En guerre contre l'Allemagne hitlérienne depuis le 3 septembre 1939, la France est envahie le 10 mai de l'année suivante. Le haut commandement militaire et le gouvernement se résignent au bout de six semaines à la conclusion d'un armistice infamant.
Les Français, sous le choc, ne songent pas encore à la résistance... à quelques exceptions.
Le 17 juin 1940, Edmond Michelet (40 ans), notable de Brive-la-Gaillarde (Corrèze), catholique et père de famille nombreuse, distribue des tracts appelant à refuser l'armistice. À ce titre, il peut être considéré comme le premier résistant... Le 20 juin 1940, soit deux jours avant l'armistice, un inconnu, Étienne Achavanne, prend l'initiative de saboter des lignes téléphoniques allemandes. Fusillé le 4 juillet 1940 près de Rouen, c'est le premier martyr de la Résistance.
Un Appel peu entendu
Le 18 juin 1940, tandis que les armées françaises refluent en désordre devant l'invasion allemande, le général de Gaulle lance un Appel depuis les studios de la BBC à Londres. Il invite ses compatriotes présents sur le territoire britannique à le rejoindre et pour la première fois évoque la « flamme de la résistance française ».
L' Appel est largement diffusé dans le pays par la presse régionale mais, dans les premiers mois de l'Occupation, il a peu d'effet sur la population, abasourdie par l'ampleur de la défaite et confiante dans le Maréchal Pétain, nouveau chef du gouvernement.
Cette résignation rend d'autant plus méritantes les personnalités très tôt entrées en résistance. Jean Moulin, préfet d'Eure-et-Loir au moment de l'invasion, est de celles-là. En octobre 1941, il part pour Londres demander une aide en vue de développer la résistance intérieure. Il est reçu par le général de Gaulle qui apprécie sa connaissance de la Résistance intérieure et ses compétences d'administrateur.
Le chef de la France libre lui demande de se faire son ambassadeur auprès de la Résistance intérieure. L'ex-préfet accepte. Il est parachuté sur le sol français le 2 janvier 1942. Tout en tissant sa toile secrète, il va mener au grand jour, dans le sud du pays, la vie paisible d'un ancien préfet à la retraite !
Dans les mois qui suivent l'invasion de la France, seule une poignée de Français songent à préparer la revanche... Parmi eux surtout des militants chrétiens et des royalistes !
« Faut-il rappeler que, sans parler de De Gaulle, réputé avoir eu, à certains moments de sa vie, une sympathie pour la monarchie, bon nombre de combattants de la France libre en ont eu aussi : de Lattre de Tassigny, Leclerc, Montsabert, Edmond Michelet étaient royalistes ainsi que l'homme qui a tiré sur Pierre Laval, Colette ; et celui qui, à Alger, a tué Darlan, Bonnier de la Chapelle; bien des écrivains qui ont gagné la Résistance étaient également royalistes : Claude Roy, Debu-Bridel, D. Cordier, Claude Morgan, mais ils n'ont jamais été regroupés sous cette étiquette ».
À cette énumération très incomplète de l'historien Marc Ferro, il faut pour le moins ajouter le nom de Honoré d'Estienne d'Orves, lieutenant de vaisseau rallié à De Gaulle dès 1940. Il est envoyé en France pour des actions de renseignement sur les arsenaux et les navires de guerre. Trahi, il est capturé et condamné à mort par un tribunal militaire allemand. Il meurt le 29 août 1941 au Mont-Valérien en pardonnant à ses bourreaux. Il a 40 ans... Citons aussi Edmond Michelet, évoqué plus haut, Henri Frenay, officier catholique, Bertie Albrecht, infirmière protestante...
À la mi-1941, l'invasion de l'URSS et les premiers revers allemands élargiront le recrutement de la Résistance jusqu'à la gauche communiste, faisant oublier ses racines chrétiennes et conservatrices.
Pendant que Jean Moulin cherche sa voie, la Résistance intérieure se forme peu à peu à l'initiative de personnalités isolées comme Henri Frenay. Ce jeune officier de 35 ans issu d'une famille catholique de Lyon, cultivé et excellent connaisseur de l'âme allemande, a acquis une franche détestation de l'idéologie nazie. Il a été fait prisonnier pendant la campagne de France de mai-juin 1940 mais s'évade dès le 26 juin 1940. Il fonde aussitôt un mouvement clandestin, le Mouvement de libération nationale... sans cesser de croire en la bonne volonté du maréchal Pétain.
Dans un Manifeste publié au début de l'Occupation, il écrit : « À l'oeuvre du maréchal Pétain, nous sommes passionnément attachés, nous souscrivons à l'ensemble des grandes réformes qui ont été entreprises » (Robert Belot, Henri Frenay, de la Résistance à l'Europe, Seuil, 2003).
De bonne foi, il considère Pétain et de Gaulle comme les deux facettes complémentaires de la lutte contre l'occupant : Pétain le « bouclier » qui protège les Français contre les exactions nazies, de Gaulle l'« épée » qui sauve l'honneur de la Nation.
Ce point de vue est partagé par beaucoup de Français, y compris des gaullistes de la première heure tel Gilbert Renault, plus connu son nom de guerre : Colonel Rémy. Ce dernier gagne Londres avant d'être envoyé en France en août 1940 pour monter le premier réseau de renseignement, la Confrérie Notre-Dame.
Henri Frenay est affecté en décembre 1940 au 2e bureau de l'état-major, à Vichy, c'est-à-dire aux services de renseignement ! Il quitte cet emploi et l'armée au printemps suivant pour développer à Lyon son mouvement de résistance.
C'est ainsi que du regroupement de plusieurs mouvements naît Combat. Le mouvement couvre la zone dite « libre », c'est-à-dire non occupée par les troupes allemandes et soumise à une administration française théoriquement indépendante dont le siège est à Vichy, sous l'autorité du maréchal Pétain.
Combat comprend plusieurs dizaines de milliers de sympathisants et environ 200 permanents. Parmi eux une femme émérite, Bertie Albrecht, infirmière protestante et amie personnelle de Henri Frenay.
Limité dans ses objectifs et ses moyens, le mouvement organise principalement des filières d'évasion vers la Suisse ou l'Espagne.
1941 : concurrence entre réseaux
La Résistance intérieure prend un nouveau départ à la mi-1941, après l'invasion de l'URSS par la Wehrmacht.
Les communistes français, qui étaient jusque-là restés dans l'expectative en raison du pacte de non-agression entre Staline et Hitler, entrent à leur tour dans la clandestinité. Mais pas question pour eux de rejoindre les mouvements pionniers comme Combat. Ils préfèrent créer leurs propres réseaux au risque d'alimenter une concurrence stérile.
L'objectif des communistes n'est pas le renseignement mais l'affrontement frontal avec l'ennemi. Peu soucieux d'efficacité combattante, ils veulent attiser la répression et immobiliser en France un maximum de divisions allemandes... qui seront de ce fait rendues indisponibles pour combattre dans la « patrie du socialisme », celle qui prime à leurs yeux, l'URSS.
C'est ainsi que le 21 août 1941, un militant communiste de 22 ans, Pierre Georges, futur « colonel Fabien », se rend au métro Barbès et abat le premier Allemand qu'il croise sur le quai, l'aspirant Moser.
À Vichy, le ministre de l'Intérieur Pierre Pucheu devance les désirs de l'occupant et décide de punir le crime sans attendre en faisant exécuter six « communistes ».
Comme les attentats tendent à se multiplier, les Allemands ne tardent pas à entrer eux-mêmes dans le cycle répressif. Le 29 août 1941, ils exécutent après jugement Honoré d'Estienne d'Orves et ses compagnons. Le 22 octobre 1941, à Châteaubriant, en Bretagne, 27 otages communistes (dont Guy Môquet, 16 ans) sont fusillés suite à un attentat contre un officier allemand.
Ainsi les occupants allemands tombent-ils dans le piège tendu par les communistes en se coupant de la population française. Comme prévu, les Français se radicalisent, d'un côté comme de l'autre. Les dénonciations anonymes à la police française ou, pire, à la police allemande, la Gestapo, se multiplient.
En quelques mois, 814 otages vont payer de leur vie les attentats commis contre les occupants avant que ceux-ci ne comprennent le caractère contre-productif de ces exécutions et n'y renoncent (ils y reviendront dans les derniers mois de la guerre, en 1944).
1942 : reprise en main de Londres
À Londres, le général de Gaulle s'inquiète de la tournure des événements. Il dénonce le caractère militairement inefficace des attentats et, pour éviter que les communistes ne s'imposent dans la Résistance intérieure.
Jean Moulin, qui vient d'être parachuté sur le sol français, rencontre Henri Frenay. Il le convainc de se rallier au général de Gaulle et de le rencontrer à Londres... Quelques semaines après, plusieurs militants de Combat sont arrêtés par la police française. Parmi eux Bertie Albrecht. Henri Frenay rencontre aussitôt le ministre de l'Intérieur Pierre Pucheu et obtient la libération de ses militants...
À Vichy comme dans la Résistance, on en est encore à espérer un partage des rôles : aux premiers le soin de calmer les Allemands, aux seconds celui de préparer une hypothétique libération. On craint d'un côté comme de l'autre que des actions intempestives ne durcissent l'attitude des occupants et ne rendent plus difficiles les luttes à venir.
Le 26 septembre 1942, comme il l'avait promis à Jean Moulin, Henri Frenay rencontre à Londres le général de Gaulle. Sa coopération, toutefois, ne vaut pas soumission, et il tient à ce que la résistance intérieure conserve une certaine autonomie.
La situation se durcit le 11 novembre 1942, avec l'entrée des troupes allemandes dans la zone Sud, qui était jusque-là administrée par le gouvernement de Vichy et théoriquement autonome. Désormais, tous les Français se trouvent à la merci de la police allemande.
Au terme de longues tractations pilotées par Jean Moulin, les trois principaux mouvements de résistance de l'ex-zone Sud se donnent une instance de coordination, l'Armée secrète, placée sous la direction d'un général de division gaulliste, Charles Delestraint (63 ans).
Les trois mouvements concernés sont Combat (dirigé par Henri Frenay, de loin le plus important), Franc-Tireur et Libération (dirigé par Emmanuel d'Astier de la Vigerie). Le 26 janvier 1943, à Miribel, dans l'Ain, ils consacrent leur fusion sous le nom de Mouvements unis de la Résistance (MUR).
À Londres, en 1943, des Français composent le Chant des Partisans, sur une musique d'Anna Marly. Retrouvez les paroles de cette « Marseillaise de la Résistance » et écoutez-les dans une interprétation d'Anna Marly elle-même...
1943 : l'espoir renaît
À la suite des défaites allemandes de El Alamein et Stalingrad , les Français commencent à reprendre espoir et les mouvements de résistance connaissent une affluence soudaine. La motivation des jeunes Français est accrue par le refus d'aller travailler en Allemagne au titre du STO (Service du Travail Obligatoire) imposé par Laval en février 1943.
Apparaissent les premiers maquis. Ce sont des petits groupes plutôt mal armés, généralement cantonnés dans les zones de montagne. D'un total de 30 000 à 40 000 hommes, ils effectuent des missions de sabotage ou même des opérations de guerilla. Pendant les longues périodes d'inactivité ponctuées par les coups de main contre l'occupant, ces maquisards venus de milieux sociaux très différents apprennent à se connaître et à s'écouter, comme la génération précédente dans les tranchées de la Grande Guerre. Ils échafaudent des plans pour l'après-guerre d'où résultera le programm social dit des « Jours Heureux ».
Les actions des maquisards gênent de façon notable les Allemands mais l'insuffisance de leur armement et les violences des miliciens français au service de l'occupant en limitent la portée.
Henri Frenay a besoin de beaucoup d'argent pour financer les armes que réclament les maquisards. Il ne peut se contenter des fournitures de Londres et s'adresse aux Américains, via la Suisse. Jean Moulin, l'apprenant, se fâche tout de bon. Il reproche à son compagnon de s'immiscer dans les rivalités entre le général de Gaulle, soutenu par Churchill, et le général Giraud, avec qui préfèreraient coopérer les Américains.
Le 27 mai 1943, malgré l'opposition d'Henri Frenay, Jean Moulin met en place un Conseil national de la Résistance (CNR) inféodé au général de Gaulle. La décision est prise lors d'une réunion au 48, rue du Four, à Paris. Mais la traque allemande se resserre. Le 9 juin 1943, le général Delestraint est arrêté au métro La Muette (Paris) et déporté à Dachau où il mourra.
Le 16 juin 1943, Henri Frenay part à Londres pour s'expliquer auprès de De Gaulle sur l' « affaire suisse » . Les services gaullistes l'empêcheront de reprendre sa place à la tête de Combat. Il ne retrouvera le sol français qu'à la Libération et, après des responsabilités ministérielles, se retirera à Porto-Vecchio où il mourra le 6 août 1988.
Quelques jours après le départ d'Henri Frenay, le 21 juin 1943, survient l'un des épisodes les plus dramatiques de la Résistance. C'est l'arrestation à Calluire, une petite ville proche de Lyon, de huit chefs du Conseil National de la Résistance, y compris Jean Moulin, qui mourra quelques semaines plus tard du fait de ses tortures.
Parmi les huit résistants arrêtés à Calluire figure Raymond Aubrac (Samuel de son vrai nom). Il sera libéré de manière spectaculaire, ainsi que 14 autres résistants, le 21 octobre 1943, par sa propre femme, Lucie Aubrac (Bernard de son vrai nom).
Profitant d'un transfert des prisonniers, celle-ci attaque avec un groupe de résistants le camion qui les transporte. Son témoignage, Ils partiront dans l'ivresse (Seuil, 1984) a été porté au cinéma en 2002 par Claude Berri sous le titre : Lucie Aubrac.
1944 : la Résistance triomphe
Après l'arrestation de Jean Moulin, Georges Bidault (44 ans), professeur d'histoire et ancien éditorialiste, est élu à la présidence du CNR à la confortable majorité de douze voix sur seize.
Les mouvements de résistance sont unifiés sous le nom de FFI (Forces françaises de l'intérieur) le 1er février 1944. Ils connaissent leurs heures de gloire entre le débarquement de Normandie, en juin 1944, et la Libération de la capitale, en août 1944.
À Paris, Georges Bidault, après avoir donné l'ordre de mobilisation générale, accueille le général de Gaulle à l'Hôtel de ville comme celui « grâce à qui fut préservé l'honneur comme fut préservé l'avenir ».
Entre le Débarquement et la Libération de Paris, en moins de trois mois, les effectifs de la Résistance seront passés de 100 000 à près de 500 000, beaucoup d'opportunistes de la « 25e heure » se découvrant alors une âme de héros.
Une fois les Allemands chassés du territoire national, 140 000 FFI sont admis dans la Ière armée française du général de Lattre de Tassigny, aux côtés des 500 000 hommes de l'armée d'Afrique. Cet « Amalgame » ramène la Résistance et les résistants à la normalité.
Cette Résistance, en France mais aussi dans le reste de l'Europe occupée, a été d'un grand secours pour les Alliés si l'on en croit le généralissime Dwight D. Eisenhower, qui écrit Le 31 mai 1945, dans une lettre au général britannique Colin Gubbins, chef du Special Operations Executive, le général Dwight D. Eisenhoer, commandant en chef des armées alliées, reconnaît l'apport décisif de la Résistance : « En aucune guerre antérieure et sur aucun théâtre d'opérations au cours de cette guerre, les forces de résistance n'ont été aussi étroitement intégrées à l'effort militaire principal. S'il n'a pu être établi une évaluation définitive de la valeur opérationnelle de l'action de la Résistance, je considère néanmoins que le sabotage des communications ferroviaires de l'ennemi, le harcèlement des colonnes allemandes sur les routes, la pression continue et croissante exercée sur l'économie de guerre allemande et ses services de sécurité intérieure par les forces organisées de résistance à travers toute l'Europe occupée, ont été pour une grande part dans notre victoire complète ».
Avec l'accession au pouvoir du général de Gaulle et de ses partisans, les journaux et les notables, quelque peu gênés par leur attentisme durant les années d'Occupation, se mettent à leur tour à encenser la Résistance. La Bataille du Rail (René Clément, 1946) obtient ainsi le Grand Prix du premier Festival de Cannes... C'est au point que l'on invente dès 1945 le mot « résistantialisme » pour moquer ce courant d'opinion. Marcel Aymé va l'illustrer dans Uranus (1948), un roman satirique sur les retournements de veste opportunistes de la Libération.
Un quart de siècle plus tard, à la génération suivante, de façon toute aussi excessive, on en viendra à dresser le portrait d'un peuple français veule et tout entier vychiste et collaborateur, avec des films comme « Le Chagrin et la Pitié » (1971, Marcel Ophuls) ou encore Lucien Lacombe (1974, Louis Malle).
La vérité, entre les deux, est de toutes les époques et de tous les pays : l'héroïsme bien réel d'une minorité d'exception doit toujours cohabiter avec la prudence d'une majorité soucieuse de préserver sa descendance. L'un et l'autre sont nécessaires à l'avenir : pas de libération sans héros, pas de survie sans prudents.
La Libération
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Voir les 10 commentaires sur cet article
JP (22-02-2024 18:46:24)
Il y a longtemps que je n'avais pas lu une synthèse aussi impartiale de ce qu'a été la Résistance. Merci monsieur Larané.
jean Pierre (22-02-2024 07:53:02)
Le pire c'est que quasiment tous les pires collaborateurs avec les allemands ont eu, grâce au choix du Général de Gaulle les postes clés au gouvernement Français d’après guerre... l'histoire ... Lire la suite
mery (21-02-2024 18:19:58)
Admirable parti communiste champion de la propagande qui s'allie à Hittler à travers le pacte germano-soviétique, freine pendant plusieurs années l'armement de la France par des grèves dans les u... Lire la suite