit leurs investissements d'avenir (entretien des autoroutes, des chemins de fer et des écluses, éducation, financement des crèches, etc.). Enfin, ils ont profité du relâchement de leurs voisins du Sud et d'Outre-Rhin pour leur vendre les biens d'équipement, les produits alimentaires et les voitures de luxe auxquels ils aspiraient.
Ainsi ont-ils pu accumuler de fabuleux excédents commerciaux, investis sous forme de prêts ou d'achats d'actifs à l'étranger. Quand leur pays vieillissant devra réduire son activité industrielle et ses exportations, ils pourront conserver leur niveau de vie grâce aux intérêts et aux dividendes de ces placements. C'est du moins leur objectif sous-jacent.
Les réformes qu’ils ont engagées dans le cadre du plan Schröder-Hartz (2003-2005), notons-le, aucun Français ne les aurait acceptées, y compris parmi les laudateurs du « modèle allemand ». Trop brutales et discriminatoires : régime de faveur pour l’élite industrielle ; pain noir pour les pauvres, les familles et les travailleurs étrangers... Au demeurant, ces réformes seraient inapplicables en France sauf à réduire drastiquement le volume des aides sociales et prendre le risque d'une guerre civile pour obliger les pauvres et les immigrés à accepter dans l'agro-alimentaire et les services des emplois de près de 50 heures hebdomadaires rémunérés quelques euros de l'heure.
Mais le résultat est là : tout juste à l'équilibre avant l'introduction de l'euro, la balance commerciale de l’Allemagne présentait en 2012 un excédent de 188 milliards d’euros (5% de sa richesse nationale), soit davantage que la Chine, le Japon ou les pays pétroliers ; quant à la France, excédentaire dans ses échanges avec l’étranger (marchandises, services financiers et marchands, tourisme) entre 1994 et 2004, elle présentait en 2012 un déficit de 67 milliards d’euros (3% de sa richesse nationale). La même année, le budget de l’État allemand était peu ou prou à l’équilibre cependant que le déficit budgétaire de l’État français atteignait les 100 milliards d’euros.
On peut voir ci-après le solde commercial de l'Allemagne en milliards de dollars et en pourcentage du PIB de 1970 à nos jours, avec une rupture nette en 2000, introduction de la monnaie unique (source : Atlantico).
À la lumière des exemples ci-dessus, chacun peut mesurer les différences abyssales qui distinguent les nations européennes, pour des raisons historiques, sociétales et autres.
Au cours des siècles passés, ces nations ont développé des comportements sociaux différents, voire opposés, que reflète l’indice de fécondité (nombre moyen d’enfants par femme). Proche de deux en Suède, au Royaume-Uni et en France, il n’est que de 1,3 en Espagne, en Pologne ou encore en Allemagne. Ce sont des écarts que l’on ne rencontre dans aucune autre région du monde, preuve de l’extrême hétérogénéité de l’Europe (note).
Ces différences débouchent sur des choix inconciliables. Doit-on comme en Allemagne privilégier l’épargne en vue d’assurer une retraite décente aux seniors, ou bien accepter un effort collectif en faveur des familles et des jeunes pour préserver l’avenir ? Doit-on s’accommoder comme en Angleterre d’une société duale où voisinent l’extrême richesse et l’extrême pauvreté, ou bien promouvoir une politique d’assistanat avec ses abus inévitables ? Doit-on se tenir à l’écart des affaires mondiales comme l’Allemagne, ou ambitionner une diplomatie active au service des droits de l’homme, avec ses coûts inévitables en matière militaire ?… Soyons lucides. Ces arbitrages sont impossibles à l’échelon européen car nos nations sont autrement plus diverses et moins solidaires que, par exemple, les États américains. Ne rêvons donc pas aux « États-Unis d’Europe » et donnons-nous une ambition plus en conformité avec la civilisation à nulle autre pareille dont nous sommes les héritiers.
Les injonctions des banquiers de Francfort et des fonctionnaires de Bruxelles ne changeront pas la nature des nations en quelques années ou quelques décennies. Ni les Grecs ne deviendront des contribuables façon helvète, ni les Allemands des sybarites, ni les Français des luthériens... En abolissant les monnaies qui protégeaient chaque nation contre elle-même, contre leur propension à trop dépenser ou au contraire à trop épargner, nos apprentis sorciers ont joué avec le feu.
On observe sur la carte suivante que le commerce de la zone euro avec le reste du monde est globalement équilibré et même légèrement excédentaire tandis que le commerce de la France est déficitaire tant avec la zone euro (41 milliards d'euros) qu'avec le reste du monde (26 milliards d'euros).
Déficits commerciaux => endettement public et/ou privé
C'est un curieux spectacle que nous offre donc la zone euro ! Considérée dans son ensemble, elle conserve une balance commerciale peu ou prou équilibrée avec le reste du monde. Rien de plus normal : quand les performances commerciales de la zone euro se dégradent, le cours de sa monnaie par rapport aux autres tend à baisser de façon à revenir à ramener la balance commerciale à l'équilibre et vice versa.
Mais derrière cet équilibre de façade, nous observons à l’intérieur de la zone euro de formidables déséquilibres commerciaux qui n'en finissent pas de croître, faute de pouvoir être corrigés par des ajustements monétaires entre les pays fragiles, qui ont une propension à consommer et importer, et les autres qui ont une propension à épargner et exporter (il s’agit essentiellement de l’Allemagne) (note).
La conséquence naturelle et inévitable est l'endettement des premiers pays auprès des seconds car les pays, tout comme les ménages, ont une « balance des paiements » qui est par définition constamment à l’équilibre : toute sortie d'argent (achat ou placement à l'étranger) est obligatoirement compensée par une rentrée du même montant qui prend la forme d'une vente ou, à défaut, d'une reconnaissance de dette.
Nous sommes ici au cœur du problème :
Normalement, quand un pays a tendance à importer plus - ou moins - de biens qu'il n'en exporte, le cours de sa monnaie se réajuste à la baisse - ou à la hausse - de façon à équilibrer sur le long terme les entrées et les sorties de devises (note).
Mais au sein de la zone euro, du fait de la monnaie unique, ce réajustement monétaire n'est plus possible. Il n'empêche que si un pays importe plus qu'il n'exporte, il doit rapatrier des devises d'une manière ou d'une autre pour équilibrer sa balance des paiements. Confronté à un déficit commercial structurel, qui se reproduit d'année en année, il a le choix soit de vendre des actifs (immeubles de rapport ou entreprises), soit d'accroître les dépenses publiques et les financer avec des emprunts à l'étranger. CQFD.
L'endettement public qui découle de la monnaie unique est d’une nature totalement inédite dans l'histoire de l'économie, ce qui explique la myopie des économistes et des dirigeants européens à son propos :
- L'endettement conventionnel résulte d'un manque de recettes fiscales ou d'un excès de dépenses publiques, comme dans la France de 1789 ou le Japon contemporain ; il se traduit par des emprunts auprès des épargnants nationaux et se solde soit par une réforme fiscale, soit par une résorption douce (inflation), soit par une banqueroute.
- L'endettement ci-dessus est quant à lui la réaction naturelle de l'État à un problème d'origine extérieure : la résorption du déficit commercial ; il se traduit par des emprunts auprès des épargnants étrangers, affectés faute de mieux à des dépenses publiques.
Notons que les deux formes d'endettement peuvent parfaitement cohabiter comme aujourd'hui en France.
La « crise des subprimes » a mis à nu l'endettement des États
Il a fallu attendre la « crise des subprimes » pour que chacun prenne conscience des déséquilibres de la zone euro et de l'endettement des pays les plus « fragiles » : la Grèce, l’Espagne, le Portugal, l’Irlande, ainsi que la France et l’Italie.
Dans les années qui ont suivi la mise en place de la monnaie unique, tous ces pays que les hommes en gris de Bruxelles et Francfort rassemblent avec une touche de mépris sous l’étiquette « Club Med » ont cédé à leur attrait pour la consommation et compensé leur surcroît d’importations par des rentrées d’argent sous diverses formes : investissements étrangers, achats d’actifs et endettement public ou privé. Ils ont de fait manifesté une forme d’irresponsabilité ou d’inconscience en s'accommodant des déficits commerciaux et en se jetant à corps perdu sur les crédits faciles qui en étaient la contrepartie.
En Espagne et en Irlande, au début des années 2000, l'endettement est passé inaperçu car il est venu des banques privées qui empruntaient massivement à l'étranger en profitant des faibles taux d'intérêt autorisés par l'euro. Mais quand la bulle immobilière a fini par éclater, ces banques ont appelé à l'aide l'État et celui-ci a endossé leur dette, se retrouvant dans la même situation que la France.
À partir de 2004, la France, fidèle à sa tradition politique, a choisi, elle, de convertir son déficit extérieur en emprunts d’État pour gonfler à tout va les administrations et le secteur social qui, obèses et surendettés, étouffent de plus en plus de leur poids le secteur productif.
Dans le même temps, en 2004, l’exportateur le plus actif de la planète, l’Allemagne, a pu reconstituer ses forces et repartir à la conquête des marchés. Elle a mis tous les atouts de son côté en usant des facilités offertes par la zone euro : modération salariale, recrutement d’étrangers sous-payés dans les emplois non qualifiés et dans les services, délocalisations d’usines de montage dans les anciens pays communistes forts d’une main-d’œuvre éduquée… et pauvre. Et grâce à de généreux crédits, elle n'a pas eu de mal à convaincre ses voisins du « Club Med » de lui acheter des voitures haut de gamme, de l'armement, des biens d'équipement etc.
Face à cette offensive, des entreprises comme PSA (Stellantis) se sont complètement fourvoyées en faisant le choix de conserver un maximum d'emplois en France, en conformité avec le droit du travail français. Ce choix éminemment honorable s'est révélé désastreux à l'heure de la monnaie unique, dans une Europe transformée en champ de bataille, où les nations sont demeurées des communautés solidaires, arc-boutées les unes contre les autres, les unes privilégiant l'exportation et le travail, les autres la consommation et le bien-être, mais sans barrière monétaire pour les séparer (note).
Ne nous faisons pas d’illusions. Même si l’État français convertissait aujourd’hui une partie de ses dépenses « improductives » (police, santé, armée, éducation) en dépenses « productives » (aide à la recherche ou à l’exportation), même si, mieux encore, il baissait les impôts et les cotisations sociales qui pèsent sur les entreprises, cela ne suffirait pas à surmonter le handicap structurel qui sépare les entreprises nationales de leurs concurrentes étrangères.
Ainsi en va-t-il des entreprises de l’agro-alimentaire. Malgré l’enchaînement des plans d’urgence par les pouvoirs publics, elles sont incapables de résister à des concurrentes allemandes qui se permettent encore de faire travailler des ilotes roumains ou polonais à un ou deux euros de l’heure, dans une zone euro où sévit une « concurrence libre et… faussée » par l'absence de solidarité et d'équité en matière de fiscalité et droit social.
L’endettement est donc la conséquence irrépressible du déficit commercial. C'est un phénomène hélas cumulatif. Dès lors qu'il n'est pas corrigé par un ajustement monétaire, l'endettement associé au déficit commercial se solde par des charges supplémentaires sur la collectivité nationale (remboursement du capital et des intérêts) qui rendent les entreprises exportatrices de moins en moins compétitives à l’étranger. Il s'ensuit que le déficit commercial tend à s'accroître d'année en année et avec lui l'endettement.
Répétons-le : ce n’est pas parce que les budgets de la Grèce ou de la France sont en déficit que ces pays se portent mal mais c’est, au contraire, parce qu’ils se portent mal - autrement dit accumulent les déficits commerciaux - que leurs finances publiques sont en déficit.
Ainsi voit-on que la dette est la conséquence - et non la cause - de nos difficultés. Fait-elle pour autant le bonheur des Allemands ? Nenni car l’effondrement des économies du Sud tarit leurs débouchés et fait douter de la solidité de leurs placements financiers.
Reste à examiner les remèdes qui permettront de corriger les déséquilibres commerciaux internes à l'Union européenne et à celle-ci de retrouver le chemin de l'espoir.
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