Après la chute de Napoléon III et le retour d'exil de Victor Hugo, symbole de l’écrivain engagé, le peuple parisien entre à nouveau dans l'Histoire.
Opposé à l'armistice que le gouvernement républicain a signé avec l’envahisseur prussien, il se découvre en mars 1871 maître de la capitale. La Commune de Paris fait resurgir le spectre des violences révolutionnaires. Elle sera réprimée sans pitié par le pouvoir replié à Versailles. Parmi les écrivains, seul Jules Vallès a pris le parti des insurgés et s'est battu à leurs côtés...
« Communards » contre « Versaillais »
L'épisode sanglant de la Commune débute en mars 1871. À l'origine de cette guerre civile entre « Communards » et « Versaillais », la déception causée par la signature des préliminaires de paix par le gouvernement républicain avec les Prussiens alors que la population parisienne a enduré avec héroïsme des sacrifices pendant le siège de la capitale.
À cette frustration, à ce ressentiment s’ajoutent les provocations de l’Assemblée nationale à majorité monarchiste et conservatrice élue en février. N’a-t-elle pas supprimé la solde des Gardes nationaux, choisi Versailles comme siège de réunion de l’Assemblée nationale ou encore exigé le paiement des loyers, suspendu pendant le siège de Paris ? De quoi exaspérer une population aux abois qui compte en son sein une frange révolutionnaire importante.
En toile de fond de cette colère, la paupérisation du monde ouvrier qui n'a pas profité de l'essor économique de la France durant le Second Empire, mais aussi la ségrégation dont est victime le prolétariat parisien, due à la politique d'urbanisme du baron Haussmann qui a refoulé les « classes laborieuses » vers les faubourgs de la capitale.
Dès la proclamation de la République le 4 septembre 1870, des « comités de vigilances » sont formés à Paris à l'instigation de militants de gauche et de membres de l'Internationale avec pour objectif de constituer une « commune » nommée par le peuple.
Les hostilités entre le peuple soutenu par les Gardes nationaux et les militaires du gouvernement de Thiers « chef du pouvoir exécutif de la République », débutent le 18 mars. Ensuite, c'est l'engrenage qui conduit à son paroxysme lors de la « Semaine sanglante » du 21 au 28 mai. Des deux côtés, on se livre à des atrocités : les Versaillais fusillent hommes, femmes, enfants, après avoir conquis les barricades, les Communards exécutent froidement leurs otages. Plus de 20 000 Parisiens devaient trouver la mort au mois de mai, avant que des emprisonnements et des déportations massives ne parachèvent l'écrasement de la Commune.
Vallès, seul contre tous
Parmi les grands écrivains, seul Jules Vallès, le bachelier révolté de 1848, cohérent avec ses engagements, participe à l’insurrection.
Il n’a pas encore publié sa trilogie romanesque et en grande partie autobiographique (L’Enfant, Le Bachelier, L’Insurgé) mais il est un journaliste réputé qui a collaboré aux principales publications de son temps.
À la fin des années 1860, il a fondé des journaux La Rue, Le Peuple, Le Réfractaire, rapidement interdits ou victimes de difficultés financières.
Après la chute de Napoléon III, en octobre 1870, il manifeste contre le gouvernement de la Défense nationale et occupe la mairie du XIXe arrondissement de Paris. Il fonde Le Cri du Peuple.
Se comptant parmi les « socialistes révolutionnaires », il devient ensuite l’une des figures majeures de la Commune, mais affiche des divergences avec la majorité de l’Assemblée de la Commune qui vote la création d’un Comité de salut public, sombre référence à la Terreur de la Révolution. Vallès est plutôt favorable à un compromis avec Versailles. Il pressent l’écrasement de l’insurrection mais il ne cherche pas à se retrancher derrière ses désaccords avec la majorité de la Commune pour fuir.
Il a toujours lutté avec les « blouses » contre les « redingotes », alors il demeurera au milieu de ses compagnons d’armes au péril de sa vie. Jusqu’au bout. Pas question d’abandonner son camp. Recherché au terme de la « Semaine sanglante », il réussit à s’enfuir à Bruxelles puis à Londres. Mais cet épisode marquera profondément son œuvre littéraire.
Maxime du Camp (1822-1894), académicien, ami de Flaubert, n’y voit qu’une « épilepsie sociale ». Théophile Gautier (1811-1872) assimile les Communards à des « animaux féroces » qui « se répandent par la ville épouvantée avec des hurlements sauvages ». Et il conclut : « Des cages ouvertes, s’élancent les hyènes de 93 et les gorilles de la Commune. »
Leconte de Lisle (1818-1894) vilipende une « ligue de tous les déclassés, de tous les incapables, de tous les envieux, de tous les assassins de tous les voleurs, mauvais peintres, mauvais écrivains, journalistes manqués, romanciers de bas étages ».
Pour Anatole France (1844-1924), la Commune est un « comité des assassins », de « fripouillards », un « gouvernement du crime et de la démence ».
Gustave Flaubert est sans pitié dans une lettre qu’il écrit à George Sand après l’écrasement des insurgés : « Je trouve qu'on aurait dû condamner aux galères toute la Commune, et forcer ces sanglants imbéciles à déblayer les ruines de Paris, la chaîne au cou, en simples forçats. Mais cela aurait blessé l'humanité ; on est tendre pour les chiens enragés. Et point pour ceux qu'ils ont mordus. ».
Gautier, Flaubert, Leconte de Lisle, Goncourt… et même Sand
La Commune, dernière convulsion d'un siècle de soubresauts et de révolutions réveille l'image des violences populaires de la Terreur déjà ravivées par les journées de juin 1848. Dans les représentations de la bourgeoisie dont sont issus en grande majorité les écrivains, le peuple est assimilé à la populace, une engeance ignare, sanguinaire et porteuse d'anarchie, uniquement guidée par ses bas instincts.
Rien d'étonnant donc à ce que la plupart des hommes de plume condamnent la Commune. Ils refusent d’en comprendre les causes politiques et sociales pour la réduire à une forme de « bestialité » des classes laborieuses.
Quant à George Sand, la pasionaria républicaine et socialiste de 1848, elle vire casaque. Elle qualifie les Communards de « parti d’exaltés » et juge que « la démocratie n’est ni plus haut ni plus bas après cette crise de vomissements (…) Ce sont les saturnales de la folie. »
Mais elle exonère le peuple de toute responsabilité dans cette insurrection comme si elle voulait montrer qu’elle reste fidèle à ses principes, en mettant en cause seulement les meneurs : « Le mouvement a été organisé par des hommes déjà inscrits dans les rangs de la bourgeoisie et n’appartenant plus aux habitudes et aux nécessités du prolétariat. Ces hommes ont été mus par la haine, l’ambition déçue, le patriotisme mal entendu, le fanatisme sans idéal, la niaiserie du sentiment ou la méchanceté naturelle. » (Le Temps, 3 octobre 1871).
Sand estime que la France n’est pas mûre pour un régime socialiste ; toute insurrection populaire est donc contre-productive en braquant encore un peu plus la petite bourgeoisie contre une république progressiste. Elle pense qu’il convient inlassablement d’éduquer le peuple.
À 67 ans, l’égérie exaltée du gouvernement provisoire de 1848, s’est muée en patiente réformiste, résignée à soutenir la république conservatrice de Thiers, au risque de donner l’impression de changer de camp.
Figure incontournable de la vie littéraire et mondaine de son temps, Edmond de Goncourt (1822-1896), lui aussi, condamne la Commune pendant les semaines d’affrontements. Car avec elle, écrit-il « la révolution est maîtresse de Paris. (…) Versailles n’a pas l’air de vouloir venir à notre secours (…) C’est triste, je crois impossible que le gouvernement du comité se maintienne, mais j’ai peur que cela dure quelque temps, et ce sera assez pour amener l’occupation prussienne et fournir un prétexte à toutes les horreurs et à toutes les exactions ; s’il se maintenait, pour moi, ça amènerait une séparation de la Province avec Paris, une mort de la France, et nous, nous serions condamnés à voir des scènes de l’Apocalypse. »
La manière forte de Thiers n’a pu que rassurer Goncourt… Comme elle a soulagé Alphonse Daudet : « Sauvé, sauvé ! Paris était au pouvoir des nègres ! »
Zola, de la « Terreur rouge » à la « Terreur blanche »
De son côté, Émile Zola (1840-1902), est à l’aube de sa carrière d’immense romancier qui marquera le XIXe siècle comme Balzac et Hugo.
Il entame sa saga des Rougon-Macquart mais il a déjà acquis une certaine renommée en tant que journaliste pour avoir défendu les Impressionnistes et pour être catalogué par le pouvoir politique comme étant proche des milieux socialistes et ouvriers. Il ne soutient pas pour autant les Communards.
Sa position s’avère assez ambigüe. Il relate quotidiennement la « Semaine sanglante » en se déplaçant dans Paris meurtri par la férocité des combats. Certes, il compatit devant « le lugubre charnier » qu’est devenu la capitale, mais il condamne aussi le désordre engendré par la Commune qu’il ne prend pas au sérieux : « Maintenant la farce est finie. Les bouffons vont être arrêtés : Rochefort est déjà sous les verrous, et nous espérons que les autres ne tarderont pas à l’y rejoindre. »
Zola en arrive à justifier la répression versaillaise : « Le bain de sang que [le peuple de Paris] vient de prendre était peut-être d'une horrible nécessité pour calmer certaines de ses fièvres. Vous le verrez maintenant grandir en sagesse et en splendeur. » Mais les prolongements de la victoire de Thiers l’épouvantent également : « Voilà l'odieux. On s'est tué entre frères et nous allons couronner ceux qui ont massacré le plus de leurs concitoyens ! Absurde ! Dans huit jours, au lieu de la Terreur rouge, nous aurons la Terreur blanche... La victoire de Versailles m'effraie ; on se croirait à mille lieues de Paris, et l'on y parle de notre pauvre grande cité comme d'un repaire de bandits... ».
Mais par la suite, le romancier demandera des mesures de grâce pour les Communards.
Hugo expulsé de Belgique
Et Hugo, toujours prompt à se mêler de politique, où est-il durant la Commune ? Après son retour d’exil, il a été député de Paris le 8 février 1871, il préside les réunions du groupe de la gauche radicale de l’Assemblée nationale repliée à Bordeaux.
Mais le 8 mars, il démissionne de ses fonctions de député lors d’une séance houleuse à l’Assemblée nationale durant laquelle la droite l’empêche de prendre la défense de Garibaldi dont l’élection comme parlementaire français a été invalidée au motif qu’il n’est pas français.
Sitôt après ce coup d’éclat, Hugo est frappé par un terrible drame : le 13 mars 1871, à Bordeaux, alors qu'il attendait au restaurant son fils Charles (44 ans), on lui annonce la mort subite de celui-ci, frappé d'apoplexie dans le fiacre qui devait le conduire. Victor Hugo choisit de l'inhumer au Père-Lachaise, près de son propre père. L'inhumation a lieu le jour même où débute la Commune. Elle donne un aperçu de l'immense popularité de l'écrivain.
18 mars. — À la gare, on nous reçoit dans un salon où l’on me remet les journaux qui annoncent notre arrivée pour midi. Nous attendons. Foule, amis.
À midi, nous partons pour le Père-Lachaise. Je suis le corbillard, tête nue, Victor est près de moi. Tous nos amis suivent, et le peuple. On crie : Chapeaux bas !
Place de la Bastille, il se fait autour du corbillard une garde d’honneur spontanée de gardes nationaux qui passent le fusil abaissé. Sur tout le parcours jusqu’au cimetière, des bataillons de garde nationale rangés en bataille présentent les armes et saluent du drapeau. Les tambours battent aux champs. Les clairons sonnent. Le peuple attend que je sois passé et reste silencieux, puis crie : Vive la République !
Il y avait partout des barricades qui nous ont forcés à de longs détours.
Au cimetière, dans la foule, j’ai reconnu Millière, très pâle et très ému, qui m’a salué, et ce brave Rostan. Entre deux tombes une large main s’est tendue vers moi et une voix m’a dit : — Je suis Courbet. En même temps j’ai vu une face énergique et cordiale qui me souriait avec une larme dans les yeux. J’ai vivement serré cette main. C’est la première fois que je vois Courbet.
Le deuil ne détourne toutefois pas Hugo de ses combats politiques. Pendant la Commune, il est à Bruxelles afin de régler des affaires familiales à la suite du décès de son fils. Il n’en dénonce pas moins « la guerre civile » ainsi que les « représailles » des deux camps.
Lorsque les autorités belges refusent d’accorder l’asile politique aux Communards, l’ancien proscrit Hugo s’insurge et demande que ce droit leur soit octroyé.
Mieux, alors que la Semaine sanglante se termine à Paris avec son lot de massacres, il brave le gouvernement belge dans une lettre publiée le 28 mai 1871 par L’Indépendance belge : « Cet asile, que le gouvernement belge refuse aux vaincus, je l’offre. Où ? En Belgique. Je fais à la Belgique cet honneur. J’offre l’asile à Bruxelles. J’offre l’asile place des Barricades, n°4. » C’est-à-dire au domicile qu’il occupe à Bruxelles.
La réaction du gouvernement belge est immédiate. Le lendemain, le ministre de la Justice adresse au roi Léopold II un rapport dans lequel il exhorte le souverain d’expulser Hugo, ce donneur de leçon complice des « Rouges » de Paris :
« Sire, Dans une lettre que publie L'Indépendance belge le 28 de ce mois, M. Victor Hugo cherche à justifier les crimes horribles commis par les révolutionnaires de Paris et à en rejeter la responsabilité sur l'autorité régulière. Il invite les membres de la Commune à se rendre en Belgique et s'offre à les recevoir chez lui et il jette un défi audacieux aux lois et au gouvernement de notre pays. Enfin, il fait un appel à nos concitoyens contre le gouvernement. La conduite de M. Victor Hugo est de nature à compromettre la tranquillité publique et, d'accord avec le Conseil des Ministres, j'ai l'honneur de soumettre à la sanction de Votre Majesté un projet d'arrêté par lequel il est enjoint à cet étranger, aux termes de l'article 1er de la loi du 7 juillet 1865, de quitter immédiatement le royaume. »
Il faut dire que dans la nuit du 27 au 28 mai, la maison de Victor Hugo a été assaillie par une bande de Bruxellois en colère aux cris de « À mort Victor Hugo ! À bas le brigand ! À mort Jean Valjean ! »
Le 30 mai, Hugo est expulsé du territoire. Le lendemain il émigre avec sa famille au Luxembourg. Mais l’amnistie des Communards deviendra le dernier grand combat de sa vie politique en France. Élu sénateur, il y consacrera de nombreux discours avant qu’une loi d’amnistie sans restriction soit enfin votée le 11 juillet 1880.
La dimension de lutte des classes revêtue par la Commune explique que les écrivains qui partagent les préjugés méprisants de la bourgeoisie envers le peuple, se soient rangés immédiatement du côté de l’ordre versaillais. Ils sont mus par la peur sociale et l’effroi d’une éventuelle prise du pouvoir par la plèbe au-dessus de laquelle ils se situent.
En ce sens, ils ont réagi comme certains de leurs prédécesseurs lors des journées de juin 1848 qui constituaient une révolte de désespérance sociale succédant à l’illusion lyrique de la révolution de février. Les écrivains avaient alors nettement infléchi à droite leurs prises de position avant de soutenir en grande partie la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte à l’élection présidentielle, symbole rassurant d’un retour rassurant à l’ordre.
La Commune n’a pas seulement donné l’occasion aux écrivains de prendre position politiquement, elle a provoqué de très violents affrontements entre eux par le truchement d’articles de presse.
Moins d'un quart de siècle plus tard, l’Affaire Dreyfus va durablement installer les intellectuels dans l'arène politique...
La cible principale de ces attaques : Vallès. « Un bâtard de Marat », selon Paul de Saint-Victor.
« On devine le rire amer, les yeux pleins de bile de l’homme qui a eu une enfance malheureuse et qui en veut à l’humanité parce que, tout petit, il a porté des habits ridicules, taillés dans les redingotes de son père », cingle Alphonse Daudet.
« Risum teneatis ! Jules Vallès est ministre de l’Instruction publique. La bohème des brasseries occupe le fauteuil de Villemain », se moque Edmond de Goncourt.
Après avoir écrit L’année terrible, Hugo n’échappe pas à la vindicte de Barbey d’Aurevilly : « Il s’appelle M. Victor Hugo. Jusqu’ici on le croyait français. Démocrate, c’est vrai, avec la haine inconséquente, folle et le plus souvent bête de la démocratie pour tout ce qui a fait, dans le passé, la gloire de la France (…) On le croyait – et il ne l’est plus (…) Le livre de M. Victor Hugo n’est qu’une élégie enflammée, violente, hypocrite et comminatoire sur les malheurs et les punitions de la Commune. De ses crimes, rien ! ».
La férocité des attaques entre écrivains annonce les déchaînements de l’affaire Dreyfus.
Révolutions
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Marie-Suzy Vascotto (05-03-2018 18:09:09)
Avant d'écrire que George Sand était "une pasionaria républicaine et socialiste" en 1848, vous devriez lire ce que pense d'elle et de ce qu'elle a écrit Henri Guillemin, qui n'était peut-être pa... Lire la suite
Marie-Suzy Vascotto (05-03-2018 18:08:03)
Avant d'écrire que George Sand était "une pasionaria républicaine et socialiste" en 1848, vous devriez lire ce que pense d'elle et de ce qu'elle a écrit Henri Guillemin, qui n'était peut-être pa... Lire la suite